Dijon : vers une guerre liturgique ? (30/06/2021)

D'Odon de Cacqueray sur le site de l'Homme Nouveau :

Dijon, préface d'une nouvelle guerre liturgique ?

Dijon, préface d'une nouvelle guerre liturgique ?

Après 23 ans de présence dans le diocèse de Dijon, la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre (1) n’y est plus la bienvenue. Mgr Minnerath, archevêque du lieu, a signifié le 17 mai aux prêtres et à leur supérieur l’abbé Benoit Paul-Joseph qu’il se passerait de leurs services à partir du mois de septembre. L’association des « Amis de la basilique de Fontaine-lès-Dijon »(2) a été avertie de son côté qu’elle n’aurait plus de raison d’être une fois les prêtres partis. 

En choisissant de ne pas renouveler la collaboration qui existe depuis 1998, l’évêque est dans son droit. Des fidèles attachés à la célébration de la forme extraordinaire du rite romain (FERM), assurée par la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre (FSSP), ont été tout de même surpris par cette annonce. Il est rare qu’un diocèse s’estime assez riche en prêtre pour se passer des services de certains d’entre eux. Pourquoi Mgr Minnerath a-t-il pris cette décision ? Il n’avait jusqu’ici jamais eu à se plaindre des prêtres présents, il les a même remerciés à plusieurs reprises pour le ministère qu’ils effectuaient. Alors quels sont les dessous de cette éviction ?

De nombreux commentaires d’incompréhension ont été postés sur la page Facebook du diocèse suite à l’annonce du départ des prêtres de la FSSP. Ces derniers, dans leur lettre d’information du mois de juin à destination de leurs fidèles dijonnais, parlent d’une décision « profondément injuste » et s’étonnent de l’absence de concertation préalable. Une première réunion est organisée le 28 mai entre l’évêque et des fidèles, les prêtres n’y sont pas conviés. Il en ressort beaucoup de flou, les fidèles présents ont eu le sentiment d’être reçus mais pas écoutés. Ils déplorent les réponses évasives à leurs questions. Les premiers articles de presse publiés sur le sujet suscitent un premier communiqué public sur le site du diocèse, le 8 juin dernier. Le diocèse (il n’y a pas de signature) y explique que la mutation d’un des prêtre, l’abbé Paris, « a poussé le diocèse à assurer désormais le ministère auprès du groupe de fidèles attachés au Missel dit de Saint Pie V. » La Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre proposait pourtant de remplacer l’abbé sortant. Le même communiqué précise que les célébrations de la messe dans la forme extraordinaire du rite romain, et l’accès plus général à tous les sacrements, continueront par le biais de prêtres diocésains. Pour les autres services (catéchisme, scoutisme, aumôneries diverses, patronages, etc.), les fidèles sont invités à se tourner vers les paroisses voisines. Dans sa conclusion, le diocèse précise : « Le fait de confier maintenant les fidèles à des prêtres diocésains ne fera que renforcer leur communion avec l’Église diocésaine »,  étant précisé que « le changement proposé par le diocèse n’a pas d’autre but que de renforcer l’unité ecclésiale dans le respect des sensibilités légitimes. » L’incompréhension grandit chez les fidèles qui ignoraient jusqu’alors que leur communion avec l’Église diocésaine n’était pas suffisante. Le choix liturgique de ces fidèles est-il réellement respecté ? Certains d’entre eux nous ont confié leurs doutes à ce sujet. Ils soulèvent d’ailleurs des questions importantes : dans quelle mesure des prêtres diocésains, que chacun sait déjà très occupés, vont-ils pouvoir assurer en plus de leurs missions habituelles celles que remplissaient les prêtres de la FSSP ? Obliger des prêtres qui n’ont pas l’habitude de célébrer la messe dite de saint Pie V va-t-il permettre un déploiement de la liturgie similaire à celui assuré par les prêtres de la FSSP ? 

