« L’Église ne peut se payer le luxe d’une guerre civile liturgique » (23/07/2022)

Tribune de Jean Bernard, collaborateur au mensuel « La Nef », publiée dans le quotidien « La Croix » : Le pape François a formulé, avec sa lettre Desiderio desideravi, « une réflexion profonde » sur la beauté de l’Évangile. Mais, selon Jean Bernard, cette lettre n’est peut-être pas de nature à apaiser les tensions réactivées par le pape autour de la liturgie (20.07.2022) :

Avec sa lettre Desiderio desideravi, le pape François vient d’adresser à l’Église entière, le jour de la fête des saints Pierre et Paul, une réflexion profonde sur la « beauté incomparable de la liturgie ». Pour le Saint-Père, l’enjeu de notre époque est de « retrouver la capacité de vivre pleinement l’acte liturgique », tâche qui n’est pas aisée pour l’homme moderne tant celui-ci a perdu « la capacité de s’engager dans l’action symbolique qui est une caractéristique essentielle de l’acte liturgique ».

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Le pape nous décrit ainsi, en des pages denses, ce que la liturgie doit être mais également ce qu’elle ne doit pas être, à savoir, d’un côté, un « esthétisme rituel qui ne prend plaisir qu’à soigner la formalité extérieure d’un rite ou se satisfait d’une scrupuleuse observation des rubriques », et, de l’autre, la « banalité débraillée », la « superficialité ignorante » et le « fonctionnalisme pratique exaspérant ». Pour échapper à ces deux travers, François souligne l’importance de la formation liturgique.

Un contexte de tensions liturgiques

Mais il n’aura toutefois échappé à personne que, si la lettre Desiderio desideravi invite à une réflexion et à une action à long terme, elle ne peut être détachée du contexte dans lequel elle a été écrite, à savoir la reprise des tensions liturgiques après la publication du motu proprio Traditionis custodes. D’ailleurs, dans sa lettre, le pape François fait explicitement référence à ce dernier texte, notamment pour rappeler que le missel de Paul VI est « l’unique expression de la lex orandi du rite romain » et qu’il convenait que l’unité dans la prière « soit rétablie dans toute l’Église de rite romain ».

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Reste qu’il n’est pas certain que Desiderio desideravi soit de nature à apaiser les tensions, et ce pour deux raisons. La première est que cette lettre ne fera pas, ou peu, revenir les fidèles attachés à la forme traditionnelle vers le nouveau Missel, ce d’autant que beaucoup d’entre eux, venant à l’origine de paroisses où ce missel est célébré, ne sont pas disposés à y retourner. À cet égard, il convient de ne pas se méprendre sur les motifs d’une telle attitude : ceux-ci sont à rechercher non pas dans une hostilité de principe à Vatican II (sauf pour la Fraternité Saint-Pie-X) mais dans la conviction – fondée ou non – que la réforme liturgique n’a pas rempli toutes ses promesses et surtout qu’une autre réforme liturgique inspirée des principes du Concile aurait été possible, davantage respectueuse du développement organique de la liturgie.

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Ne négligeons pas enfin les aspects psychologiques de l’affaire, à l’origine d’inévitables crispations : la célébration par le pape François, quelques jours après la publication de Desiderio desideravid’une messe dans la forme zaïroise du rite romain a pu susciter une certaine amertume chez les fidèles traditionalistes, dépités par ce qui leur apparaît, en matière liturgique, être une approche « deux poids, deux mesures ».

La messe traditionnelle ne disparaîtra pas

La seconde raison est que les mesures restrictives prévues par Traditionis custodes ne feront pas non plus disparaître la messe traditionnelle. À moins de supprimer brutalement cette liturgie, avec le risque de troubles majeurs qui pourraient en résulter, les lieux où est célébrée cette messe continueront à accueillir des communautés en croissance continue, fréquentées par des fidèles plutôt jeunes.

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Certes, Rome a souhaité en restreindre « l’offre », notamment en subordonnant à son autorisation la possibilité pour les prêtres nouvellement ordonnés de célébrer selon l’ancien rite. Mais il ne saurait être exclu que ceux d’entre eux dont l’autorisation a été refusée passent outre, au moins clandestinement, paradoxalement encouragés par l’absence de toute sanction romaine après les bénédictions en Allemagne de couples de même sexe.

Sortir des tensions « par le haut »

Puisque le mouvement traditionaliste est appelé à perdurer, il convient de sortir « par le haut » de ces tensions liturgiques, ce qui suppose d’imaginer des solutions alternatives. Or, à la vérité, les seules qui puissent aujourd’hui rendre compte à la fois de l’exigence d’unité, de la nécessaire mise en œuvre des intuitions du concile Vatican II, de la sensibilité des communautés traditionalistes et de l’importance de la continuité liturgique dans l’Église seraient de parvenir, dans certains lieux, à un rapprochement entre les deux formes du missel. Concrètement, une première solution serait d’accorder très largement aux prêtres des ex-instituts « Ecclesia Dei » l’autorisation de dire la messe ancienne, à la condition qu’ils utilisent le riche lectionnaire de 1969 et assurent l’unité de l’action liturgique, et pourvu qu’ils acceptent au moins ponctuellement de concélébrer selon le nouveau rite avec l’évêque.

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Une autre solution serait d’accepter que les prêtres qui utilisent habituellement le nouveau missel puissent, s’ils le veulent et si le besoin pastoral le justifie, y insérer les éléments auxquels sont attachés les traditionalistes, tels l’offertoire de l’ancien rite, le silence pendant le canon, l’usage de la langue latine et l’orientation commune du célébrant et des fidèles. Cette possibilité (qui existe déjà en théorie pour les deux derniers points) serait de nature à changer le regard de beaucoup d’entre eux sur la réforme liturgique et à prévenir la tentation du ghetto. En outre, elle pourrait contribuer, à terme, en permettant un usage diversifié de l’Ordo de 1969, à atténuer les inconvénients objectifs résultant de l’existence de plusieurs missels au sein des communautés catholiques de rite romain.

Frappée de plein fouet par une crise sans précédent depuis la Réforme protestante, l’Église ne peut se payer de surcroît le luxe d’une guerre civile liturgique. En réfléchissant aux solutions ébauchées ci-dessus, elle ne tournerait pas le dos au concile Vatican II. Au contraire, elle en assurerait pleinement la mise en œuvre : « Pourvu que soit sauvegardée l’unité substantielle du rite romain, on admettra des différences légitimes et des adaptations à la diversité des assemblées, des régions, des peuples… » (Sacrosanctum concilium, n. 38).

Ref. « L’Église ne peut se payer le luxe d’une guerre civile liturgique »

Et pourtant, à le lire ici, selon sa formule provocatrice,  « le pape François laisse entendre que l’attachement au rite « tridentin » constitue un produit du nihilisme » : la guerre des deux missels, rallumée par le belliqueux pontife, est bel et bien repartie tous azimuths… (JPSC)

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