Vatican : un imbroglio financier et judiciaire qui risque d'être embarrassant pour le pape (03/01/2022)

Un article de Sandro Magister sur Settimo Cielo

Le procès du siècle requiert le pape au tribunal. Qui risque également un incident avec la Chine.

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Parmi les documents en possession du tribunal du Vatican appelé à juger le cardinal Giovanni Angelo Becciu et d'autres accusés, dont la prochaine audience est fixée au 25 janvier, figure une note d'information au sommet de laquelle il est écrit que "lors de l'audience du 6 avril dernier, le Saint-Père a donné la permission de rendre publique la note susmentionnée". Signé : Edgar Peña Parra, Secrétaire d'État par intérim.

C'est ce que fait Settimo Cielo dans ce billet : fournir aux lecteurs les caractéristiques essentielles de ce document jusqu'ici inédit, remis par Peña Parra au tribunal du Vatican pour décrire la situation de la Secrétairerie d'État au moment de sa prise de fonction en tant que suppléant, le 15 octobre 2018, " ainsi que certains aspects du travail de la Secrétairerie d'État concernant l'immeuble du 60 Sloane Avenue à Londres ".

Le dossier compte 322 pages, avec de nombreuses annexes, mais les pages clés sont les vingt premières avec la note de Peña Parra. Il s'agit notamment d'informations qui pourraient créer un incident diplomatique avec nul autre que la Chine.

En effet, on y lit "quelques nouvelles fournies par l'archevêque de Vilnius (Lituanie) concernant l'insécurité" du système informatique du Vatican. M. Peña Parra a précisé : "Un neveu de l'archevêque, expert en la matière, avait la preuve de l'intrusion de la Chine dans notre système informatique et nous en avions la preuve".

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Au-delà de la vulnérabilité informatique, le tableau que Peña Parra dresse de la Secrétairerie d'État et en particulier de son bureau administratif dirigé à l'époque par Mgr Alberto Perlasca est résolument critique.

"Le Saint-Père avait demandé un audit du bureau administratif et des fonds de la Secrétairerie d'État, qui aurait dû être achevé avant l'arrivée du nouveau remplaçant", c'est-à-dire Peña Parra à la place de son prédécesseur Becciu.

Mais rien de tout cela n'a été fait. M. Peña Parra a écrit que M. Perlasca a justifié son manquement en arguant que "la Secrétairerie d'État avait vécu des moments très difficiles ces dernières années avec le Secrétariat à l'économie, en raison des prétentions du cardinal George Pell à prendre le contrôle de toute l'administration du Saint-Siège, ce qui signifiait interférer dans les compétences propres de la Secrétairerie d'État dans le domaine administratif. Deuxièmement, Mgr Perlasca était d'avis que tant le précédent Auditeur général, le Dr Libero Milone, que l'actuel Auditeur général, le Dr Alessandro Cassinis Righini, n'étaient pas des personnes dignes de confiance".

Peña Parra écrit que l'auditeur et lui-même ont insisté à plusieurs reprises pour que la volonté du pape soit respectée. Mais en vain. Le bureau administratif a fait une "grève blanche", sans changer d'un iota son "modus operandi" systématique, décrit comme suit :

"C'est un mécanisme dans lequel le supérieur est mis sous pression, le poussant à agir rapidement, prévoyant des événements 'catastrophiques', tels que : 'Si vous ne signez pas immédiatement, vous risquez de perdre beaucoup d'argent'. [J'ai souvent été interrompu de manière inattendue lorsque je recevais des ambassadeurs, des évêques, etc. pour signer des documents urgents qui, selon eux, ne pouvaient pas attendre la fin des entretiens. [Le leitmotiv constant était que je ne connaissais pas la "machine" et que, par conséquent, les incertitudes que je soulevais n'étaient pas fondées et ne faisaient que ralentir le travail du bureau administratif".