Loin de calmer les esprits, le communiqué renforce le sentiment d’injustice chez une partie des fidèles concernés.  En outre, Mgr Minnerath refusait alors de recevoir l’abbé Paul-Joseph pour trouver une solution qui permettrait à une collaboration déjà ancienne de perdurer. 

Rapidement et dès la concertation entre l’évêque et des fidèles, le bruit court selon lequel le problème majeur du conflit résiderait dans le refus par les prêtres de la FSSP de concélébrer lors de la messe chrismale. Le 17 juin, un nouveau communiqué du diocèse vient préciser les raisons qui ont amené Mgr Minnerath à prendre sa décision : « Il avait été convenu que le prêtre de la Fraternité devrait aussi célébrer de temps en temps avec les autres prêtres pour qu’il n’y ait pas séparation étanche entre les deux rites » (sic). Le motu proprio Summorum Pontificum parle de deux formes d’un même rite. Difficile de s’appuyer, pour confirmer ce point, sur la lettre de mission envoyée aux prêtres de la FSSP, ils n’en ont jamais reçu. Le communiqué précise qu’un prêtre de la FSSP était accepté pour assurer les messes selon le missel de Jean XXIII « à condition de ne pas refuser de concélébrer occasionnellement avec ses confrères diocésains » . La concélébration est donc bien au cœur de la mésentente. Jusqu’en 2016 l’abbé Garban, membre de la FSSP, acceptait de concélébrer occasionnellement. Depuis sa nouvelle affectation et donc son remplacement, ses successeurs ne souhaitaient pas concélébrer. Le communiqué continue en affirmant que ce choix est pour les prêtres concernés révélateur « d’une conception de leur ministère que nous ne partageons pas. L’ancien rite ne doit pas créer une communauté parallèle. Les prêtres doivent être libres de célébrer dans l’un et l’autre rite, et les fidèles font toujours partie de leur paroisse territoriale. » La confusion entre la forme et le rite est réitérée. Dans un communiqué paru le lendemain, la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre rappelle que « la FSSP n’a pas « exclu que ses prêtres célèbrent dans le rite ordinaire » mais elle respecte la volonté de ses membres en la matière et, à propos de la concélébration de la messe, elle entend se conformer au droit de l’Église qui reconnaît que doit être « respectée la liberté pour chacun de la célébrer individuellement. » (can. 902 CIC) ». La Fraternité précise, dans ce même texte disponible sur son site, que « chaque fois qu’un prêtre a été proposé pour exercer son ministère dans le diocèse, Mgr Minnerath l’a préalablement rencontré et a abordé avec lui la question de la concélébration. En acceptant dans son diocèse un prêtre de la FSSP, l’archevêque connaissait et acceptait donc la position de ce prêtre quant à la concélébration. » Oubli malheureux, le diocèse ne précise pas s’il y a eu avant le renvoi de la FSSP une monition envoyée aux prêtres ou une demande effectuée auprès le l’abbé Paul-Joseph afin qu’il envoie un prêtre acceptant la concélébration (quoiqu’il y en ait peu). 

La décision de Mgr Minnerath à quelques mois de son départ est surprenante. Il ne sera pas présent lors de la prochaine messe chrismale, pourquoi ne pas laisser son successeur aviser ? Il y a un an, la convention donnant la jouissance de l’église natale de saint Bernard à la FSSP a été rompue par l’évêque. Mgr Minnerath annonçait alors l’installation de la communauté Aïn Karem, qui n’a finalement pas eu lieu. Pourquoi l’évêque n’a-t-il pas signé une nouvelle convention ? En plaçant la FSSP dans une situation d’instabilité - l’absence de lettre de mission en témoigne -, l’évêque de Dijon semblait déjà mûrir cette éviction. 

