Qui sommes-nous pour juger de l’incompréhension de l’athée de culture musulmane Boualem Sansal devant le Concile ou des interrogations de Frantz-Olivier Giesbert devant le magistère pontifical ? Quelle attitude adopter : l’écoute, l’explication bienveillante ou la condamnation méprisante et cléricale ?
Faut-il rejeter Louis-Henri de La Rochefoucauld, lorsqu’il remarque, toujours dans cet ouvrage : « J’ai du mal à me reconnaître dans les catholiques actuels. Ils font de plus en plus de politique, se replient sur des discours identitaires, se passionnent pour la morale… On mobilise de plus en plus le christianisme comme un porte-avions patrimonial dans la bataille civilisationnelle et culturelle. Le christianisme vient du Christ et on l’en évacue comme quelque fâcheux. C’est un comble. »
Pour d’autres, au contraire, comme Sylvain Tesson, c’est le christianisme comme art de vivre qui est touchant. L’écrivain critique le dogme catholique, mais s’émerveille devant « l’ordre des jours anciens ». Certains se scandalisent. Mais nul n’est maître des conditions de la rencontre avec Jésus. On devrait, c’est une sage recommandation du pape François, se méfier d’une forme de pharisaïsme qui consisterait à décerner des brevets de christianisme aux uns et à jeter l’anathème sur les autres parce qu’ils n’ont pas encore découvert la personne de Jésus, mais seulement la culture qu’il a fait naître.
Des adversaires du pape François ?
On comprend que les héritiers anticléricaux de l’idéologie de Mai 68 puissent considérer la culture comme leur « jardin réservé » et refuser a priori qu’un homme de lettres puisse écrire à propos d’une expérience religieuse. On s’étonne en revanche de lire sous la plume de frères chrétiens des accusations gratuites : « intégriste », « adversaires du pape François », « Anti-Vatican II ». N’a-t-on pas vu une tribune sur le site de La Croix affirmer que l’admiration du « passé catholique » par ces écrivains irait forcément naviguer dans les eaux d’un Maurras, voire d’un Éric Zemmour ?
Gardons-nous donc de la tentation puritaine. Prenons au sérieux l’enseignement de Vatican II : « L’Église fait route avec l’humanité et partage le sort terrestre du monde. (2) » Gustave Thibon nous y invitait déjà, lui qui affirmait que partout où le christianisme s’était implanté il y avait eu « alliage » : « Refuser l’alliage, refuser l’ambiguïté, c’est refuser la vie, c’est refuser les contradictions qui sont inhérentes à ce monde, et qui ne se dénouent que dans l’Éternel. » Dialoguer avec le monde de la culture revient à prendre le risque de cet alliage, celui-là même couru par Jésus prenant notre chair.
Dialoguer n’est pas approuver tout ce que dit l’interlocuteur. Mais « dans le dialogue on découvre combien sont divers les chemins qui conduisent à la lumière de la foi » (Paul VI).
Nombreux sont ceux qui vivent loin du point d’impact où Dieu a touché la terre. Avec ces hommes placés aux périphéries de l’onde de choc, le pape François nous invite à dialoguer. Nous croyons que l’enjeu est vital.
(1) Benoît XVI, Deus caritas est, 1.
(2) Concile Vatican II, Gaudium et spes, 40.