Erdoğan : un chantage qui pourrait avoir de graves conséquences pour la présence chrétienne aux frontières turco-syriennes et turco-irakiennes (29/05/2022)
Une carte blanche de Benoit Lannoo, historien de l'Eglise et consultant en relations internationales et interreligieuses, sur le site de La Libre :
Nous permettons à la Turquie de persécuter davantage les chrétiens
Le chantage d’Erdoğan et l'intégration de la Finlande et la Suède dans l’Otan pourraient avoir de lourdes conséquences pour les chrétiens aux frontières turco-syriennes et turco-irakiennes.
26-05-2022
Personne ne joue mieux aux échecs que le Président turc, Recep Tayyib Erdoğan. Quand il déplace ses pions sur l’échiquier international, il pense toujours deux tours à l’avance. Ainsi, il est arrivé à se positionner habilement dans le rôle de facilitateur des premiers contacts entre l’Ukraine et la Russie dès l’invasion russe du 24 février. Et maintenant, il profite de la demande finlandaise et suédoise d’intégrer Organisation du traité de l'Atlantique nord (Otan) pour imposer ses conditions à l’Occident. La mélodie turque est en général le même : " terroristes kurdes" par si, "terroristes kurdes" par là.
Un observateur un peu plus avisé aura remarqué que l’homme fort à Ankara ne s’en prend pas seulement au mouvement indépendantiste kurde. Depuis une étrange tentative de coup d’État en juillet 2016, le label "terroristes" est également appliqué sans ambages sur tous ceux qui sont liés de près ou de loin à l’intellectuel musulman turc influent Fethullah Gülen, un ancien allié d’ Erdoğan en exil aux États-Unis maintenant. Celui-ci aurait été à la base de la tentative de coup d’État et toute organisation güleniste – tant en Turquie qu’en dehors du pays – est entre- temps ciblée par le régime à Ankara.
Les troupes turques contre les vainqueurs de Daesh
Mais se rend-on suffisamment compte dans nos chancelleries que le chantage d’Erdoğan pourrait aussi avoir de graves conséquences pour la présence chrétienne dans la région ? En effet, Donald Trump avait à peine retiré les troupes américaines de Syrie quand la Turquie, en octobre 2019, a envahie le nord de la Syrie. "Nous apportons la paix, car nous délivrons des communautés locales des terroristes", disait le Président turc sur Twitter. Mais dans la pratique, ce ne sont pas les terroristes de Daesh (l’État islamique en Irak et en Syrie) que les Turcs combattent, mais bien les Forces démocratiques syriennes (FDS) qui ont vaincu Daesh à l’époque.
Le Président Erdoğan se sert donc de la discussion sur l’élargissement de l’Otan à la Finlande et la Suède pour légitimer davantage son invasion d’un pays voisin ainsi que ses bombardements de villages au nord de la Syrie et au nord de l’Irak. En effet, un rôle prépondérant dans les Forces démocratiques syriennes peut être attribué aux Unités de protection du peuple (‘Yekîneyên Parastina Gel’ ou YPG), une milice kurde qui est proche du Parti des travailleurs du Kurdistan (‘Partiya Karkerên Kurdistan’ ou PKK). Mais parmi les 60.000 soldats de la coalition SDF, il y a aussi des sunnites d’origine arabe ou turkmène… et des soldats chrétiens.
L’indifférence occidentale
Le "Syriac Military Council", qui fait partie de la coalition SFD, regroupe des milices assyriennes, araméennes et arméniennes. En effet, il s’agit de différentes communautés de nord de la Syrie qui en général ne contestent pas – ou n’ont pas osé – contester le pouvoir de Bashar al-Assad à Damas. Ce week-end encore, des drones turcs ont attaqué plusieurs villages près de Tel Tamr, sur les rives du Khabour, à une quinzaine de kilomètres en amont d’Al-Hassakeh. Ces villages sont chrétiens, pas kurdes ! L’extrême nord-est de la Syrie est en effet peuplé depuis longtemps non seulement de tribus kurdes et arabes, mais aussi de chrétiens.
Souvent, il s’agit de familles qui par ailleurs ont été chassés il y a cent ans du sud et de l’est de l’actuelle Turquie, pendant les génocides arménien et assyrien commis à l’époque par les nationalistes turcs. Les quelques chrétiens qui subsistent en Turquie et les survivants des génocides d’antan dans les pays limitrophes, se retrouvent sans cesse entre le marteau et l'enclume du nationalisme turc, de l’indépendantisme kurde et de la terreur islamiste. Ils craignent que l’indifférence occidentale pour leur sort permettra à la Turquie de continuer le génocide presque terminé de la chrétienté dans le nord de la Mésopotamie, région ou ils étaient bien avant l’islam, avant les Arabes et avant les Turcs.
Et je comprends très bien leur amertume quand ils constatent que l’Occident s’en fout éperdument.
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