L’attachement des fidèles (« un petit groupe » dit le communiqué, 150 fidèles réguliers, 300 en comptant les occasionnels) à leurs prêtres est pointé du doigt par l’évêque ainsi que l’exclusivité de la messe en forme extraordinaire. « Une partie des fidèles va facilement d’un rite à l’autre. Une autre partie n’admet pas la messe ordinaire et rejette ce qu’ils appellent "l’Église conciliaire" ». Visiblement il n’existerait pas de troisième voie : la possibilité d’assister exclusivement à la forme extraordinaire sans rejeter la forme ordinaire. Sur quelle base est donc assise cette assertion ?  Quelques commentaires Facebook ? Lesquels ? Sont-ils issus de paroissiens dijonnais ? Le communiqué n’apporte pas de précisions.

Alors que l’évêque remerciait les prêtres pour leurs bons services dans le premier communiqué, le ton change dans son deuxième mot : « Le blocage vient de l’attitude de la FSSP qui a exclu que ses prêtres célèbrent dans le rite ordinaire. Les fidèles ne comprennent pas ce blocage et se disent victimes de cet endurcissement. » Un appel téléphonique à l’abbé Paul-Joseph aurait évité d’écrire cette erreur grossière.  Quand Mgr Minnerath se plaint de l’envoi de deux prêtres au lieu d’un seul, le communiqué de la FSSP cite l’évêque en 2017 : « Je ne peux qu’approuver votre décision [l’envoi d’un prêtre supplémentaire] et me réjouir de voir, à la rentrée de septembre 2017, un autre prêtre venir renforcer la présence sacerdotale dans notre diocèse ».

La conclusion intitulée « Proposition » n’en est pas vraiment une : « Si les prêtres de la Fraternité avaient accepté, comme leur prédécesseur, de marquer leur unité avec nous au moins dans quelques concélébrations et s’ils ne considéraient pas leur groupe de fidèles comme leur domaine exclusif, nous nous serions réjouis de leur contribution. » L’ouverture est plus franche dans l’article du Bien Public, Mgr Minnerath ayant affirmé au journaliste « je pourrais revenir sur cette décision si la Fraternité Saint-Pierre accepte de concélébrer de nouveau » (20 juin).  Mgr Minnerath semble très à cheval sur la liturgie, la messe en forme ordinaire et l’application du Concile. Pourtant, où était le grégorien demandé par Sacrosanctum Concilium  (« L’Église reconnaît dans le chant grégorien le chant propre de la liturgie romaine ; c’est donc lui qui, dans les actions liturgiques, toutes choses égales d’ailleurs, doit occuper la première place. » SC 116) lors de la messe chrismale diffusée sur Youtube l’année dernière ? Est-il aussi sévère avec les prêtres de son diocèse qui ne respectent pas les rubriques à la lettre ? Les prêtres de la FSSP étaient présents lors des précédentes messe chrismale, pourquoi les brusquer dans leur choix en conscience qu’ils sont libres de poser ? Pourquoi au lieu d’un communiqué lapidaire et factuellement erroné l’évêque n’a-t-il pas accédé rapidement à la requête de dialogue apaisé de la FSSP ? 

Le discours de Mgr Minnerath à quelques mois de son départ semble se durcir. En témoigne le bref échange qu’il a eu le 16 juin avec des fidèles sur le parking de la maison diocésaine. Il avait alors lancé que sa décision n’était pas une lubie avant d’affirmer qu’ils sont plusieurs « à avoir le même discernement sur la question » pour finir par affirmer « cela va être universel, vous allez voir ! ». Affirmation réitérée lors de la manifestation des fidèles le 26 juin devant l’archevêché. À cette occasion Mgr Minnerath a lancé : « J’anticipe ce qui sera demandé partout dans le monde. Le pape va bientôt s’exprimer ! » alors qu’un fidèle lui répondait que « personne ne sait ce qu’il va dire » l’évêque a aussitôt rétorqué « mais moi je sais ce qu’il va dire ! ». Une référence explicite au texte attendu du pape qui devrait venir réformer le motu proprio de Benoit XVI Summorum Pontificum, publié en 2007. Mgr Minnerath étant membre, depuis 2015, de la Congrégation pour la doctrine de la Foi, il aurait pu avoir accès au document. À l’époque de la parution du texte de Benoit XVI, Mgr Minnerath écrivait pourtant : « Nous avons appris à respecter les sensibilités de chacun. Qu’entre le plus grand nombre qui continuera à célébrer selon la liturgie rénovée d’après le Concile et ceux qui célèbreront d’après la forme antérieure, règnent l’acceptation mutuelle, l’unité et "par-dessus tout la charité" » (cf. 1 Co 13,13). 

