Messe traditionnelle : le pape voudrait revenir sur les ouvertures de Benoît XVI (11/07/2021)

De Jean-Marie Guénois sur le site du Figaro via "Pour une école libre au Québec" :

Le pape François veut réduire l'influence des traditionnalistes en revenant sur les ouvertures de Benoît XVI

Quatorze ans après la décision de son prédécesseur de libéraliser la messe en latin, le pape argentin envisage de restreindre son application pour réduire l’influence des traditionalistes.

Le 7 juillet 2007, Benoît XVI avait ouvert un nouvel horizon à la liturgie traditionnelle. Dans un décret devenu célèbre, le motu proprio Summorum pontificum, il accordait une place nouvelle à l’« ancienne messe » alors qu’elle avait été marginalisée par le concile Vatican II (1962-1965).La liturgie traditionnelle dans l’Église ne lésine pas sur l’encens. Ses volutes légères et profondes veulent exprimer un mystère. Un autre mystère plane toutefois sur l’avenir de cette tradition connue sous le nom de « messe en latin ». François pourrait en limiter l’usage. Benoît XVI avait pourtant redonné ses lettres de noblesse à cette liturgie. Nuage fugitif ou orage annoncé ?

« Extraordinaire » et « ordinaire » Le pape allemand reconnaissait la pertinence de la messe dite de saint Pie V, telle qu’elle était dite avant ce concile en lui conférant un statut pérenne, celui de rite « extraordinaire ». Il demeurerait à côté du rite « ordinaire », celui de la messe dite de Paul VI. Non comme une alternative pour tous les catholiques, mais comme une possibilité pour les fidèles demandeurs. Il suffisait qu’un « groupe stable de fidèles attachés à la tradition liturgique antérieure » se signale au curé de la paroisse pour que celui-ci « accueille volontiers leur demande », sans recourir à l’autorisation de l’évêque. Benoît XVI attendait des deux formes du rite de l’Église latine, « extraordinaire » et « ordinaire », qu’elles vivent un « enrichissement mutuel ». Quelques mois plus tôt, dans une tribune collective publiée dans Le Figaro, des personnalités tels que le philosophe René Girard, le chef d’entreprise Bertrand Collomb, les comédiens Jean Piat et Claude Rich ou encore l’historien Jean-Christian Petitfils appelaient de leurs vœux cette décision pontificale.

Cette libéralité pourrait avoir vécu. Le pape François lui-même a révélé le 24 mai dernier à Rome, aux évêques italiens réunis à huis clos, que la révision du motu proprio de Benoît XVI ne tarderait pas. De fait, ce projet, toujours tenu secret, en est à sa troisième version. Plusieurs sources fiables indiquent que cette révision ne remettrait pas en cause la reconnaissance du rite de saint Pie V à titre « extraordinaire ». Il ne toucherait pas davantage aux associations religieuses de prêtres constituées et concernés par ce rituel. Serait en revanche visé le libéralisme du motu proprio de Benoît XVI : ce serait désormais l’évêque local, et non plus les fidèles, qui contrôlerait le droit de célébrer selon le rituel extraordinaire. Second axe de révision : au Vatican, les « traditionalistes » — ainsi sont-ils dénommés dans l’Église — ne dépendraient plus d’une structure ad hoc abritée au sein de la Congrégation pour la doctrine de la foi qui protégeait de facto les entités traditionalistes.

La sphère traditionaliste

À l’avenir, toute question non soluble par l’évêque local serait traitée, selon la nature du sujet, au sein des congrégations vaticanes compétentes : évêques, clergé, liturgie, qui sont les « ministères » romains spécialisés du gouvernement de l’Église. Le dossier traditionaliste ne serait plus un cas à part.

Quand cette révision sera-t-elle publiée ? Selon nos informations, la version finale aurait été validée pour une sortie imminente.

