L'Eglise est en pleine guerre civile d'après un vaticaniste (11/09/2022)

De Renardo Schlegelmilch sur katholisch.de :

Politi, expert du Vatican : l'Eglise est en pleine guerre civile

07.09.2022

ROME - À la veille de la quatrième assemblée synodale, les grandes tensions au sein de l'Église reviennent sur le devant de la scène. L'expert du Vatican Marco Politi se penche sur les conflits ecclésiastiques du point de vue italien - et voit une "guerre civile souterraine qui couve dans l'Eglise catholique".

Peu avant la quatrième assemblée synodale à venir, le journaliste Marco Politi révèle dans une interview son point de vue sur les tensions entre l'Allemagne et le Vatican. L'expert du Vatican qualifie les frictions entre les "réformateurs" et les "freineurs" de "guerre civile souterraine qui couve" au sein de l'Eglise catholique et part fermement du principe que 70 pour cent de la Curie n'attend pour l'instant que le prochain pape. Il s'attend à une décision concernant le cardinal Woelki au plus tôt après la fin de la voie synodale.

Question : Le pape François en est à sa dixième année de mandat. Est-il un peu à bout de souffle ? L'archevêché de Cologne n'a toujours pas pris de décision concernant le cardinal Woelki, la situation était similaire pour le cardinal Barbarin à Lyon. Le pape est-il fatigué des conflits qu'impliquent de telles décisions ?

Politi : Avec le cardinal Barbarin, nous avons vu que François est parfois un tacticien. Il laisse aussi passer du temps avant d'arriver à une décision. Barbarin a finalement dû démissionner. Mon évaluation personnelle est la suivante : En ce moment, alors qu'il y a encore la discussion dans l'Eglise allemande sur la voie synodale, il ne veut pas intervenir. Il ne veut pas retirer l'un des protagonistes d'une aile de la discussion. C'est pourquoi il faut voir ce qui se passera ensuite.

Mais d'un autre côté, je dirais que c'est une erreur d'interpréter les conflits au sein de l'Eglise de telle sorte qu'un pays comme l'Allemagne se trouve face au pape à Rome comme un grand monarque qui décide de tout. Aujourd'hui, les papes ne sont plus tout-puissants. Nous l'avons également vu avec Ratzinger. Au cours des dernières décennies, les papes pouvaient peut-être encore être autocratiques lorsqu'ils étaient conservateurs. Mais lorsqu'il s'agit de mettre en œuvre des réformes, les papes doivent aussi évaluer quel est le rapport de force au sein de l'Eglise universelle. Cela signifie qu'en tant que pape, on a affaire à différents pays et à leur clergé. On a affaire à des évêques qui appartiennent à différentes tendances.

On oublie souvent que dans le pontificat de François, il y a eu dès le début, lors de la première grande discussion de réforme sur la famille, sur la question de la communion pour les divorcés remariés, une très grande opposition internationale. Cette opposition a également été couronnée de succès. Si l'on regarde les documents des deux synodes de 2014 et 2015, il n'est écrit nulle part que l'on peut donner la communion aux divorcés remariés. L'aile réformatrice n'a pas réussi à obtenir une majorité des deux tiers. Le pape a alors décidé d'agir avec une petite porte dérobée, dans son document "Amoris laetitia", dans une note de bas de page. Celle-ci a ensuite ouvert la voie au fait qu'aujourd'hui, partout, si le prêtre le veut et si l'évêque est d'accord, on donne la communion aux divorcés remariés.

Mais cela a montré quel est le rapport de force au sein de l'Église catholique. Cela n'a pas changé ces dernières années. On pourrait même dire que la situation s'est encore aggravée après le synode sur la famille. Pour le synode sur la famille de 2015, par exemple, il y a eu beaucoup d'évêques et de cardinaux qui ont écrit des livres pour s'en tenir à l'ancienne doctrine. Il n'y a pas eu les mêmes appels de la part des réformateurs. Les freins ont recueilli 800.000 signatures sous le cardinal Burke. Il y a quelques années, une initiative a été lancée dans les pays germanophones pour soutenir le pape François par un appel. Il n'y avait alors pas 100.000 signatures.

