Dans un monde tellement féroce où le combat pour la fidélité à Jésus et à son Evangile relève de l’héroïsme, où ils sont déjà marginalisés, méprisés, tournés en dérision dans leurs écoles, comme même en famille, où toutes leurs valeurs sont bafouées, sinon prostituées, où ils se retrouvent terriblement seuls et isolés, tellement insécurisés, parfois à la limite du désespoir : pourquoi, mais pourquoi donc leur refuser ces quelques places fortes qui leur donnent la force, le courage, l’audace d’entrer en résistance et de tenir? Cela en pleine zone de turbulence pour l’Eglise, en plein collapse de la foi dans le monde. La guerre contre le Christ et son Eglise est déchainée, nous sommes en plein duel homicide-Prince de la vie, les jeunes ont droit plus que jamais à être soutenus, fortifiés, armés, simplement sécurisés. Ne leur fermons pas certains de nos plus beaux refuges. Tel un refuge de haute-montagne au milieu des mortelles crevasses.
Dans l’aride désert d’une société ou gagne « l’apostasie silencieuse de l’homme qui croit être heureux sans Dieu » (JP II), ces groupes et paroisses sont de véritables et rafraichissantes oasis. Leurs plus belles fleurs : ces jeunes et même enfants parvenus aux cimes lumineuses de la sainteté. Comment ne pas évoquer une Anne-Gabrielle Caron, de la paroisse des Missionnaires de la miséricorde à Toulon, dont la cause de béatification est déjà ouverte. Et de la petite martyre Jeanne-Marie Kegelin, en Alsace, dont deux frères sont prêtres de la Fraternité S.Pierre. (Pourvu que ce ne soit pas la raison qui retarderait sa propre cause.)
Une piqure de stérilisation ?
Après tout cela, comment comprendre que le Pape semble viser tout simplement leur extinction, dissolution, liquidation pure et simple ? Cela par la simple application des normes désormais imposées ? Cela ressort du fait qu’on arrache leurs prêtres à leur paroisse, et interdit d’en créer de nouvelles : n’est-ce pas une forme de piqure de stérilisation ? Qu’aucun nouveau prêtre de rite ordinaire ne pourra célébrer la messe dite tridentine, sans indult de son évêque qui, lui, est tenu de suivre les directives romaines.
Le pire : en déclarant que le missel (messe et autres sacrements inclus) de S.Jean XXIII ne relève plus du rite Romain, puisque la « seule expression » de celui-ci est désormais l’unique missel de Paul VI. Ce rite est donc ipso facto relégué dans le passé, périmé, dépassé, et se retrouve en apesanteur dans le vide…
N’est-ce pas là un coup de poignard dans le dos, ou plutôt en plein cœur, de notre cher Benoit XVI ? Son trait de génie avait été de sauver ce rite en en faisant tout simplement la seconde variante ou forme de l’unique rite Romain. Quel courage ne lui a-t-il pas fallu ! Et ce n’était absolument pas par simple diplomatie ou politique ecclésiale, comme l’insinue le motu proprio. Combien de fois n’at-t-il pas affirmé que ce rite qui avait sanctifié le peuple chrétien, irrigué toute l’Eglise, donné tant de fruits de sainteté pendant tant de siècles, avait plein droit de cité aujourd’hui et faisait partie intégrale de la liturgie latine et romaine.
C’était un scandale d’avoir essayé de l’évacuer, voici quelque 6O ans. Et tout-à-coup, brutalement, d’un trait de plume le voilà abrogé par un Pape assurément moins liturgique dans l’âme que ce Benoit XVI à l’âme toute bénédictine.
Benoit XVI en sa retraite monastique va-t-il devoir mendier à son successeur l’autorisation de célébrer encore ce rite qu’il a tant aimé et qu’il avait réussi, magistralement, à sauver ?
Un risque de schisme ou de clandestinité ?
Encore ceci : l’intention de notre Saint Père est surement belle et bonne : protéger la communion dans le peuple de Dieu. Mais l’effet risque fort d’être exactement contraire.
J’en tremble : beaucoup risquent d’être tentés tout simplement de rallier Ecône et la Fraternité S.Pie X, à laquelle Pape Francois avait tendu généreusement la main, en l’année de la Miséricorde. Voici quelques 40 ans, ils s’étaient héroïquement détachés de Mgr Lefebvre, pour retrouver l’Eglise-Mère de Rome, accueillis les bras grands ouverts par S.Jean-Paul II. (Comment oublier la lumineuse figure de Jean-Paul Hivernat d’Ecône puis Rome et Versailles, au sillage de sainteté). Et voilà qu’on les accule à dire : « Bon, vous ne voulez plus de nous : on retourne d’où on vient. Tant de sacrifices, c’était donc pour rien ! Jean-Paul II et Benoit XVI nous aimaient, nous comprenaient, ainsi que bon nombre de merveilleux et courageux évêques, et nous voilé floués, du jour au lendemain. »
Bref, c’est un réel risque de « schismes qui fleuriront de toutes parts si des évêques abrupts imposent leur pouvoir à des abbés raides » (G.Privat). Ou bien, ce sera la tentation de se terrer dans la clandestinité…
La Communion Trinitaire n’implique-t-elle pas l’œcuménisme intra-catholique ?