Que représente la sphère traditionaliste en France ? Une enquête de l’épiscopat vient de recenser « un à deux » lieux de cultes par diocèse accueillant « moins de 100 fidèles », voire « entre 20 et 70 ». Soit 20 000 personnes au mieux. Le mensuel de référence en ce domaine, La Nef, vient de publier dans son dernier numéro une enquête complète, estimant ces pratiquants entre 31 000 et 51 000 fidèles. En ajoutant ceux qui désireraient aller à ces messes mais qui habitent trop loin, il estime « les fidèles tradis à environ 60 000 personnes ». Avec de fortes disparités régionales et la présence de bastions comme Versailles, qui représente 10 % de ce chiffre. Le choix pour le rite tridentin, 250 lieux de culte en France, attirerait, selon cette source, 4 % des pratiquants. Sans compter les fidèles de la Fraternité Saint-Pie-X (les « lefebvristes »), qui compteraient 35 000 fidèles en France. Au total, un poids loin d’être négligeable.

Quant aux prêtres qui célèbrent, ils peuvent être issus du clergé diocésain, mais la plupart viennent de la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre (FSSP), qui compte plus de 342 prêtres d’un âge moyen de 38 ans, et dont 80 exerçant en France, et de l’Institut du Christ Roi Souverain Prêtre (ICRSP), qui recense plus de 100 prêtres (âge moyen de 36 ans). [beaucoup plus jeunes que les prêtres « modernes ».] Il existe aussi nombre de communautés monastiques qui célèbrent la messe sous la forme extraordinaire du rite romain : les bénédictins de Fontgombault ou du Barroux ou encore les chanoines de l’abbaye de Lagrasse.

Contrôle épiscopal

Cette influence persistante auprès d’un public souvent rajeuni explique-t-elle que le pape prenne le risque de déséquilibrer le modus vivendi apporté par le motu proprio ? François, c’est de notoriété publique, n’apprécie pas la messe selon l’ancien rite, à l’inverse de son prédécesseur. Ordonné prêtre en décembre 1969, il ne l’aurait jamais célébrée. Il l’avait interdite le 22 mars dans la basilique Saint-Pierre avant de la réhabiliter devant les protestations, dont celle du cardinal Robert Sarah, mais à de strictes conditions.

Le pape argentin respecte [quelque peu] toutefois ceux qui se retrouvent dans ce rite. Son objectif affiché n’est pas d’empêcher les prêtres affiliés à cette famille liturgique d’y rester fidèles, mais, en invoquant l’esprit de ce motu proprio tel que l’avait décrit Benoît XVI, d’imposer un nouveau contrôle épiscopal. « Pour vivre la pleine communion, écrivait Benoit XVI, les prêtres des communautés qui adhèrent à l’usage ancien ne peuvent pas non plus, par principe, exclure la célébration selon les nouveaux livres. » Autrement dit, les prêtres célébrant dans l’ancien rite ne doivent pas refuser le rituel conciliaire de la messe. « Benoit XVI a fait un geste juste et magnanime pour aller à la rencontre d’une certaine mentalité, de certains groupes et personnes qui ressentaient de la nostalgie et s’éloignait, mais c’est une exception, expliquait François en 2016 au jésuite Antonio Spadaro. C’est pour cela que l’on parle de rite extraordinaire. »

Mais le pape ajoutait : « Vatican II et la constitution conciliaire Sacrosanctum concilium (qui réformait la messe) doivent continuer d’être appliqués tels qu’ils sont. » Pour François, la permission de célébrer selon le rite ancien ne sera jamais une alternative de plein droit. Elle doit rester une « exception ».

L’enjeu est clair : « Il ne faudrait pas induire dans l’esprit des séminaristes qu’il existe deux formes au choix dans l’Église latine ». « Une Église parallèle se dessine », alertait l’enquête de l’épiscopat français, partie de l’enquête mondiale lancée sur ce sujet en mars 2020 par le pape François lui-même. Il suit personnellement ce dossier, plaçant des hommes à lui pour le piloter, comme Mgr Aurelio Garcia Macias, un Espagnol qu’il vient de promouvoir au sein de la Congrégation pour le culte divin. Le pape, décidé à recadrer les choses, confiait aussi à son ami jésuite Spadaro : « J’essaye de comprendre ce qu’il y a derrière des personnes qui sont trop jeunes pour avoir vécu la liturgie préconciliaire mais qui la veulent quand même. Parfois, je me trouve face à des personnes très rigides. »

