Card. J. D. K. : Je m’oppose absolument à la privatisation de la foi : nous avons quelque chose à dire dans cette culture, en tant que chrétiens et citoyens responsables. J’ai fait un voyage en Irak, à Erbil, et le patriarche Louis Sako m’a expliqué : « Ici, nous avons besoin d’un régime laïc, non pas religieux. Dans un régime religieux, nous sommes des citoyens de deuxième ou troisième rang… »
Il disait encore : « Qu’on arrête de nous traiter comme une minorité, nous sommes des Irakiens, des citoyens et nous sommes des chrétiens. La citoyenneté passe avant le religieux. » J’ajouterais que c’est à cause de ma foi que je suis et que j’essaie d’être un citoyen responsable.
Qu’est-ce que les chrétiens peuvent apporter au monde ?
Card. J. D. K. : D’abord annoncer l’Évangile, c’est-à-dire être présent au monde et proclamer la parole de Dieu. C’est la raison d’être de l’Église. La christianisation, c’est autre chose, c’est le projet d’une société qui redevienne chrétienne. Ce n’est pas possible et absolument pas souhaitable. Dans une société sécularisée, aucune religion n’a le monopole et il n’y a qu’une solution, c’est la tolérance.
Mais comment annoncer l’Évangile dans une société plurielle et sécularisée ?
Card. J. D. K. : L’Église ne peut signifier à l’extérieur que ce qu’elle vit à l’intérieur. Nous devons avoir des communautés authentiques qui vivent de la parole de Dieu, qui célèbrent la liturgie et qui travaillent à un monde plus humain, plus juste. Le chrétien qui affirme vivre seul l’Évangile se trompe : nous avons besoin de l’autre. Sinon, comment deviendrait-on frère et sœur ?
Comment faire avec des structures ecclésiales fatiguées, fragilisées ?
Card. J. D. K. : Que sera l’Église dans un siècle ? Je ne sais pas. Nous ignorons ce qui restera mais aussi ce qui va naître ! Nous avons besoin de l’institution mais probablement pas de toutes les institutions dont nous disposons aujourd’hui et peut-être d’autres qui n'existent pas encore.
L’Église sera plus modeste et humble mais elle ne sera pas minoritaire, ni en France, ni en Belgique en tout cas. Quand encore la moitié des enfants sont baptisés, ce n’est pas une minorité : sociologiquement, cela n’a pas de sens.
Intervenir dans une société laïque ne conduit-il pas parfois l’Église à être signe de contradiction ?
Card. J. D. K. : Les valeurs centrales de la culture sécularisée sont la raison, la liberté et le progrès. Avec des dérives quand la liberté s’absolutise et devient l’idéologie qui domine tout. Dans les débats éthiques, par exemple, on élargit l’euthanasie ou l’avortement, parce que c’est soi-disant le progrès. Et chacun fait ce qu’il veut. Avec d’autres, les évêques et les catholiques ont toujours alerté la société, mais le « progrès » banalise ces questions. Permettre l’avortement jusqu’à la 18e semaine, est-ce le progrès ? L’avortement serait-il un acte médical ordinaire ? Un avortement est toujours un échec et ce n’est pas parce que la loi le permet qu’il n’y aura pas de souffrances.
Dans ce monde déchristianisé, comment reconnaît-on un chrétien ?
Card. J. D. K. : Parfois on ne le reconnaît pas… Il y a différents degrés d’appartenance à l’Église. Bien sûr, il y a toujours un noyau qui vient régulièrement à la messe et fait vivre l’Église. Mais réduire la foi à cette définition n’a jamais été la position de l’Église. Certains viennent de temps en temps, pour Noël ou pour Pâques, pour une fête de famille… Nous devons les respecter et ne pas leur dire : « Est-ce qu’on va vous voir la semaine prochaine ? » On risque le prosélytisme quand l’annonce de l’Évangile se fait sans respect de l’autre, avec le seul souci de recruter comme cela s’est passé parfois avec certaines communautés nouvelles.
C’est l’amitié qui évangélise. La rencontre a du sens en elle-même : ce n’est pas une tactique missionnaire. Je voudrais que les personnes en contact avec l’Église soient bien accueillies, respectées, écoutées, sans jugement. N’oublions pas qu’il y a ce que je peux faire et ce que Dieu fait : je peux témoigner, rencontrer, être ce que je suis, mais je ne peux pas donner la foi à un autre. C’est le Seigneur. L’Esprit Saint est à l’œuvre et Il ne dépend pas de l’expansion de l’Église.
Petite et humble, l’Église est aussi universelle. Comment le cardinal que vous êtes perçoit-il l’Église de Rome ?
Card. J. D. K. : Ce que je n’arrive pas à comprendre, c’est parfois une opposition très dure vis-à-vis du pape. On ne reviendra pas en arrière.
Aujourd’hui, il nous invite à la synodalité, c’est-à-dire vivre la fraternité. C’est une démarche de discernement – le pape est bien jésuite ! : discuter ensemble, prendre du temps, discerner. Et découvrir ce que le Seigneur nous demande.
(1 ) Foi & religion dans une société moderne, cardinal Joseph De Kesel, Salvator, 144 p., 14 €.
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L’Église de Belgique en chiffres
Les chiffres recensés par la Conférence épiscopale de Belgique (1) additionnent les données en Flandre et en Wallonie, en dépit de différences notables dans certains secteurs, notamment l’enseignement catholique.
42 000 baptêmes (1 800 demandes de débaptisation)
43 700 premières communions
36 500 confirmations
8 000 catéchistes
École catholique : en Wallonie : 42 % du total des élèves en primaire et 60 % en secondaire, 45 000 étudiants en supérieur ; en Flandre 59 % en primaire et 70 % en secondaire ;
5 900 mariages
45 000 funérailles soit 41 % des décès en Belgique
3 732 paroisses, animées par 141 000 bénévoles, 2 136 laïcs ayant reçu un mandat
2 167 prêtres diocésains dont 27 % de moins de 65 ans et 53 % de plus de 75 ans
9 000 religieuses (6 600) et religieux (2 400 dont 1 900 prêtres)
600 diacres permanents
(1) Source : L’Église catholique en Belgique 2020, édité par la Conférence épiscopale de Belgique