La Communion ecclésiale n’est-elle donc pas celle-là même de la Toute Sainte Trinité (Jn 17) c’est à dire celle de la beauté en sa diversité ? Plus grande sont les différences- à condition qu’elles soient vécues comme complémentaires-plus l’Eglise en est belle. L’altérité n’est-elle pas condition de la fécondité ? Pourquoi avons-nous tant de peine à recevoir, accueillir, aimer ces frères et sœurs baptisés, avec leur sensibilité, leur désirs, leurs charismes propres et spécifiques, même et surtout s’ils ne sont pas les nôtres? Pourquoi imposer aux jeunes, déjà tellement fragilisés, nos propres préférences Nous respectons bien nos frères catholiques des saintes Eglises Orientales. A Rome même une Congrégations leur est consacrée. Nous sommes émerveillés par leurs somptueuses divines liturgies, qu’elles soient coptes, éthiopiennes, arméniennes, syriaques, maronites, melchites ou byzantines russe ou grecque, et nous refusons la liturgie latine et romaine en son expression traditionnelle !
Pour être logique, il faudrait uniformiser toute la vie monastique ou religieuse ! Bénédictins, Cisterciens, Chartreux, Carmélites, Clarisses : adieu ! Il faudrait uniformiser tous les mouvements spirituels, dans leurs agaçantes diversités. Néo-catéchuménat, Focolaris, Renouveau charismatique, Oaza, Communione e liberazione : exit ! Traditions et sensibilités bénédictine, carmélitaine, franciscaine, dominicaines, jésuites, vincentienne, salésienne, etc. : à la poubelle !
Non et non, l’unité n’est pas l’uniformité, mais la diversité ! La communion n’est pas l’horizontalité, mais la complémentarité !
Saint Jean-Paul II l’avait bien exprimé dans son motu proprio Ecclesia Dei : « Tous les pasteurs et les autres fidèles doivent avoir une conscience nouvelle non seulement de la légitimité, mais aussi de la richesse que représente pour l’Eglise la diversité des charismes et des traditions de spiritualité et d’apostolat. Cette diversité constitue aussi la beauté de l’unité dans la variété : telle est la symphonie que, sous l’action de l’Esprit-Saint, l‘Eglise terrestre fait monter vers le Ciel »
Entendrez-vous les cris et les larmes de vos propres enfants ?
Le Saint Père a-t-il mesuré l’impact, si ce n’est la secousse sismique, qu’une telle intransigeance risque de provoquer, dans l’Eglise et même hors de l’Eglise ? Qu’une personne aussi athée, à l’incontestable aura, que Michel Onfray, ose avouer qu’il en est « consterné ». Précisant : « La messe en latin est le patrimoine du temps généalogique de notre civilisation. Elle hérite historiquement et spirituellement d’un long lignage sacré de rituels, de célébrations, de prières, le tout cristallisé dans une forme qui offre un spectacle total » Et avec son sarcasme habituel qu’évidemment je ne fais pas mien : «Pour ceux qui croient en Dieu, la messe en latin est à la messe du Long Fleuve tranquille… ce qu’est la basilique romaine contemporaine de S.Augustin à une salle polyvalente dans une barre d’immeubles : on y chercherait en vain le sacré et la transcendance. »
A-t-il pensé à la secousse que vont éprouver nos frères des saintes Eglises Orthodoxes. Le motu proprio de Benoit XVI, très estimé par eux comme un grand théologien, les avait rassuré : que l’Eglise latine garde fidèlement et protège un rite liturgique ayant traversé des siècles. Et maintenant, de se poser la question, angoissés: ne va-t-on pas le jeter aux orties ?
A-t-il pressenti le séisme probable chez tant et tant de jeunes, de jeunes couples, de familles entières qui vont en être déstabilisés, déroutés, découragés, tentés par la révolte. Jusqu’ici ils aimaient leur Pape François- aussi attachant et déroutant soit-il-, ils étaient fidèle au magistère romain, et maintenant les voici guettés par le doute, la méfiance, sinon le rejet, avec l’impression amère d’avoir été floué, reniés sinon trahis.
Comment ne pas pleurer avec eux ?
Qu’au moins une grande vague de compassion baptismale, d’affection fraternelle, et paternelle du côté de nos évêques, d’ardentes prières les entourent, les réconfortent, les consolent, les soutiennent, les encouragent, les accueillent. Ardemment. Généreusement. C’est à dire amoureusement.
Cher Saint-Père – que par ailleurs j’aime, estime et admire –, au nom d’un grand nombre de mes amis, jeunes et moins jeunes, j’ose vous partager, en toute simplicité filiale, ma profonde douleur. Mais animé d’une folle confiance, je me risque à espérer que, à l’écoute de tant de larmes sur les joues de vos propres enfants vous aurez le courage et l’humilité de revenir sur une décision d’une telle intransigeance, cela en dépit de votre finale : « malgré toute chose contraire, même si digne de mention particulière ».
Contre toute espérance, j’espère !
Frère Daniel-Ange.
Ce 23 Juillet,
40e anniversaire de mon Ordination sacerdotale au congrès Eucharistique international à Lourdes.
Commentaires
Bravo et merci au Père Daniel-Ange pour sa magnifique lettre qui vient au secours de tant de laissés pour compte!
Écrit par : Jean-Pierre Snyers | 12/08/2021