Pourtant, on voit depuis 10 jours des scènes de violence inouïes à travers le pays, des femmes journalistes qui sont écartées subitement de l’antenne ou encore des étrangers chassés du territoire. Est-ce que Jean Yves Le Drian et ceux qui prônent la discussion avec les talibans ne se voilent pas la face sur la réalité de la situation ?
Ils ne se voilent pas la face sur ce que sont les talibans. Le Drian a d’ailleurs rappelé que le gouvernement verra, avec le temps, s’ils sont réellement plus modérés que ceux délogés en 2001 par l’intervention militaire américaine et occidentale. Il y a donc eu des négociations avec la tendance pragmatique des talibans, qui a assuré qu’elle renoncerait à soutenir le djihadisme international. Est-ce que les talibans tiendront parole ? Ce sera la question centrale des prochains mois.
Je ne pense pas que les Occidentaux se mentent à eux-mêmes. On est plutôt dans une logique classique de rapports de force géopolitique. Dès lors que la seule puissance qui pouvait maintenir une armée avec des moyens conséquents, l’Amérique, a décidé de se retirer du dossier afghan, il s’est créé un vide. Et, pour beaucoup de puissances géopolitiques et de stratèges dans le monde, il n’y a rien de pire que le vide. Or, la seule puissance capable de remplir en ce moment ce vide sur tout le territoire afghan c’est malheureusement, ou heureusement, selon d’où l’on parle, qu’on le veuille ou non, la force talibane. La seule sur laquelle on peut compter pour rétablir une base étatique.
Peuvent-ils compter sur un fort soutien populaire au sein du pays ?
C’est évident. Il ne faut pas oublier que l’Afghanistan avait vu son sort s’améliorer relativement à partir de 1996, après les périodes socialistes, l’invasion russo-soviétique, la guerre civile, le règne du bandit Hekmatyar, etc… Les talibans ont alors ramené un semblant d’ordre, une sorte de justice aussi. Il y avait moins de pilleurs, de corruption, de voleurs, d’anarchie et de consommation de drogues un peu partout dans le pays. Ça peut paraître surprenant pour nous, mais pour un Afghan moyen de 50 ou 60 ans, qui a une vision clanique de la société et des mœurs des plus rigoristes, les talibans sont redevenus ce qu’il y a de moins mal, après 20 ans de bombardements et d’humiliation américaines et de règne de gouvernements anti-talibans “collabos” ultra-corrompus. Je ne parle donc pas des progressistes ultra-minoritaires qui plaisent beaucoup à nous, les Occidentaux, mais qui n’ont hélas jamais rien représenté dans cette société tribale ultra-traditionnaliste et majoritairement islamiste. Le soutien populaire est l’une des raisons qui explique le fait que les talibans aient repris le pays et la capitale si vite au moment du retrait américain. Il n’y a pas eu de résistance car le gouvernement “modéré”, qui ne régnait d’ailleurs que sur la capitale, ne tenait que grâce aux militaires américains !
Les bombes n’ont jamais été des opérations chirurgicales et homéopathiques qui ne tuent que les « méchants »… Les bombes tuent surtout des civils innocents
Une étude du Pew Research Center, un centre de recherche américain, de 2019 montrait que 99 % des Afghans étaient favorables à la mise en place de la charia. 85 % d’entre eux étaient même pour la lapidation des femmes jugées infidèles. C’est ça aujourd’hui la réalité du pays ?
Loin de moi l’idée de défendre les talibans. C’est un régime totalitaire qui a été instauré en 1996 sous influence pakistanaise en milieu pachtoune, et qu’on a délogé en 2001 en représailles aux attentats du 11 septembre. Mais mettez-vous à la place d’un Pachtoune, parce qu’il faut raisonner aussi en ethnie. En Afghanistan, il y a trois grandes ethnies. Les Pachtounes donc, qui sont majoritaires, les Tadjiks et les Ouzbeks, sans parler de la petite minorité chiite hazara. Les Pachtounes ont des mœurs extrêmement claniques, sans faire de jugement, très obscurantistes, arriérées. Ils adhèrent à une vision du monde, de la femme et de la famille ultra-conservatrice. Ils se reposent sur un machisme et un patriarcat absolu, un culte de la violence, de l’honneur et de la virilité, semblable à ce qu’on peut retrouver chez les Tchétchènes.
