Fin de l’enquête sur l’immeuble de Londres : dix personnes seront jugées au Vatican dont le cardinal Becciu (04/07/2021)

De Vatican News :

Fin de l’enquête sur l’immeuble de Londres, dix personnes seront jugées au Vatican

Un procès aura lieu à l’encontre de Mgr Carlino, Enrico Crasso, Tommaso Di Ruzza, Cecilia Marogna, Raffaele Mincione, Nicola Squillace, Fabrizio Tirabassi, Gianluigi Torzi, René Brülhart et le cardinal Angelo Becciu.

3 juillet 2021

L'enquête, longue et complexe, a été menée par le Promoteur de Justice Gian Piero Milano et les magistrats Alessandro Diddi et Gianluca Perrone. Une enquête qui s'est déroulée grâce aux investigations de la gendarmerie vaticane dirigée par le commandant Gianluca Gauzzi Broccoletti et qui a conduit à l'examen d'une grande quantité de documents, d'appareils électroniques saisis chez les suspects, ainsi qu'à la confrontation de témoins.

Le président du Tribunal de la Cité du Vatican, Giuseppe Pignatone, a ordonné l’inculpation de dix personnes, suite à la demande présentée par le Bureau du Promoteur de Justice, rapporte un communiqué du Bureau de presse du Saint-Siège ce samedi 3 juillet. L’acte d’accusation, déposé ces derniers jours, conclut la première phase de l'enquête : les documents recueillis jusqu'à présent seront examinés par la Cour lors de l'audience publique qui opposera l'accusation à la défense. La première audience est prévue pour le 27 juillet.

Les personnes suivantes seront jugées : René Brülhart (ancien président de l’AIF, Autorité d’Information Financière) à qui l'accusation reproche le délit d'abus de pouvoir ; Mgr Mauro Carlino (ancien secrétaire du Substitut de la Secrétairerie d'État) accusé d'extorsion et d'abus de pouvoir ; Enrico Crasso (l’intermédiaire gestionnaire pendant des décennies des investissements de la Secrétairerie d'État), accusé des délits de détournement de fonds, corruption, extorsion, blanchiment d'argent et auto-blanchiment, fraude, abus de pouvoir, faux en écriture publique commis par un particulier et faux écriture privé ; Tommaso Di Ruzza (ancien directeur de l’AIF) accusé de détournement de fonds, d'abus de pouvoir et de violation du secret professionnel.

Egalement sur les bancs de la justice : Cecilia Marogna (qui a reçu des sommes considérables de la Secrétairerie d'État pour mener des activités de renseignement) accusée de détournement de fonds ; Raffaele Mincione (l’intermédiaire qui a fait souscrire à la Secrétairerie d'État d'importantes parts du fonds possesseur de l'immeuble londonien du 60 Sloane Avenue, utilisant l'argent reçu pour ses investissements spéculatifs), accusé de détournement de fonds, fraude, abus de pouvoir, détournement de fonds et auto-blanchiment ; Nicola Squillace (avocat impliqué dans les négociations) accusé de fraude, détournement de fonds, blanchiment d'argent et auto-blanchiment ; Fabrizio Tirabassi (un assistant, employé du Bureau administratif de la Secrétairerie d'État qui a joué un rôle de premier plan dans l'affaire) accusé de corruption, extorsion, détournement de fonds, fraude et abus de pouvoir ; Gianluigi Torzi (l’intermédiaire appelé pour aider le Saint-Siège à sortir du fonds de Raffaele Mincione qui se fait octroyer jusqu'à 15 millions pour rendre l’immeuble à ses propriétaires légitimes) accusé d'extorsion, détournement de fonds, fraude, blanchiment d'argent et auto-blanchiment.

La demande de citation à comparaître a également été présentée à l'encontre des sociétés suivantes : HP Finance LLC, d’Enrico Crasso, accusée de fraude ; Logsic Humanitarne Dejavnosti, D.O.O., de Cecilia Marogna, accusée de détournement de fonds ; Prestige Family Office SA, d’Enrico Crasso, accusée de fraude ; Sogenel Capital Investment, désignée par Enrico Crasso, accusée de fraude. Certains délits sont également considérés comme ayant été commis en « complicité ».

