Solennité du « Corpus Domini  » (Fête Dieu) : une homélie de Benoît XVI (19/06/2022)

Solennité du « Corpus Domini  » (Fête Dieu) : Homélie de Benoît XVI

archive 3 juin 2010 (zenit.org)

Chers frères et sœurs !

Le sacerdoce du Nouveau Testament est étroitement lié à l’Eucharistie. C’est pourquoi aujourd’hui, en la solennité du Corpus Domini, presque au terme de l’Année sacerdotale, nous sommes invités à méditer sur la relation entre l’Eucharistie et le Sacerdoce du Christ. C’est dans cette direction que nous orientent également la première lecture et le psaume responsorial, qui présentent la figure de Melchisédech. Le bref passage du Livre de la Genèse (cf. 14, 18-20) affirme que Melchisédech, roi de Shalem, était « prêtre du Dieu Très Haut », et pour cette raison « apporta du pain et du vin » et « bénit Abraham », qui venait de vaincre une bataille ; Abraham lui-même lui donna le dixième de chaque chose. Le psaume, à son tour, contient dans la dernière strophe une expression solennelle, un serment de Dieu lui-même, qui déclare au Roi Messie : « Tu es prêtre à jamais selon l’ordre de Melchisédech » (Ps 110, 4) ; ainsi le Messie est proclamé non seulement Roi, mais également Prêtre. C’est de ce passage que s’inspire l’auteur de la Lettre aux Hébreux pour son discours ample et articulé. Et nous lui avons fait écho dans le refrain : « Tu es prêtre pour toujours, Christ Seigneur » : comme une profession de foi, qui acquiert une signification particulière en la fête d’aujourd’hui. C’est la joie de la communauté, la joie de l’Eglise entière, qui, en contemplant et en adorant le Très Saint Sacrement, reconnaît en celui-ci la présence réelle et permanente de Jésus Prêtre souverain et éternel.

La deuxième lecture et l’Evangile portent en revanche l’attention sur le mystère eucharistique. C’est de la Première Lettre aux Corinthiens (cf. 11, 23-26) qu’est tiré le passage fondamental où saint Paul rappelle à cette communauté la signification et la valeur de la « Cène du Seigneur », que l’apôtre avait transmises et enseignées, mais qui risquaient de se perdre. L’Evangile est, en revanche, le récit du miracle des pains et des poissons, rapporté par saint Luc : un signe attesté par tous les évangélistes et qui pré-annonce le don que le Christ fera de lui-même, pour donner la vie éternelle à l’humanité. Ces deux textes mettent en relief la prière du Christ, alors qu’il rompt le pain. Il y a naturellement une nette différence entre les deux moments : lorsqu’il partage les pains et les poissons pour les foules, Jésus remercie le Père céleste pour sa providence, certain qu’il ne fera pas manquer de nourriture à toutes ces personnes. Au cours de la Dernière Cène, en revanche, Jésus transforme le pain et le vin en son propre Corps et Sang, afin que les disciples puissent se nourrir de Lui et vivre en communion intime et réelle avec Lui.

La première chose qu’il est nécessaire de toujours se rappeler est que Jésus n’était pas un prêtre selon la tradition hébraïque. Sa famille n’était pas sacerdotale. Il n’appartenait pas à la descendance d’Aaron, mais à celle de Juda, et juridiquement la voie du sacerdoce lui était donc fermée. La personne et l’activité de Jésus de Nazareth ne se situent pas dans le sillage des prêtres antiques, mais davantage dans celui des prophètes. Et dans ce sillage, Jésus prit ses distances d’une conception rituelle de la religion, critiquant l’ordre qui accordait de la valeur aux préceptes humains liés à la pureté rituelle plutôt qu’à l’observance des commandements de Dieu, c’est-à-dire à l’amour pour Dieu et pour son prochain qui, comme le dit le Seigneur, « vaut mieux que toutes les offrandes et tous les sacrifices » (Mc 12, 33). Même à l’intérieur du Temple de Jérusalem, lieu sacré par excellence, Jésus accomplit un geste purement prophétique, lorsqu’il chasse les changeurs et les marchands d’animaux, toutes ces choses servant pour l’offrande des sacrifices traditionnels. Jésus n’est donc pas reconnu comme un Messie sacerdotal, mais prophétique et royal. Même sa mort, que nous chrétiens appelons à juste titre « sacrifice », n’avait rien des sacrifices antiques, elle était même tout le contraire : l’exécution d’une condamnation à mort, par crucifixion, la plus infamante qui eut lieu à l’extérieur des murs de Jérusalem.

Alors, dans quel sens Jésus est-il prêtre ? C’est précisément l’Eucharistie qui nous le dit. Nous pouvons repartir de ces simples mots, qui décrivent Melchisédech : il « apporta du pain et du vin » (Gn 14, 18). C’est ce qu’a fait Jésus lors de la Dernière Cène : il a offert du pain et du vin, et en ce geste il a résumé toute sa personne et toute sa mission. Dans cet acte, dans la prière qui le précède et dans les paroles qui l’accompagnent se trouve tout le sens du mystère du Christ, tel que l’exprime la Lettre aux Hébreux dans un passage décisif, qu’il est nécessaire de reporter : « Pendant les jours de sa vie mortelle – écrit l’auteur en se référant à Jésus -, il a présenté, avec un grand cri et dans les larmes, sa prière et sa supplication à Dieu qui pouvait le sauver de la mort ; et, parce qu’il s’est soumis en tout, il a été exaucé. Bien qu’il soit le Fils, il a pourtant appris l’obéissance par les souffrances de sa Passion ; et ainsi, conduit à sa perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel. Car Dieu l’a proclamé grand prêtre selon le sacerdoce de Melchisédech » (5, 8-10). Dans ce texte, qui fait clairement référence à l’agonie spirituelle de Gethsémani, la passion du Christ est présentée comme un prière et comme une offrande. Jésus affronte son « heure », qui le conduit à la mort sur la croix, plongé dans une profonde prière, qui consiste en l’union de sa propre volonté avec celle du Père. Cette double et unique volonté est une volonté d’amour. Vécue dans cette prière, l’épreuve tragique que Jésus affronte est transformée en offrande, en sacrifice vivant.