Quand les talibans sont arrivés, ils n’étaient pas si éloignés que ça de la tradition afghane classique pachtoune. Un peu comme en Arabie Saoudite, où le wahhabisme a fonctionné parce qu’il s’est greffé sur des mœurs tribales arabes bédouines ancestrales qui, depuis toujours, avaient une vision extrêmement radicale et intolérante de la société, de la femme et des non-musulmans. Dans les deux cas, l’implantation fonctionne aisément parce qu’il a toujours existé, surtout en Afghanistan, un ultra-conservatisme religieux, une base populaire réceptive. Et ça, les médias n’en parlent pas.
Au-delà de ce soutien populaire, les interventions étrangères ont-elles aussi contribué dans un sens à la victoire éclair des talibans ?
Les Occidentaux qui sont intervenus en Afghanistan sans aucune empathie culturelle, avec arrogance et sans aucun plan politique et social inclusif de long terme, ont totalement échoué. Ils ont été fous de croire que des bombardements aériens pendant 20 ans allaient contribuer au bien des gens et croire qu’ils n’allaient pas s’aliéner les cœurs et la base populaire. Ils étaient d’ailleurs les seuls à le croire. Les bombes n’ont jamais été des opérations chirurgicales et homéopathiques qui ne tuent que les « méchants »… Les bombes tuent surtout des civils innocents. D’où la fameuse doctrine du général Petraeus, un des plus intelligents généraux américains qui, justement, disait que ça ne suffisait pas de bombarder. Il fallait, selon lui, d’urgence un plan politique inclusif pour “gagner les cœurs”. Il expliquait que lorsqu’on tue un taliban, ça n’en fait pas un de moins, mais deux de plus. Parce que, précisément, ces bombardements aériens créent l’indignation. Les indignés qui ont perdu leurs familles deviennent des talibans.
Les 20 ans de bombardements et de présence militaire américaine au Pakistan du Nord, où il y a eu des violations constantes des frontières aériennes et terrestres par l’armée américaine, ainsi qu’ en Afghanistan, ont littéralement fait exploser le nombre de gens qui adhèrent à l’idéologie des talibans. Et évidemment, cela a fait monter la haine envers l’Occident, le “mécréant occidental”, l’Américain. On ne veut pas l’admettre ici. On veut prendre nos fantasmes pour des réalités. On veut croire que tout le monde adhère à nos valeurs et qu’on peut exporter la démocratie avec des bombes. Malheureusement, ce n’est pas aussi simple que ça.
Les réfugiés en partance, qui sont-ils ? Ces progressistes de la capitale ou bien des Hommes nourris à la haine de l’occidental ?
Je soutiens une autre hypothèse qui choque en ce moment car on est encore trop dans l’émotion de l’instant. Depuis des années, il y a beaucoup de candidats « afghans« à l’immigration clandestine, qui tentent ensuite de demander le droit d’asile ou des visas, qui sont en réalité des Pakistanais. Quand on se dit Afghan, on a plus de chance d’être considéré comme un réfugié politique parce que les talibans ont toujours été menaçants. Et puis il y aussi les Afghans qui ne sont absolument pas des réfugiés politiques, mais qui tentent de quitter un pays économiquement détruit. ll n’y a que la drogue qui rapporte. Ces réfugiés économiques sont d’ailleurs très conservateurs dans leurs mœurs. Beaucoup d’attentats ou de tentatives d’attentats ont été commis en Allemagne, en France, en Angleterre par des réfugiés afghans très conservateurs et ensuite radicalisés chez nous. On sait très bien que beaucoup de demandeurs d’asile sont des gens qui adhèrent globalement aux pratiques claniques et obscurantistes des talibans. Je crains que la prise de la capitale, qui fait croire à certains que les talibans avaient disparu et sont revenus tout à coup, crée un climat qui va inciter de nombreux réfugiés économiques à se faire passer pour des victimes des talibans.
On veut prendre nos fantasmes pour des réalités. On veut croire que tout le monde adhère à nos valeurs et qu’on peut exporter la démocratie avec des bombes. Malheureusement, ce n’est pas aussi simple que ça.
