Les reliques du Christ. Une histoire du sacré en Occident

de Nicolas Guyard

Cerf, 312 p., 24 €

Évoquer les reliques appelle aujourd’hui le sourire indulgent ou l’ironie grinçante. Mais réveille aussi, parfois, la fascination pour ces objets merveilleux qui ont traversé bien des époques et bien des lieux. Maître de conférences à l’université de Montpellier, spécialiste du sacré, l’auteur interroge dans ce livre l’histoire des reliques. Pourquoi tant de rois, d’empereurs ou d’abbés ont-ils acquis autant de ces objets et à de tels prix ? Quelles relations y a-t-il entre les reliques et la construction religieuse, politique et culturelle des sociétés chrétiennes ?

Terre Sainte

La légende de « l’invention » (c’est-à-dire de la découverte) des reliques de la Passion au IVe siècle par la mère de l’empereur Constantin à Jérusalem, diffusée notamment par Ambroise de Milan, renforce et valorise le goût naissant pour les pèlerinages en Terre sainte. Elle assoit aussi le pouvoir de l’empereur : « Le couple Hélène-Constantin, mère-fils, (…) devient, sous la plume d’Ambroise, un écho de celui formé par la Vierge et son Fils. »

De nombreux pèlerins rapportent alors en Occident des objets de Terre sainte. Quand Jérusalem est menacée par les conquêtes musulmanes, les plus précieux sont mis à l’abri à Constantinople, qui les offrira ou les revendra plus tard aux princes d’Occident. C’est ainsi que peu à peu, avec les reliques, « l’essentiel de la puissance sacrale de Jérusalem » se déplace vers Rome, Aix-la-Chapelle ou Paris, légitimant le pouvoir des empereurs et des rois.

« Saint Sang »

Les reliques se multiplient à profusion. Le XIIe siècle s’emballe pour le « Saint Sang » du Christ, invitant les fidèles à « associer la matérialité d’une relique et la spiritualité d’une dévotion centrée autour des mystères de l’Eucharistie ». L’acquisition à grands frais par Louis IX de la couronne d’épines témoigne aussi des évolutions de la dévotion chrétienne : « Si la relique de la Vraie Croix renvoyait depuis Constantin à l’image d’un Christ victorieux accompagnant l’empereur dans ses succès, la Couronne d’épines possède une connotation beaucoup plus doloriste, insistant sur les souffrances et la mort de Jésus. »

→ À LIRE. Pourquoi met-on des reliques dans les autels ?

« Au début du XVIe siècle, l’Occident chrétien est saturé de sacré en général, et de reliques du Christ en particulier. » La Réforme protestante, qui promeut une religion « intériorisée et spiritualisée », n’y voit que superstition et idolâtrie. L’Église catholique n’a pas d’arguments théologiques à lui opposer. Mais, au XVIIe siècle, quelques jésuites prennent la défense des reliques. Ils cherchent à en retracer l’histoire et à prouver leur authenticité, qui devient « désormais autant affaire d’érudition que d’engagement d’une autorité ecclésiastique ».

Polémiques érudites

Cependant, « cette production massive d’histoires de reliques et de sanctuaires ouvre la porte à des polémiques érudites, autour notamment des méthodes de production de connaissances historiques et authentiques », mettant en cause l’authenticité qu’elle voulait prouver. Au XVIIIe siècle, les philosophes des Lumières verront dans les reliques « la preuve éclatante des ténèbres apportées par le monde ecclésiastique sur les esprits de leurs fidèles ».

La Révolution française provoquera quelques destructions, mais aussi le déplacement et le sauvetage de nombreux objets sacrés. Même si le culte des reliques connaît un certain regain au XIXe siècle, le clergé s’en désintéresse peu à peu et les relègue au rang de la piété populaire. Quant au XXe siècle, c’est à la science que les ardents défenseurs des reliques s’adressent désormais pour les authentifier, pendant que certains objets quittent les églises pour rejoindre les musées. Tendant ainsi à effacer « la frontière entre cultuel et culturel ».

Ce livre se lit comme une épopée. Fourmillant de détails et d’anecdotes sans prétendre à une impossible exhaustivité, richement sourcé, il dessine à travers l’histoire des reliques celle de toute la chrétienté. Interrogeant notre rapport au sacré, et les relations qu’entretiennent le matériel et le spirituel dans une religion de l’Incarnation, qui croit en un Dieu qui s’est vraiment fait homme.