Grillo : un des inspirateurs de la suppression de Summorum Pontificum (16/07/2021)

De "Paix Liturgique" (lettre n°807) :

ANDREA GRILLO, UN DES PENSEURS DE LA SUPPRESSION DE SUMMORUM PONTIFICUM

ENQUETE SUR LES ENNEMIS DE LA PAIX DANS L'EGLISE

Dans notre lettre 805 du 28 Juin 2021, nous évoquions l’offensive contre Summorum Pontificum, menée par un groupe de pression œuvrant au sein de la Curie et de l’épiscopat italien, auquel un intellectuel engagé s’employait à donner des munitions, Andrea Grillo, professeur de liturgie à l’Université romaine Saint-Anselme. Nous citions un important article de cet auteur, « Il peccato dell’Ecclesia Dei si chiama Summorum Pontificum », Le péché d’Ecclesia Dei se nomme Summorum Pontificum ( http://www.cittadellaeditrice.com/munera/il-peccato-delle... ), qu’il nous a paru utile de reproduire, car il éclaire parfaitement les motifs de ceux qui tentent aujourd’hui, en une ou plusieurs étapes, d’anéantir l’esprit et la lettre du motu proprio Summorum Pontificum.

Qui est Andrea Grillo ?

Ce laïc de soixante ans, marié et père de deux enfants, docteur en droit de l’Université de Gênes, docteur en théologie de l’Institut de Liturgie de Padoue, très en phase avec le monde épiscopal italien progressiste, a fait partie de la Commission de la Conférence des Évêques d’Italie chargée de traduire et d’adapter le nouveau rite du sacrement du mariage. Il s’est d’ailleurs beaucoup investi dans le soutien de la novation intervenue dans la morale de la famille à l’occasion des assemblées du Synode sur la Famille et de l’exhortation Amoris laetitia (sa trouvaille est que beaucoup d’ouvertures peuvent être obtenues si on prend soin de distinguer le mariage et la famille…)

Il est professeur de théologie sacramentaire à l’Université pontificale Saint-Anselme, située sur l’Aventin, professeur de théologie à l’Institut de Liturgie pastorale de Padoue et à l’Institut théologique d’Ancône. Dans le petit monde extrêmement bugninien de l’enseignement de la liturgie en Italie, c’est une personnalité de poids (il est vice-président de l’Association des professeurs de liturgie), même s’il a par ailleurs une réputation d’intellectuel un peu répétitif. Son blog Come se non, est hébergé par Munera, « Revue européenne de Culture » : Andrea Grillo ( cittadellaeditrice.com ). On dit qu’il a l’oreille du pape.

Un article-programme

L’article que nous reproduisons ici, du 21 janvier 2019, très militant, comme tous ceux de Grillo, commente à chaud la suppression de la Commission Ecclesia Dei, intervenue quelques jours auparavant, le 17 janvier 2019, absorbée par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Il y développe un thème martelé depuis l’élection du pape Francois au sein de la Curie et de l’épiscopat italien, celui du scandale représenté par cette Commission : elle protégeait l’existence d’un monde liturgique et doctrinal parallèle à l’Eglise rénovée par le Concile.

Mais, à la différence des ecclésiastiques qui n’osaient pas s’en prendre directement à l’œuvre de Benoît XVI, A. Grillo se livre à une attaque frontale de Summorum Pontificum. Attaque qui a ensuite prospérée et qui a abouti aux projets actuellement sur la table.

Sur le fond, A. Grillo pointe ce qui est la force et la faiblesse de Summorum Pontificum, à savoir son affirmation que deux formes rituelles (fondées sur deux états doctrinaux notoirement hétérogènes) étaient deux expressions d’une identique lex orandi. Du coup la communion ecclésiale, remarque Grillo, n’est plus fondée sur une expression unique de la foi catholique vécue au moyen de la liturgie.

En un sens il a raison. C’était même tout le pari de Benoît XVI : d’une part, avec ce compromis, il assurait la paix de l’Église ; et d’autre part, il espérait qu’à terme cette coexistence de deux rites successifs, qualifiées de « formes » parallèles, contribuerait à raccrocher le rite nouveau à la tradition de l’Église par le biais de l’enrichissement réciproque » (un zeste de nouveauté dans la forme traditionnelle, préfaces, fêtes ; une infusion massive de tradition dans la forme nouvelle, sens de la célébration, communion, etc.) Sur le deuxième point, Benoît XVI était manifestement irénique. Sur le premier – la pacification – il avait obtenu un évident résultat.

C’est justement cette pacification que ne supportent pas A. Grillo et ses amis, car elle permet à la liturgie d’avant Vatican II de vivre et de prospérer, modestement dans l’absolu, certes, mais très sensiblement d’un point de vue relatif, du fait de l’effondrement progressif dans le néant du monde « ordinaire ».

D’où son idée disciplinaire (Grillo est un juriste !) toute simple : réduire la concession éventuelle, en fonction des circonstances, du rite ancien à une tolérance remise entre les mains des évêques (lesquels évêques auront à vérifier que les usagers de la tolérance ne remettent pas en cause Vatican II). C’est une touche géniale, il faut le dire : Summorum Pontificum sera donc assassiné synodalement !

Et maintenant...?