Comment la France doit-elle gérer ce flux migratoire ?
On doit faire deux choses. Tout d’abord, il faut être extrêmement vigilant et prudent. Et puis, il faut se décider à accueillir sur notre sol tous ceux qui ont collaboré avec notre armée et nos services. C’est un honneur que de maintenir notre parole et notre image. Malheureusement, ce que je constate, c’est qu’en Europe, depuis des années, on a accueilli beaucoup d’Afghans islamistes qui ne présentaient pas le profil requis alors qu’aujourd’hui, on est en train de refuser des visas et un secours à certains interprètes et collaborateurs de nos armées, nos ONG ou nos ambassades, etc…. Certains d’entre eux n’ont pas de visas alors qu’ils ont travaillé avec nous. Eux, ils pourraient être menacés et tués si les talibans se décidaient à rompre leurs accords.
C’est une honte de ne pas avoir aidé tous ceux dont on sait qu’ils ont travaillé avec nous. Ce qui est honteux aussi, c’est de ne pas avoir expulsé de nombreux Afghans qui, comme certains Tchétchènes, n’adhèrent pas du tout à nos valeurs et qui ne sont pas du tout des opposants mais bien aussi islamistes que les autres. Il y a une grande incohérence dans notre politique migratoire.
Est-ce que vous pensez, comme certains hommes politiques français, qu’il existe un risque terroriste à accueillir certains réfugiés d’Afghanistan sur notre territoire ?
Il y a évidemment un risque. Regardez les attentats de ces dernières années en Europe. Avant, les terroristes étaient, en général, des fils d’immigrés algériens ou marocains nés en France ou en Belgique. A partir de 2016, on retrouve cette fois des réfugiés, des migrants illégaux ou des enfants de demandeurs d’asile déboutés. Ce profil de gens, qui ne sont pas expulsables parce qu’ils prétendent qu’ils sont en danger chez eux, est de plus en plus fréquent. Et parmi eux, on retrouve évidemment des faux opposants afghans. Surtout que chez les islamistes aussi, les profils sont très variés et les oppositions existent. Un soutien de Daesh peut parfaitement se présenter sans mentir totalement comme un opposant aux talibans. Il n’en reste pas moins un islamiste, d’un autre genre seulement. Si on fait venir ces gens avec les critères habituels, on sait avec certitude qu’un terroriste peut parfaitement s’infiltrer, vu qu’on ne fait pas de sélections idéologico-sociales et que l’OFPRA [Office français de protection des réfugiés et apatrides, ndlr] ne travaille pas assez avec le Renseignement. Par ailleurs, il y a une bureaucratie européenne et des lobbies immigrationnistes qui créent des scrupules, qui empêchent certains Etats- membres de faire des quotas migratoires sous prétexte de ne pas faire de discrimination entre les ethnies et zones culturelles. Pourtant, pour assurer la sécurité des Européens, il faudrait privilégier une immigration civilisationnellement compatible.
C’est-à-dire ?
On doit faire venir des pays musulmans uniquement les profils non-radicalisables : des progressistes, des gens issus des minorités religieuses ou ceux qui sont engagés dans des mouvements libéraux. Dans le reste de la population, notamment au Pakistan ou en Afghanistan, l’islamisme est diffus et général. La plupart des habitants des contrées rurales et modestes sont islamistes, sans être djihadistes pour autant. Sauf que lorsqu’on est déjà islamiste et adepte de la charia, comme l’est la majorité des Afghans, on peut facilement tomber dans le terrorisme à cause du choc culturel qui s’opère en Occident entre musulmans et occidentaux jugés “pervers”. On arrive dans une Europe “LGBT et mini-jupe” alors qu’on vient d’un pays où on lapide les femmes “provocatrices” et adultères… Ce choc provoque de nombreuses radicalisations devant une société que certains réfugiés jugent indécente, blasphématrice et veulent combattre de l’intérieur. L’Afghanistan est un réservoir de djihadistes en devenir, comme plusieurs autres pays islamiques très radicalisés ou en proie au chaos comme la Libye, le Sud de la Tunisie, le Yémen, la Somalie, les pays du Sahel, le Pakistan, etc…. Il y a devant nous un grave et profond problème civilisationnel.