François reçoit beaucoup d'approbation au sein de l'Église, mais aussi en dehors de l'Église. Cela tient à sa ligne d'une Eglise qui n'est pas autoritaire, mais qui est une Eglise miséricordieuse, qui s'occupe des gens et qui se préoccupe aussi de l'injustice sociale ou des conséquences des dégâts environnementaux sur la situation sociale des gens. Mais lorsqu'il s'agit de prendre parti au sein de l'Église, les freins, les conservateurs, sont bien plus forts pour faire parler d'eux que les réformateurs. C'est pourquoi il y a depuis des années une guerre civile souterraine qui couve au sein de l'Eglise catholique.

Quel est le rôle de la voie synodale et des tensions qui existent entre le Vatican et l'Allemagne ?

Politi : Le reproche est que l'Allemagne fait ici cavalier seul. Mais la même chose se produit par exemple aux États-Unis sur la question de la communion pour les hommes politiques qui adoptent une position libérale sur l'avortement. Inversement, il n'arrive pas que les évêques européens ou africains disent quelque chose, expriment leur mécontentement, ce qui se passe dans la voie synodale. Il y a actuellement peu de discussions au niveau de l'Eglise universelle. C'est probablement aussi la raison pour laquelle François veut un synode mondial où l'on parle de communion, de communauté, de partage et de mission. Nous devons simplement voir comment la discussion évolue.

N'oublions pas une chose : les grands changements du Concile Vatican II ne sont pas venus du pape. Les grands changements du Concile sont venus des évêques, - de France, des Pays-Bas, de Belgique, d'Allemagne et d'Italie. Ce sont les évêques qui se sont engagés. Cela manquait jusqu'à présent au niveau mondial.

"Aujourd'hui, dans la curie, 20 pour cent sont ouverts au pape, 10 pour cent sont contre et 70 pour cent attendent le prochain pape. Le point essentiel est le suivant : nous savons que nous sommes au soir de ce pontificat, et on n'a pas non plus d'idée claire de ce que devrait être le prochain pape".

Quel regard porte donc le Vatican sur l'Allemagne et la voie synodale ? Le conflit ne peut pas être contesté.

Politi : Certainement. Mais je n'oublierais pas pour autant qu'il s'agit d'abord d'un conflit interne à l'Allemagne, même s'il se déroule au Vatican. Des cardinaux de la Curie ou d'anciens cardinaux de la Curie comme Brandmüller et Müller sont des cardinaux allemands qui, depuis Rome, se prononcent contre certains points de la voie synodale en Allemagne. Ils le font même parfois avec beaucoup de véhémence. C'est le cardinal Brandmüller qui a dit que la voie synodale était une sorte de protestantisation. Le reproche d'un schisme vient même de la même direction. Il s'agit donc d'abord d'une discorde au sein de l'Allemagne.

Ensuite, il y a en outre une grande partie de la curie qui a tout simplement peur de la nouveauté. Ils ont peur et ne savent pas quelle décision il faut prendre. Ils ont peur de ce qui se passera si, par exemple, il y a un clergé marié et craignent que l'on perde alors le statut particulier du clergé célibataire. Ils ont également peur théologiquement, du sacerdoce féminin par exemple. Je dirais qu'il s'agit d'une pensée conservatrice, mais une grande partie de celle-ci est aussi une attitude craintive.

Aujourd'hui, dans la curie, 20 pour cent sont ouverts au pape, 10 pour cent sont contre et 70 pour cent attendent le prochain pape. Le point essentiel est le suivant : nous savons que nous sommes au soir de ce pontificat, et on n'a pas non plus d'idée claire de ce que doit être le prochain pape et quelles doivent être ses directives. Au cours des 50 dernières années, on a vu que des personnalités très intéressantes, avec des orientations théologiques différentes et des attitudes philosophiques différentes, ont donné leur impulsion. Paul VI, Jean-Paul II, Ratzinger et François ont tous donné leur impulsion, mais la grande crise structurelle de l'Église catholique et aussi des autres Églises chrétiennes, c'est-à-dire des Églises structurées par la tradition, n'a pas été stoppée. C'est un problème dont il faut s'occuper.

