L'homélie de l'archevêque de Reims pour la messe de clôture du pèlerinage des pères de famille (07/07/2021)

Homélie pour la messe de clôture du pèlerinage des pères de Famille (source)

Homélie de Mgr Eric de Moulins-Beaufort pour la messe de clôture du pèlerinage des pères de famille, le samedi 3 juillet, en la Cathédrale Notre-Dame de Reims.

L’évangile selon saint Matthieu s’ouvre par une généalogie qui va de père en fils, depuis Abraham et ses descendants en passant par David et la succession des siens jusqu’à Joseph, donc, où la succession s’interrompt : c’est un peu de côté en quelque sorte qu’est né Jésus : non pas Jacob engendra Joseph, Joseph engendra Jésus, mais : « Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle fut engendré Jésus ». Devons-nous comprendre que Joseph soit un peu moins père que ses ancêtres et, disons-le, un peu moins père que vous ?

La réponse est sans aucun doute : non. Mieux vaut comprendre que nul n’a été autant père, ne l’a été avec autant de vérité que Joseph. D’abord notons que la généalogie énonce une demi-fiction en négligeant sauf en quatre cas précis, de mentionner la mère et en un cas de mentionner les frères et en oubliant absolument les sœurs. Car aucun homme n’engendre sinon par son union avec une femme ; nul ne devient père sans permettre à une femme de devenir mère. S’il est vrai qu’être père ne se limite pas au seul fait matériel de concevoir un enfant mais décrit plutôt le long processus par lequel un homme aide son fils ou sa fille à devenir un homme ou une femme digne de sa liberté, être père ne se fait jamais sans être d’une manière ou d’une autre un époux. En tout cas, la vérité de la paternité appelle la vérité de la relation conjugale. Joseph, notre Joseph, se trouve privé de l’acte charnel de concevoir son enfant, mais plus clairement qu’aucun autre, il est père en tant qu’il est l’époux de Marie et que celle-ci lui donne accès au fils qu’elle porte et qu’elle ne veut porter pour Dieu qu’en le portant aussi pour Joseph.

C’est pourquoi il faut bien comprendre ce que veut dire saint Matthieu lorsqu’il écrit que Joseph, parce qu’il était un homme juste, « ne voulait pas dénoncer Marie publiquement. » Ne nous limitons pas à penser que Joseph, parce qu’il serait apitoyé par Marie, manquerait à son devoir à l’égard de la loi de Dieu qui était la loi d’Israël. Comprenons plutôt ceci : Joseph est un « homme juste », un homme qui a le sens de Dieu. Il ne soupçonne pas Marie de lui avoir manqué. Il sent la présence de Dieu, il pressent qu’en elle, s’accomplit la promesse de Dieu, la venue du Messie attendu depuis des siècles. Il se retire donc du jeu. Devant le Dieu vivant, il est prêt à se retirer sur la pointe des pieds. Mais l’ange, en songe, lui ordonne « Ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse. » Elle sera vraiment son épouse, parce que, grâce à lui, elle sera mère et que son enfant sera inséré dans la succession de ses aïeux ; lui sera vraiment père parce qu’il permet à sa femme d’être mère dans la paix, et à celui que Dieu a donné, Dieu né de Dieu, d’être vraiment enfant des humains, d’être pleinement : « Dieu-avec-nous, Emmanuel ». Nul homme mieux que saint Joseph n’a su admirer l’œuvre de la grâce de Dieu dans son épouse et dans son fils. Nul homme mieux que saint Joseph n’a su s’émerveiller et se réjouir de la beauté et de la bonté de l’œuvre de Dieu, habitant un cœur humain, y faisant sa demeure. La paternité aboutie, nous le découvrons en lui, n’est pas dans la possession, dans la domination, dans le fait que tout se plie aux désirs du père, mais dans la capacité de se mettre au service de l’œuvre du plus grand que nous tous. Mais cela suppose que les deux époux s’entraident à s’ouvrir à la grâce du Dieu vivant, à progresser dans l’attention aux autres, le renoncement à soi, la prise au sérieux des événements de la vie et la capacité à ne se laisser accabler par rien.

Une telle paternité passe par un retrait et par un engagement. Joseph est prêt à se retirer, il demeure à jamais continent, et pourtant, il agit : « Quand Joseph se réveilla, il fit ce que l’Ange du Seigneur lui avait prescrit : il prit chez lui son épouse. » Dieu ne s’adresse pas à Joseph par des ordres mais par un songe. Il appartient à Joseph de l’interpréter, d’en comprendre ce qui lui revient à faire, et ce qu’il comprend il le fait. Il en sera de même au moment de la fuite en Égypte. Saint Paul a su comprendre comment cette attitude vraiment paternelle, vraiment porteuse de vie, était préparée par Dieu déjà en Abraham. La promesse reçue était : « Vous recevez le monde en héritage ». Mais il ne s’agissait pas de posséder le monde comme on possède sa maison ou son jardin. Il s’agissait d’être « le père d’un grand nombre de peuples », et même, potentiellement, de tous les humains, tous engendrés par l’acte de foi d’Abraham : un jour, celui-là, face à son fils Isaac que Dieu lui demandait de lui offrir, a cru « que Dieu donne la vie aux morts et appelle à l’existence ce qui n’existait pas » et il a « espéré contre toute espérance ». L’héritage qu’Abraham a laissé à son fils, au fils de la promesse, a consisté sans doute en troupeaux de moutons ou de chèvres ; en terme de propriété sur cette terre il ne lui a laissé que la grotte de Macpéla à Hébron où il avait enseveli sa femme Sara et où lui-même allait reposer. Mais il lui a accepté que son fils, plus que d’être son fils, le prolongement de son père, porte au milieu des nations la bénédiction de Dieu : « En toi se béniront toutes les nations. » Être père, dans la lumière d’Abraham et de Joseph, consiste à aider ses enfants à être bénédiction pour ceux et celles qui les rencontrent. Être juste aux yeux de Dieu, ce n’est pas faire seulement, ce n’est pas être parfait en tout non plus, c’est avoir confiance que l’œuvre de vie de Dieu ne s’interrompt jamais et que les autres en sont partie prenante, plus parfois que nous ne savons le voir, toujours différemment en tout cas, et c’est se réjouir qu’elle puisse passer un peu par nous, même si elle nous décape au passage.

Cette année, votre pèlerinage prend une portée spéciale puisque l’Église entière vit une année Saint-Joseph. Le Saint-Père a senti que l’exemple et la protection de saint Joseph pouvaient être particulièrement bénéfiques pour les temps où nous sommes. Pour les familles où l’on découvre que la violence est toujours possible dans les relations conjugales et familiales, que les désirs ont toujours à être purifiés et transfigurés. Pour l’Église aussi qui découvre en son sein des violences insoupçonnées mais parfois dissimulées. J’ai écrit, dans le mot que je vous ai adressé et qui ouvre votre livret de pèlerins, que « la maturité des pères de famille devait nous inspirer, nous autres, évêques et prêtres » qui usons ou avons usé facilement de la métaphore familiale, sans toujours dépasser le stade de la métaphore ». Nous risquons toujours, nous autres, de nous payer de mots, alors que vous avez, frères, à vous laisser façonner par la réalité quotidienne de votre épouse et de vos enfants et de vos parents parfois encore, qui vous gardent tous de vous rêver vous-mêmes. Oui, nous, évêques et prêtres, avons besoin de vous regarder, vous, pères de famille, pour mieux remplir notre mission, et nous avons à le faire dans l’émerveillement et la confiance, en reconnaissant en vous ce que nous admirons en saint Joseph,

                                                                                           Amen.

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