La Lettre aux Hébreux dit que Jésus « fut exaucé ». En quel sens ? Au sens où Dieu le Père l’a libéré de la mort et l’a ressuscité. Il a été exaucé précisément en raison de son abandon total à la volonté du Père : le dessein d’amour de Dieu a pu s’accomplir parfaitement en Jésus, qui, ayant obéi jusqu’à la fin extrême de la mort sur la croix, est devenu « cause de salut » pour tous ceux qui Lui obéissent. C’est-à-dire qu’il est devenu grand Prêtre pour avoir lui-même pris sur lui tout le péché du monde, comme « Agneau de Dieu ». C’est le Père qui lui confère ce sacerdoce au moment même où Jésus traverse le passage de sa mort et résurrection. Ce n’est pas un sacerdoce selon ce que prescrit la loi mosaïque (cf. Lv 8-9), mais selon l’ordre de Melchisédech, selon un ordre prophétique, qui dépend seulement de sa relation particulière avec Dieu.

Revenons à l’expression de la Lettre aux Hébreux qui dit : « Bien qu’il soit le Fils, il a pourtant appris l’obéissance par les souffrances de sa Passion ». Le sacerdoce du Christ comporte la souffrance. Jésus a vraiment souffert, et il l’a fait pour nous. Il était le Fils et il n’avait pas besoin d’apprendre à obéir, mais nous oui, nous en avions et nous en avons toujours besoin. C’est pourquoi le Fils a pris notre humanité et s’est laissé « éduquer » pour nous dans le creuset de la souffrance, s’est laissé transformer par elle, comme le grain de blé qui pour porter du fruit doit mourir en terre. A travers ce processus, Jésus a été « rendu parfait », en grec teleiotheis. Nous devons nous arrêter sur ce terme, car il est très significatif. Il indique l’accomplissement d’un chemin, c’est-à-dire le propre chemin d’éducation et de transformatio
n du Fils de Dieu à travers la souffrance, à travers la passion douloureuse. C’est grâce à cette transformation que Jésus Christ est devenu « prêtre suprême » et peut sauver tous ceux qui se confient à Lui. Le terme de teleiotheis, traduit justement par « rendu parfait », appartient à une racine verbale qui, dans la version grecque du Pentateuque, c’est-à-dire les cinq premiers livres de la Bible, est toujours utilisée pour indiquer la consécration des prêtres antiques. Cette découverte est très précieuse, car elle nous dit que la passion a été pour Jésus une consécration sacerdotale. Il n’était pas prêtre selon la Loi, mais il l’est devenu de manière existentielle dans sa Pâque de passion, de mort et de résurrection : il s’est offert lui-même en expiation et le Père, l’exaltant au-dessus de toute créature, l’a constitué Médiateur universel de salut.

Revenons, dans notre méditation, à l’Eucharistie, qui d’ici peu sera au centre de notre assemblée liturgique. Dans celle-ci, Jésus a anticipé son Sacrifice, un Sacrifice non rituel, mais personnel. Lors de la Dernière Cène, il agit animé par cet « esprit éternel » avec lequel il s’offrira ensuite sur la Croix (cf. He 9, 14). En rendant grâces et en bénissant, Jésus transforme le pain et le vin. C’est l’amour divin qui transforme : l’amour avec lequel Jésus accepte à l’avance de se donner entièrement pour nous. Cet amour n’est autre que l’Esprit Saint, l’Esprit du Père et du Fils, qui consacre le pain et le vin et transforme leur substance en Corps et en Sang du Seigneur, rendant présent dans le sacrement le même Sacrifice qui s’accomplit ensuite de manière sanglante sur la Croix. Nous pouvons donc conclure que le Christ est un prêtre véritable et agissant, car il est rempli de la force de l’Esprit Saint, il est comblé de toute la plénitude de l’amour de Dieu, et cela précisément « la nuit où il fut trahi », précisément à l’« heure des ténèbres » (cf. Lc 22, 53). C’est cette force divine, la même qui réalisa l’Incarnation du Verbe, qui transforme la violence extrême et l’injustice extrême en acte suprême d’amour et de justice. Telle est l’œuvre du sacerdoce du Christ, que l’Eglise a hérité et prolongé dans l’histoire, sous la double forme du sacerdoce commun des baptisés et de celui ordonné des ministres, pour transformer le monde avec l’amour de Dieu. Tous, prêtres et fidèles, nous nous nourrissons de la même Eucharistie, nous nous prosternons tous pour l’adorer, car dans celle-ci est présent notre Maître et Seigneur, est présent le véritable Corps de Jésus, Victime et Prêtre, salut du monde. Venez, exultons avec des chants de joie ! Venez, adorons ! Amen.

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