En ce qui concerne la voie synodale en Allemagne, nous savons que François est d'une part favorable à ce que l'on discute et s'exprime. D'autre part, il a bien sûr aussi peur qu'il y ait des divisions dans l'Église universelle ou dans la Curie elle-même. Mais parfois, il faut aussi faire attention aux nuances dans les gestes du Vatican. Au printemps, un communiqué est venu de Rome disant que la voie synodale allemande ne pouvait pas prendre de décisions contraignantes lorsqu'il s'agit de la doctrine. Bien sûr, les évêques allemands ont répondu que ce n'était écrit nulle part. Ce sont des propositions qui sont élaborées.

Ce communiqué était certes officiel, mais il provenait sans signature du service de presse du Vatican. Il n'était pas signé par un évêque, un cardinal ou un cardinal de la Curie. Cela montre quelque chose que l'on m'avait déjà dit à Buenos Aires à propos de l'archevêque Bergoglio - François suit parfois un cours en zigzag. D'un côté, il dit que les catholiques allemands doivent prendre les devants. Puis il dit qu'il faut être prudent. Et puis vient un communiqué de ce genre, qui est bilatéral, car il doit être rassurant pour ceux qui freinent et être malgré tout un petit signal pour les réformateurs.

A quoi tout cela va-t-il aboutir ? Le synode mondial se termine à l'automne prochain. Et l'Allemagne veut en finir avec son processus au printemps 2023.

Politi : Je pense que la voie synodale est un processus très important parce qu'en ce moment, la communauté catholique allemande est en première ligne dans la tentative de réformer l'Église. Il s'agit de réformes fondamentales. Le rôle de la femme, la position du prêtre, mais aussi la manière dont l'autorité et la violence sont exercées, ce sont des problèmes très fondamentaux. Je pense qu'en ce sens, la voie synodale en Allemagne sera un jalon qui sera ensuite sur la table pour l'ensemble de l'Église catholique mondiale, exactement comme cela a été le cas pour le synode amazonien. Ce sont des moments importants où l'on a discuté et réfléchi et où l'on a fait des propositions concrètes.

La grande question est de savoir ce qui va se passer lors du synode mondial. Jusqu'à présent, en tant qu'observateur, je dois dire que je n'ai rien vu de particulier au niveau mondial d'une sorte de mobilisation telle qu'elle existait à l'époque précédant le Concile Vatican II. À l'époque, il n'y avait pas que les évêques, il y avait des théologiens, des laïcs et des initiatives de groupes qui réfléchissaient déjà à la manière de réformer la liturgie. Ils réfléchissaient à ce que seraient les relations avec les juifs et les relations avec les sœurs et les frères des autres Églises chrétiennes et des autres religions. Il y a eu un grand travail préparatoire.

Je ne vois rien de particulier dans ce travail préparatoire au niveau mondial. Je ne vois rien de particulier non plus en Italie. On parle de manière très générale et on dit qu'il faut écouter la société, même les milieux éloignés de l'Église. Mais ensuite, je lis par exemple un document de travail de la Conférence épiscopale allemande, qui fait certainement un travail approfondi à la manière allemande et qui dit : nous n'avons pas réussi à entrer en dialogue avec les personnes éloignées de l'Église. Et d'autre part, même au sein de la communauté catholique allemande, les gens ne se sont pas mobilisés autant qu'on aurait pu l'espérer. C'est pourquoi beaucoup de choses dépendent maintenant, en ce moment historique, de la manière dont le synode mondial va se prononcer. La question est de savoir s'il y aura un moment où le feu de la discussion s'enflammera ou si tout cela ne restera qu'un processus bureaucratique.

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