Cet acte isolé pourrait être simplement perçu comme un acte autoritaire d’un évêque sur le départ. Pourtant le contexte actuel soulève d’autres questions. Alors qu’une Synthèse des résultats de la Consultation sur l’application du Motu proprio Summorum Pontificum demandée par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi en avril 2020 a été rendue en ce début d’année par la Conférence des Evêques de France et fait montre d’une mauvaise foi singulière ainsi qu’un manquement à la requête même de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Alors qu’est attendu un document qui devrait venir limiter ce motu proprio qui oeuvre pour la paix liturgique. Nous pouvons nous interroger : qui souhaite rouvrir la guerre liturgique ? Quel est l’objectif de ces brimades à destination des fidèles attachés à la forme extraordinaire du rite romain ? Pourquoi un chantage à la concélébration (« ou bien ils concélébrent de temps en temps et ils restent, ou ils refusent et ils partent ») ? Mgr Minnerath l’a dit lors de la manifestation du 26 juin : « Je n’ai demandé que la concélébration, comme signe de communion ». Pourquoi ne pas en demander un autre ? Peut-être aura-t-il changé d’avis en fin de semaine puisqu’il a accédé, suite à une troisième demande, de rencontrer les prêtres de la FSSP.

Point encourageant dans ce contexte tendu, la Conférence des évêques de France a annoncé la création d’une instance de dialogue avec les communautés dites « Ecclesia Dei » (3). Une première réunion s’est tenue le 14 juin réunissant en plus des responsables de cette instance, à savoir Mgr Lebrun (archevêque de Rouen) et Mgr Leborgne (évêque d’Arras) : le père Louis-Marie de Blignères, prieur général de la Fraternité Saint-Vincent Ferrier ; le père Emmanuel-Marie, père-abbé des Chanoines réguliers de la Mère de Dieu ; l’abbé Mateusz Markiewicz, supérieur pour l’Europe de l’Institut du Bon Pasteur ; l’abbé Benoît Paul-Joseph, supérieur du district de la France pour la Fraternité Saint-Pierre et le chanoine Louis Valadier, provincial pour la France de l’Institut de Christ-Roi Souverain Prêtre. Les participants ont salués cette volonté d’échanger. Une rencontre annuelle devrait suivre. 

(Sollicité à différentes reprises, au téléphone puis par courriel, le diocèse de Dijon n’a pas répondu à notre demande d’entretien)

1. La Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre est une société cléricale de vie apostolique et de droit pontifical. Fondée en 1988, cette communauté de prêtres au service de l’Église travaille à une double mission : la formation et la sanctification des prêtres, et leur action pastorale sur le terrain. Présente dans une quarantaine de diocèses en France, la Fraternité Saint-Pierre sert l’Église en vivant de la liturgie selon la forme extraordinaire du rite romain.
2.  Parfois appelée « Les amis de la Basilique saint Bernard de Dijon » : association de fidèles œuvrant en parallèle de l’apostolat des prêtres de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre. 
3. La Commission Pontificale Ecclesia Dei a été fondée par Jean-Paul II en 1988 par le Motu proprio du même nom. Elle était en charge de donner un statut canonique aux communautés attachées à la célébration de la forme extraordinaire du rite romain. Le Pape François a supprimé en 2019 cette commission et transféré ses compétences à la Congrégation pour la doctrine de la foi.

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