Des éléments sont également apparus concernant le cardinal Becciu, contre lequel des poursuites sont engagées, comme prévu par les normatives en vigueur, pour détournement de fonds, abus de pouvoir, également en complicité, et subornation.

Dans une déclaration publiée par ses avocats, le cardinal se définit « victime d'un complot », qui l'a exposé « à un pilori médiatique sans égal » et ce n'est que grâce à la foi, dit-il, qu'il peut « trouver la force de mener cette bataille pour la vérité »« Enfin », conclut le prélat, « le moment de la clarification approche, et le Tribunal pourra constater le caractère absolument mensonger des accusations ». Réagissant à son tour, René Brülhart a pour sa part déclaré que « l'affaire constitue un vice de procédure » qui sera clarifié, affirmant avoir toujours exercé ses fonctions et ses devoirs « avec correction, loyauté et dans l'intérêt exclusif du Saint-Siège et des organes qui le représentent ».

Parallèlement, la Secrétairerie d'État a décidé de se constituer partie civile dans le procès, et sera représentée par l’avocate Paola Severino.

Sous enquête depuis 2019

Les enquêtes, qui ont débuté en juillet 2019 suite à une plainte de l'Institut des Œuvres de Religion et du bureau du Réviseur Général, indique le communiqué «ont bénéficié d’une synergie totale entre le Bureau du Promoteur et la Section de Police Judiciaire du Corps de Gendarmerie Vaticane. L’instruction a également été menée en étroite et fructueuse collaboration avec le Parquet de Rome et l’unité de la Police Economico-Financière - G.I.C.E.F. de la Brigade Fiscale de Rome. La coopération avec les parquets de Milan, Bari, Trento, Cagliari et Sassari et les sections respectives de Police Judiciaire a également été appréciable».

«Les investigations, menées également par commissions rogatoires dans de nombreux autres pays étrangers (Émirats arabes unis, Grande-Bretagne, Jersey, Luxembourg, Slovénie, Suisse), ont permis de mettre en lumière un vaste réseau de relations avec des opérateurs des marchés financiers, ayant généré des pertes substantielles pour les finances du Vatican, et puisé jusque dans les ressources destinées à l'action caritative personnelle du Saint-Père». peut-on également lire dans le communiqué. «L'initiative judiciaire, est-il souligné, est directement liée aux indications et aux réformes» du Pape François, «dans le travail de transparence et de réorganisation des finances du Vatican ; travail qui, selon l'hypothèse accusatoire, aurait été contrée par des activités spéculatives illégales et préjudiciables à la réputation dans les termes indiqués dans la demande d'inculpation». 

L’investissement dans le Fonds de Raffaele Mincione

Un premier volet important de l'enquête concerne l'investissement de la Secrétairerie d'État dans le fonds Athena Capital Global Opportunities de Raffaele Mincione, une opération qui a eu lieu entre juin 2013 et février 2014. La Secrétairerie d'État emprunte deux cents millions de dollars au Crédit Suisse pour investir dans le fonds de Raffaele Mincione (100 dans la partie mobilière, 100 dans la partie immobilière relative à l’immeuble de Londres).

L’investissement, hautement spéculatif, provoque de graves pertes pour le Saint Siège. Au 30 septembre 2018, les actions avaient perdu plus de 18 millions d'euros par rapport à la valeur de l'investissement initial, mais la perte globale est estimée à un montant beaucoup plus important. Raffaele Mincione utilise l'argent du Vatican pour réaliser des opérations imprudentes et pour tenter de racheter des instituts bancaires en crise. Face à des résultats désastreux, la Secrétairerie d'État tente de se dégager de l'investissement et de prendre possession de la propriété.

