Controverse autour du "grand remplacement" (11/08/2022)

D'André Larané sur Herodote.net :

Y a-t-il un « grand remplacement » ?

Les Français changent, ne nous voilons pas la face

« Il n'y a pas de grand remplacement », affirme le démographe Hervé Le Bras (Grasset, 2022) avec la volonté de contrecarrer la thèse de l'écrivain Renaud Camus. Il conteste donc à grand renfort de statistiques l'ampleur de l'immigration en France. Mais à trop vouloir prouver...

Il n'y a pas de grand remplacement (Hervé Le Bras, Grasset, 2022)

Le « grand remplacement » auquel fait référence le démographe Hervé Le Bras est une expression employée par Renaud Camus pour qualifier le phénomène migratoire qui affecte la France et l’Europe. Une frange de l’opinion y voit la menace d’un changement de population, ce que conteste le démographe. Ses critiques des discours alarmistes de Renaud Camus ainsi que d’autres auteurs comme avant lui Jean Raspail méritent le détour par leur drôlerie et leur virulence.

Cela dit, l’idée qu’une population puisse en remplacer une autre sur son propre sol n’est pas absurde. Hervé Le Bras rappelle que les Américains eux-mêmes l’ont fait à l’encontre des Indiens (page 95).  Il reconnaît aussi le caractère inédit des migrations actuelles (note).

Pendant tout le précédent millénaire et jusqu’en 1974, l’Europe occidentale a connu beaucoup de brassages de populations qui ont contribué à la formation de sa civilisation mais aucune immigration notable d’Asie ou d’Afrique.

Un basculement s’est produit depuis lors. Il transparaît dans l’étude de Jérôme Fourquet sur les prénoms musulmans, passés de 2% des naissances à 18,8% entre 1962 et 2016. Hervé Le Bras en convient : « Le pourcentage de 18,8%  de prénoms d’origine arabe et musulmane parmi les naissances en 2016 (…) correspond presque exactement au pourcentage des naissances de parents immigrés des pays arabes ou musulmans » (page 105). Un cinquième de la population française en devenir est donc issu de cette immigration des dernières décennies.

La grande mutation entrevue par Jacques Lesourne

Hervé Le Bras ne nie pas le phénomène migratoire. Il ne nie pas non plus les failles juridiques dont usent et abusent les migrants (note). C’est sur l’ampleur du phénomène qu’il se focalise. Il s’en prend en particulier à Jacques Lesourne (1928-2020), économiste et longtemps directeur du quotidien Le Monde, polytechnicien comme lui.

En 1985, dans la revue Le Débat, Jacques Lesourne  publie un article au titre prophétique : « L’immigration, une dimension majeure du XXIe siècle européen ». Humblement, il rappelle la grande incertitude qui pèse sur l’évolution de la fécondité et s’en tient à des projections avec des fourchettes larges. On peut seulement lui reprocher d'avoir sous-évalué la baisse de la fécondité en Algérie dans les années 90 (elle a remonté depuis lors) ainsi que d'avoir repris une citation apocryphe du président algérien Boumédienne.

Pour le reste, avec une rare clairvoyance, Jacques Lesourne décrit l’opposition à venir entre une Europe encore riche, mais stérile et vieillissante, et une Afrique pauvre mais à la fécondité exubérante : « Le temps viendra où les Européens auront besoin de jeunes adultes pour prendre soin de leurs octogénaires ».

Il pressent aussi, de concert avec Emmanuel Todd,  un monde arabe affecté par les guerres, le terrorisme et les révolutions : « Qu’à ces occasions des millions de personnes, minorités ethniques ou opposants politiques, soient contraintes comme les boat people des mers de Chine ou certains habitants du Liban de trouver refuge en Europe occidentale est une possibilité qui ne peut être exclue. ». La référence aux « printemps arabes », à la guerre d'Irak et aux flux migratoires de 2015 est ici criante de vérité.

Et Jacques Lesourne de conclure : « Dans un tel contexte que s’ajoutent en 2025, aux 312 millions de descendants des habitants actuels de la Communauté à douze de 20 à 50 millions de musulmans venus du croissant méditerranéen, de Marrakech à Istanbul, est une hypothèse plausible. (…) Pourrait facilement s’y ajouter un chiffre compris entre 5 et 15 millions pour les Africains du sud du Sahara. » Ces fourchettes  correspondent bien aux nouveaux-venus d’Afrique et du croissant méditerranéen dans la période 1985-2025, auxquels s’ajoutent leurs descendants.

La suite de l’article est tout aussi intéressante avec une réflexion sur l’éventail des possibilités culturelles ouvertes par les migrations : « l’assimilation, la diversité, la confrontation des cultures. » Tout y est dit des enjeux actuels.

Entourloupe sur les mots

Hervé Le Bras a-t-il lu comme nous cet article ? On en doute. Sa mauvaise foi est patente quand il conteste les projections relatives à l’immigration : « Aujourd’hui, le nombre global de personnes nées en Afrique ou dans les pays musulmans d’Asie et présentes dans la CEE est d’environ 12 millions. Elles étaient déjà 7 millions en 1985. (…) Les 5 millions supplémentaires observés depuis 1985 sont loin des 25 à 65 millions annoncés [par Lesourne] » (pages 31-32).

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