Le secret de la confession « plus fort que les lois de la République » ? (08/10/2021)

De Xavier Le Normand sur le site du journal La Croix :

Abus sexuels : le secret de confession est-il « plus fort que les lois de la République » ?

Président de la Conférence des évêques de France, Mgr Eric de Moulins-Beaufort est convoqué « en début de semaine prochaine » par le ministre de l’intérieur pour avoir estimé que le secret de confession « est plus fort que les lois de la République ». Au-delà de la polémique, ces propos interrogent sur la nature de ce secret et les garanties offertes par la loi pour le protéger.

07/10/2021

« Le secret de confession s’impose à nous et, en ce sens-là, est plus fort que les lois de la République. » Visiblement mal à l’aise, Mgr Eric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France (CEF), semble se douter mercredi 6 octobre que ses propos tenus sur le plateau de Franceinfo feront polémique. À rebours des recommandations émises la veille par la commission Sauvé dans son rapport, il réaffirme que l’épiscopat ne compte pas transiger sur le secret de confession, même pour protéger des mineurs de violences sexuelles.

→ LES FAITS. Secret de confession : Mgr de Moulins-Beaufort rencontrera Gérald Darmanin

Les propos du président de la CEF lui valent d’ailleurs d’être convoqué « en début de semaine prochaine » par le ministre de l’intérieur. Sur les réseaux sociaux, le délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme de 2014 à 2017, Gilles Clavreul, a dénoncé des propos « inacceptables et d’une particulière gravité », appelant à la démission de celui qui est aussi archevêque de Reims. Tandis que la députée LREM Aurore Bergé a écrit sur Twitter que « les lois de la République s’imposent à chacun d’entre nous. Cela ne souffre aucune exception. » « Rien n’est plus fort que les lois de la République », a surenchéri le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal.

Une obligation de dénoncer…

L’interrogation est en réalité double : le secret de confession est-il reconnu comme secret professionnel ? Et le cas échéant, doit-il s’effacer devant une obligation de dénoncer les sévices commis sur mineurs ? Sur le premier point, si la loi française ne définit pas précisément que les ministres des cultes sont protégés par le secret professionnel, la jurisprudence, notamment par des arrêts de la Cour de cassation de 1810 et 1891 confirmés depuis, tranche clairement en ce sens. Une circulaire du ministère de la justice de 2004 vient d’ailleurs souligner cette existence du secret professionnel pour les ministres des cultes, donc les prêtres.

→ DÉBAT. Abus sexuels : faut-il lever le secret de confession en cas d’agressions sur mineurs ?

Néanmoins, ce secret professionnel est-il suffisant pour ne pas dénoncer des violences sur mineurs ? L’article 434-1 du Code pénal punit en effet de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende « quiconque ayant connaissance d’un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés » et ne dénonçant pas.

… sous réserve d’exceptions

Mais l’article se poursuit avec deux exceptions. La première concerne la famille, « sauf en ce qui concerne les crimes commis sur les mineurs ». Par exemple, une personne sachant qu’un mineur est violenté par son père est tenu de dénoncer ce dernier. Seconde exception : « les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l’article 226-13 ». Dans ce second cas, aucune précision concernant les mineurs.

Pour Maître Emmanuel Le Mière, avocat au barreau de Coutances-Avranches (Manche) « ce n’est pas du tout un oubli, le législateur a entendu protéger totalement le secret professionnel de ceux qui y sont astreints ». La circulaire de 2004 du ministère de la justice a d’ailleurs la même interprétation. La logique est similaire pour l’article 434-3 qui concerne spécifiquement les « agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur », mais qui prévoit également que « sont exceptées » de l’obligation de dénonciation « les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l’article 226-13 »,« sauf lorsque la loi en dispose autrement ».

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Les prêtres en confession relèvent-ils de l’article 226-13 ? A fortiori oui, puisque celui-ci mentionne toute personne dépositaire « d’une information à caractère secret (…) soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire ». Ce qui permet à l’avocat normand d’affirmer que si « la formule de Mgr de Moulins-Beaufort est malheureuse et n’est pas vraie, c’est plutôt (parce) que la protection du secret de confession est reconnue par la loi de République ».

Le secret professionnel dans l’affaire Pican

Ces interrogations sur le secret professionnel des prêtres ont été au cœur des débats dans l’affaire Pican, du nom de l’évêque de Bayeux condamné en 2001 pour n’avoir pas dénoncé un prêtre pédocriminel. « La décision ne dit pas du tout qu’il y avait obligation de dénoncer car la France est un état laïc qui ne reconnaît pas le secret de confession », souligne maître Le Mière. Au contraire, le juge a recherché les conditions dans lesquelles l’évêque avait été mis au courant des agissements du prêtre. Celui-ci, note le juge dans sa décision, « n’a pas choisi comme confident son évêque pour libérer sa conscience » par la confession.

C’est bien parce que Mgr Pican avait appris les faits par plusieurs sources, des confidences mais aussi par une enquête interne, que « l’option de conscience tirée du secret professionnel ne pouvait être appliquée ». Comme le note le ministère de la justice dans sa circulaire de 2004, « il apparaît clairement que les qualités, voire les conditions dans lesquelles un ministre du culte a appris une information ne sont pas indifférentes à la qualification de secret professionnel ».

Jusqu’à un revirement de jurisprudence ou de nouvelles dispositions législatives, il semble que le secret de confession en relève bien et permette de n’être pas tenu légalement à dénoncer des violences sur mineurs.

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