A Rome, cependant, et spécialement sous ce pontificat atypique, rien n’est jamais joué avant la publication d’une nomination ou la promulgation d’un document. Vivement poussée par la Secrétairerie d’Etat, la sortie de ce motu proprio « anti-Benoît XVI » serait freinée par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Par ailleurs, comme nous l’avons dit dans notre Lettre précédente, l’érection d’une paroisse personnelle pour la forme extraordinaire par l’archevêque de Ferrare, 15 jours après l’annonce par le pape de son document, laisse entendre que tous les prélats italiens, même ceux considérés comme progressistes, ne sont pas d’accord avec cet attentat contre Summorum Pontificum, qui va rallumer la guerre liturgique. Et puis pour conclure nous pensons que si ce texte voyait le jour sa portée pourrait être limitée par une sorte de « non-réception » de la part d’évêques amis de la Paix  et de la Charité ( C'est à dire pas seulement " Juristes" ) et surtout par la masse des fidèles traditionnels qui, nous le rappelions dans une lettre précédente, ne sont plus prêts aujourd'hui à se soumettre à des décisions iniques.

 

Le péché d'Ecclesia Dei est appelé Summorum Pontificum, par Andrea Grillo

Avec la suppression de la Commission Ecclesia Dei, l'Église catholique a supprimé un élément de scandale au sein de la Curie romaine. Cependant, si on regarde attentivement l'histoire des 12 dernières années, on voit que le scandale n'était dû à ladite Commission qu'en tant qu'"instrument", mais  que le cœur du problème et le principe de la distorsion se trouvaient dans le « Motu proprio » Summorum pontificum lui-même qui a introduit un parallélisme de formes rituelles au sein de la vie de l'Église, sous prétexte de ne pas toucher à sa doctrine et de ne pas porter dommage à la réforme liturgique. Les mots avec lesquels la suppression de la Commission est justifiée clarifient bien un fait sur lequel je voudrais m'attarder : à savoir, que les questions dont la Commission aurait dû s'occuper, et qui maintenant lui ont été enlevées, n'étaient pas d'une nature disciplinaire, mais de nature doctrinale. Ceci, à mon avis, détermine la nécessité de reconsidérer avec urgence la discipline déformée et contradictoire introduite en 2007 par Summorum Pontificum.

Une double blessure

Avec ce document, en effet, l'usage du Missel de Jean XXIII (1962) était rétabli comme une « forme extraordinaire » du rite romain. Cette hypothèse, après 12 ans, apparaît entachée de deux graves erreurs, à la fois d'ordre doctrinal et juridique.

Sur le plan doctrinal, il était clair, il y a déjà 12 ans, que la tentative de séparer la « forme rituelle » de la Réforme liturgique et de l'Église conciliaire était vouée à l'échec. Le pari voulu par le pape Benoît XVI ne saurait pas permettre ni un rapprochement des positions des Lefebvristes, ni l'assurance de la fidélité des catholiques traditionalistes. Et après 12 ans, c'est précisément ce résultat que nous avons pu constater. Et il est juste qu'on reconnaisse qu'il ne faut pas chercher la cause de tout cela tant dans la gestion de la Commission Ecclesia Dei - qui avait également assumé le rôle de tête de pont traditionaliste au sein de la Curie romaine - que dans la législation déformée et contradictoire de Summorum Pontificum, laquelle, de fait, rend la réforme liturgique superflue pour ceux qui adhèrent au Vetus Ordo, à savoir, puisqu'elle :

- ne reconnaît pas l'intention de Sacro Sancto Concilium sur la nécessité d'une réforme de l'Ordo Missae, permettant de célébrer le Vetus Ordo comme si le Concile n'avait jamais existé ;

- qu'elle met de côté l'autorité épiscopale en matière liturgique, rendant impossible le discernement « in loco » en le remplaçant par celui de la curie romaine ;

- contredit l'ecclésiologie conciliaire, perpétuant une logique cléricale et dépourvue de participation active.

L'adage lex orandi lex credendi

Deuxièmement, Summorum Pontificum, en introduisant une « forme extraordinaire » du rite romain lui-même, renversait le rapport entre doctrine et liturgie, supposant qu'une même « doctrine ecclésiale » pourrait s'exprimer dans des formes rituelles dont l'une était la correction de l'autre. Par ce fait même, il prétendait faire dépendre l'identité catholique d'une « définition abstraite », laquelle deviendrait alors indifférente à la forme rituelle et qui pouvait donc s'exprimer indifféremment dans le NO ou le VO. Or, il faut reconnaître, aussi sur la base de ce nouveau Motu Proprio du 19 janvier 2018, qu'il y a dans tout cela une question doctrinale décisive, que ne saurait pas être ignorée.

La prétention selon laquelle différentes communautés catholiques peuvent être fidèles au Concile Vatican II et célébrer la liturgie selon la VO ne peut plus être solutionnée ni par une décision universelle telle que Summorum Pontificum, ni par le discernement intéressé d'une Commission telle que Ecclesia Dei. Si l'on pense qu'une communauté peut, pour des raisons contingentes, recourir à des formes rituelles autres que le seul rite romain en vigueur, cette décision doit être prise par l'évêque local compétent, qui peut éventuellement accorder un « indult » dans ce sens là.

La solution « universelle », introduite de façon forcée au point de vue doctrinal et juridique par Summorum Pontificum, génère une église qui n'est pas « universa », mais « introversa », et contredit gravement les décisions du Concile Vatican II qui demandait explicitement la réforme de ce rite que Summorum Pontificum voudrait rendre universellement accessible.

C'est là le véritable nœud du problème, le péché qui a conduit à la suppression d'Ecclesia Dei et qui doit conduire à une redéfinition de la discipline, afin de redonner la centralité à la question doctrinale et aux évêques diocésains la compétence pour toute décision qui fasse exception au fait qu'il n'y a en vigueur qu'une seule forme du rite romain, telle que la voulue le Concile Vatican II et la réforme liturgique qui s'est suivie, laquelle doit être reconnue comme « irréversible » tant sur le plan doctrinal que sur le plan disciplinaire.

Posté le 21 janvier 2019 sur le blog : Come se non

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