De fait, cette liturgie attire des jeunes et des familles, l’Église le constate. « Il ne peut pas y avoir deux liturgies parallèles. Ce qui est en jeu est l’unité à long terme de l’Église », explique Andréa Grillo, théologien italien et laïque, spécialiste de liturgie, ennemi juré du motu proprio, qui aurait l’oreille du pape sur ce sujet. « Cette révision du motu proprio arrêtera ce biritualisme dans l’Église latine qui n’était pas l’intention de Benoît XVI. » Mais « l’idée de mettre sur le même plan les deux rituels, comme si le concile Vatican II n’avait jamais existé, s’installe chez de jeunes prêtres comme dans certains diocèses de la côte ouest des États-Unis où les séminaires forment aux deux rites, ordinaire et extraordinaire. » Professeur influent, il avertit : « La forme extraordinaire est devenue, depuis 2007, la tranchée de résistance au concile Vatican II. »

La crise dijonnaise

En France, le temps des guerres de tranchées liturgiques ou doctrinales appartient pourtant au passé. Il existe quelques paroisses pratiquant les deux rites et nombre de jeunes fidèles peuvent indifféremment passer d’une liturgie à l’autre. Le souci de l’ars celebrandi (l’attention portée à chaque geste de la liturgie), défendu ardemment par Benoit XVI, s’étend bien au-delà des traditionalistes. C’est, par exemple, l’une des caractéristiques de la Communauté Saint-Martin, communauté de prêtre diocésain, devenu un des séminaires les plus importants de France. Une crise récente dans le diocèse de Dijon a pu donner l’impression que les relations entre les milieux traditionalistes et l’Église de France seraient conflictuelles.

Le 17 mai, Mgr Roland Minnerath a mis un terme à un accord passé il y a vingt-trois ans avec la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre pour assurer la messe dans la basilique Saint-Bernard de Fontaine-lès-Dijon. Le 26 juin, des fidèles manifestaient devant l’évêché pour réclamer le « dialogue ». L’évêque est descendu pour répondre qu’il attendait un retour à sa dernière proposition : « Ou bien les prêtres acceptent de concélébrer de temps en temps, eux ou d’autres, et ils restent, ou bien ils partent. »

« Concélébrer » ? Le concile Vatican II ouvre la possibilité de permettre à plusieurs prêtres de célébrer la même messe. Considérée comme un symbole d’unité du clergé, cette pratique est refusée par une petite partie des prêtres traditionalistes. La tension sur ce point se fait sentir, dans une minorité de diocèses, le jeudi saint, quand tous les prêtres concélèbrent autour de leur évêque. Dans ce cas, toutefois, les prêtres participent à la messe mais ne concélèbrent pas.

En réalité, la crise dijonnaise, envenimée par des caractères personnels, est une exception qui confirme une règle générale marquée par l’apaisement des relations entre le monde « tradi », les fidèles et l’épiscopat. Une réunion nationale, ce fut une première, a d’ailleurs eu lieu entre eux le 14 juin. Impensable il y a peu, le numéro spécial de La Nef publie une interview de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques, où il atteste de cette « intégration plus naturelle », même s’il s’inquiète de « certains groupes qui se durcissent dans une posture spirituelle et politique ». Mais l’Évêque de Reims poursuit : « Ces communautés regroupent souvent de jeunes familles et de jeunes gens. Certains de ces fidèles appartiennent au monde dit de la tradition depuis des générations, mais un nombre non négligeable se sont approchés de la foi grâce à la messe dite de saint Pie V. Les fidèles de ces communautés enrichissent donc l’Église du Christ, selon la mesure où ils consentent à être pleinement membres de la “grande” Église. » Autre indicateur : l’enquête interne menée par l’épiscopat, très critique sur certains points, reconnaît : « Dans la plupart des diocèses, la situation semble apaisée. »

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