La mauvaise gestion concernait également l'argent détenu par le Secrétariat d'État, déposé dans trois fonds de placement et dans pas moins de treize banques, les contrats respectifs étant "presque toujours conclus en faveur des contreparties". Sans parler des "erreurs graves" dans les comptes, qui ont "gonflé de manière injustifiée la valeur du patrimoine géré par le Secrétariat d'État", qui, à une certaine date, a été considéré comme valant 603 millions d'euros alors qu'il s'agissait en fait de 425 millions.

En bref, "la gestion globale visait la spéculation financière et non la conservation prudente et sûre des biens du Secrétariat d'État".

Et la désastreuse affaire de Londres ? De l'avis de M. Peña Parra, il s'agit de "l'œuvre maîtresse du bureau administratif, dans laquelle se produisent toutes les critiques susmentionnées et bien d'autres que l'imagination humaine aurait du mal à mettre en place". Par exemple, en s'attaquant au pire de la finance internationale et en faisant des affaires avec lui".

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La deuxième partie de la note de Peña Parra concerne précisément les développements de l'opération de Londres à partir de fin novembre 2018, qui a été traitée non seulement par lui, le député, mais aussi par le secrétaire d'État, le cardinal Pietro Parolin, et le pape François lui-même.

Le 22 novembre 2018, pressé par Mgr Perlasca de donner son feu vert à une initiative financière qualifiée de " plus urgente " pour redresser l'opération d'achat du palais londonien, Peña Parra lui ordonne de rédiger un " mémorandum utile pour présenter la demande au cardinal secrétaire d'État et au Saint-Père pour leur évaluation sur la question ".

À cette fin, le dimanche 25 novembre, le député a demandé et obtenu "une rencontre urgente avec le Saint-Père", dont la réponse a été un "oui" prudent : "Il m'a demandé de garder à l'esprit deux choses, qu'il a ensuite répétées à plusieurs reprises : (i) 'essayons de perdre le moins possible' et (ii) 'nous devons tourner la page et recommencer'".

Le lendemain, lundi 26 novembre, le cardinal Parolin a également donné son approbation, renvoyant le mémorandum à Peña Parra avec cette annotation en bas, écrite au stylo et à l'encre dans un italien un peu mou :

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"Après avoir lu ce mémorandum, à la lumière des explications fournies hier soir par Mgr Perlasca et le Dr Tirabassi, ayant eu des assurances sur la solidité de l'opération (qui apporterait des avantages au Saint-Siège), sa transparence et l'absence de risques de réputation (qui, en effet, seraient dépassés par ceux liés à la gestion du Fonds GOF), je suis favorable à la stipulation du contrat."

Le GOF, Global Opportunity Fund, auquel le cardinal Parolin fait allusion, était l'un des trois fonds d'investissement dans lesquels le Secrétariat d'État avait placé de l'argent, pour être exact 200 millions de dollars précédemment déposés auprès des banques suisses BSI et UBS, auprès desquelles en 2014 le cardinal George Pell, alors préfet du Secrétariat à l'économie, avait ordonné la fermeture des comptes. Le fonds GOF, utilisé pour investir dans la transaction de Londres, était géré par le financier Raffaele Mincione.

L'opération a donc été réalisée. "Avec l'approbation du Saint-Père et du cardinal secrétaire d'État, écrit Peña Parra, nous sommes allés de l'avant pour finaliser l'opération de rachat de la société propriétaire du bâtiment, en signant la ratification le 27 novembre 2018.

Toutefois, il restait encore mille actions en possession d'un autre financier, Gianluigi Torzi, qui exigeait 10 millions d'euros pour les vendre.

Les hypothèses alternatives initialement évaluées par le Secrétariat d'État étaient les suivantes : "1) entamer un litige contre Torzi ; 2) reprendre le contrôle total de l'actif (ce qui permet de quantifier la valeur des 1.000 actions)".