L'arrivée de Gianluigi Torzi et l'extorsion

L'opération prévoit le versement de 40 millions de livres à Raffaele Mincione par la Secrétairerie d'État, en échange de ses actions. Décision est prise de confier cette tâche à une société appartenant à un autre intermédiaire financier, Gianluigi Torzi, qui parvient à garder le contrôle et à tromper le Saint-Siège grâce à des complicités internes. La documentation produite par les magistrats du Vatican montre que Raffaele Mincione et Gianluigi Torzi étaient en fait d'accords pour réaliser l'opération avec la Secrétairerie d'Etat.

Les magistrats du Vatican identifient Enrico Crasso et Fabrizio Tirabassi comme deux personnages clés et estiment qu'ils ont obtenu des commissions de Raffaele Mincione et des versements en espèces de Gianluigi Torzi pour les faire entrer au Vatican. Grâce à des complicités internes, Gianluigi Torzi a réussi à faire signer par le Vatican un accord d'achat d'actions qui a de fait privé la Secrétairerie d’Etat du contrôle de la propriété de Londres. Il atteint cet objectif en créant 1000 actions de la société GUTT SA et en attribuant un droit de vote uniquement à ces actions qu'il détient. Les 30 000 autres actions, détenues par la Secrétairerie d'État, ne sont pas pourvues du droit de vote. La Secrétairerie d'État se retrouve donc avec un autre intermédiaire financier au Vatican à qui tout pouvoir de décision a été laissé.

Des supérieurs trompés

Les magistrats du Vatican estiment que «ni Mgr Perlasca, signataire de l'accord d'achat d'actions, ni ses supérieurs, le Substitut Edgar Peña Parra et surtout le cardinal Pietro Parolin, n'ont été effectivement informés, ni étaient pleinement conscients des effets juridiques des différentes catégories d'actions». La même procuration du Substitut, qui aurait été nécessaire pour signer l'accord, a été obtenue post-factum et sans que les supérieurs ne soient mis au courant du subterfuge qui permettait à Gianluigi Torzi de tout contrôler. Pour obtenir le contrôle du bâtiment et la sortie de scène de Torzi, grâce à la complicité interne des suspects pour lesquels l'inculpation a été demandée, 15 millions d'euros sont extorqués à la Secrétairerie d'État et versés à l’intermédiaire avec une justification irrégulière.

Le rôle de l’AIF

Selon les magistrats du Vatican, l’AIF (Autorité d’Information Financière) «a négligé les anomalies de l'opération de Londres, dont elle a été immédiatement informée, surtout si l'on considère la richesse des informations qu'elle avait acquises grâce aux activités de renseignement». Selon la documentation produite par l'accusation, l’AIF a joué «un rôle décisif dans l'accomplissement du processus de liquidation des prétentions de Gianluigi Torzi».

Le cardinal Becciu

Le cardinal, ancien Substitut de la Secrétairerie d'Etat, n'apparait pas immédiatement dans l'enquête. Il est impliqué car les magistrats l'accusent d'«interférences» et pensent qu'il est à l'origine des offres d'achat de l’immeuble londonien qui ont soudainement émergé fin mai 2020, soit quelques jours avant l'interrogatoire de Gianluigi Torzi. Selon des témoignages, Angelo Becciu a également essayé d’obtenir la rétractation de Mgr Perlasca. Les versements effectués par la Secrétairerie d'État à Cecilia Marogna sur les instructions d’Angelo Becciu sont également visés par l'enquête. L'entreprise de Cecilia Marogna a reçu entre le 20 décembre 2018 et le 11 juillet 2019 des versements effectués par la Secrétairerie d'État pour un montant de 575 000 euros.

Les enquêtes, sur commission rogatoire, ont permis de constater que ces sommes «ont été utilisés, dans la quasi-totalité, pour effectuer des achats non compatibles et donc non justifiables avec l'objet social de cette même société». Enfin, les magistrats accusent le cardinal Becciu d'avoir financé et fait financer la coopérative de son frère Antonino, à hauteur de 600 000 euros provenant des fonds de la Conférence épiscopale italienne et de 225 000 euros provenant des fonds de la Secrétairerie d'État. Ces dons auraient été «largement utilisés à des fins autres que les fins charitables auxquelles ils étaient destinés».

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