La solution adoptée a été la seconde, non seulement parce qu'elle était "considérée comme moins coûteuse et comportant moins de risques", mais surtout parce qu'elle était "strictement conforme à la volonté supérieure", c'est-à-dire à la volonté du Pape. Qui non seulement a encouragé la Secrétairerie d'État à s'engager dans cette voie, mais a lui-même donné l'impulsion aux négociations avec l'aide d'un de ses amis de longue date, comme le rapporte Peña Parra dans la Note :

" Le samedi 22 décembre 2018, le Saint-Père m'a demandé de me rendre à Santa Marta où il m'a présenté au Dr Giuseppe Milanese, [...] que j'ai rencontré pour la première fois, ainsi qu'au Dr Manuele Intendente, [...] dont j'ai appris par la suite qu'il était l'un des avocats de Torzi, tandis que Milanese était une connaissance du Saint-Père. [...] Le lendemain, j'ai jugé bon de demander au bureau administratif des précisions sur ce que j'avais appris lors de la réunion de Santa Marta. [Comme Monseigneur Perlasca, qui était déjà parti pour les vacances de Noël, n'était pas au bureau, j'ai convoqué Tirabassi dans mon bureau. Fabrizio Tirabassi, qui figure également parmi les accusés du procès, était le numéro deux du bureau administratif de la Secrétairerie d'État.

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Quelques jours plus tard, le 26 décembre, en la fête de saint Étienne, le pape François a reçu à nouveau Torzi à Santa Marta, avec sa famille, se faisant même photographier avec lui (voir ci-dessus), et a signalé la situation à Peña Parra, qui dans sa note a enregistré la livraison reçue de François comme suit :

"Mon action [...] était et reste motivée par le désir de mettre en pratique la volonté du Supérieur, également manifestée lors de la rencontre avec Torzi le 26 décembre 2018, à savoir 'perdre le moins possible et recommencer'".

Une troisième rencontre entre le pape et Torzi a suivi peu après, comme le rapporte Peña Parra :

"Dans les premiers jours de janvier 2019, le Saint-Père a reçu Torzi en audience avec l'intendant, le professeur Renato Giovannini et les Milanais et moi-même. Au cours d'une brève rencontre, le pape François a tenu à répéter à Torzi qu'il appréciait ce qu'il avait fait pour la Secrétairerie d'État, qu'il avait donné au substitut le mandat de réorganiser en profondeur la gestion patrimoniale et financière de la Secrétairerie d'État et que sa volonté était de "tourner la page et de repartir sur de nouvelles bases".

Les 1 000 actions ont effectivement été reprises par le Secrétariat d'État le 2 mai 2019, au prix de 10 millions d'euros.

Cela n'a pas empêché Peña Parra d'écrire, dans la note, qu'il était "arrivé à la conviction que le Secrétariat d'État était victime d'une fraude", en raison de la manière dont le chef du bureau administratif avait opéré auparavant, "obligeant effectivement le Secrétariat d'État, au moment de la résiliation du contrat, à verser à Torzi" cette somme ostensible :

"En signant le contrat prématurément et, de toute façon, sans l'autorisation de ses supérieurs, Monseigneur Perlasca avait cédé à Torzi non seulement les mille parts, mais surtout le droit exclusif de gérer le bâtiment, [...] causant un préjudice financier considérable à la Secrétairerie d'État, sans parler du préjudice de réputation pour le Saint-Père et toute l'Église".

Il est un fait que la récupération des mille actions a été négociée et conclue avec François comme premier acteur, selon ce qui est écrit dans la note d'information de Peña Parra rendue publique à la demande du pape lui-même.

Interrogé pendant la phase préliminaire du procès contre Becciu et d'autres accusés, Perlasca a confirmé l'implication du pontife, mais a été durement réduit au silence par le promoteur de justice Alessandro Diddi : "Monseigneur, ce que vous dites n'a rien à voir avec cela ! Avant de faire ce que nous faisons, nous sommes allés voir le Saint-Père et lui avons demandé ce qui s'était passé, et je peux douter de tout le monde sauf du Saint-Père".

Rendu public par un avocat de la défense lors de l'audience du procès le 17 novembre, ce passage de l'interrogatoire de Perlasca a conduit Diddi à se renier, niant avoir interrogé le pape.

Mais le fait que François ait été parmi les protagonistes de l'affaire qui s'est terminée par un procès au Vatican est désormais établi. Et si les défendeurs l'appelaient au procès ? La grande question est de savoir comment dénouer ce nœud.

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