Chine : quelle Eglise le parti communiste entend-t-il façonner? (17/09/2022)

De Jordan Pouille sur le site de l'hebdomadaire La Vie :

Quelle Église le Parti communiste chinois entend-t-il façonner?

Farouche opposant à l’accord entre Pékin et le Saint-Siège sur la nomination des évêques, le cardinal Joseph Zen, 90 ans, se retrouve au tribunal le 19 septembre 2022 car il avait soutenu les manifestants en faveur de la démocratie à Hongkong.

16/09/2022

Nous avions rencontré le cardinal Zen en septembre 2019, dans un quartier résidentiel paisible de Hongkong. Il louait la mobilisation des étudiants catholiques dans les manifestations en faveur de la démocratie qui chahutaient les avenues de ce centre financier mondial. Il se savait surveillé et n’en avait cure. Puis, dans les trois années qui ont suivi, une purge impressionnante a frappé tous les critiques hongkongais du pouvoir chinois. Et le cardinal, à 90 ans, n’y a pas échappé.

Le 10 mai 2022 au soir, Joseph Zen et trois autres personnes ont été placés en détention par la section de la police chargée de superviser la sécurité nationale. Le cardinal est alors accusé de « collusion avec des forces étrangères » dans le cadre de son rôle présumé de coadministrateur d’un fonds de soutien humanitaire dit « 612 ». Une infraction du même ordre que la subversion, la sécession et le terrorisme, passibles de la prison à vie. Fondé en 2019 et dissout en 2021, le Fonds 612 a permis à des manifestants prodémocratie de payer leurs frais juridiques et médicaux.

De la prison à la simple amende

Les semaines ont passé et l’inculpation officielle retenue par le tribunal de West Kowloon, pour le procès prévu du 19 au 23 septembre 2022, est devenue plus clémente : le cardinal est accusé d’avoir participé à la création d’une caisse non déclarée. Sauf coup de théâtre, il risque une simple amende, 1 600 € tout au plus. Cependant, Pékin a déjà gagné : désormais le cardinal se tait et ne s’indigne plus. Il se contente, sur les réseaux sociaux, de demander aux fidèles de prier pour lui, pour l’Église et Hongkong. Ainsi s’éteint l’une des dernières voix de la dissidence en Chine.

Né à Shanghai en 1932, entré chez les Salésiens à 12 ans, Joseph Zen a fui à Hongkong en 1948, juste avant l’arrivée des communistes au pouvoir. Il a ensuite poursuivi ses études de théologie à Milan. Il est en revenu prêtre, bien décidé à enseigner dans les séminaires officiels et souterrains de la Chine continentale, à raison de six mois par an. En 1997, Hongkong est rétrocédé par la Grande-Bretagne à la Chine.

En 2002, le pape Jean Paul II nomme Zen archevêque de Hongkong. Celui-ci organise alors de grandes messes pour commémorer le massacre des étudiants de la place Tian’anmen. Puis il exhorte les catholiques à manifester, tantôt pour défendre le droit au regroupement familial des Chinois du continent fraîchement installés dans la péninsule, tantôt pour s’inquiéter d’un projet de loi contre la subversion ou d’un contrôle de l’enseignement catholique. Aux détracteurs au sein de son camp, le cardinal Zen répondait : « Ceux qui disent qu’un prêtre doit s’en tenir à la prière n’ont rien compris à ce qu’est l’Église. »

Le silence de Rome

Quand il s’agit de prendre position contre l’arrestation du cardinal, le Vatican brille par sa discrétion rhétorique. Il observe la ligne de Paul Richard Gallagher, secrétaire du Saint-Siège pour les relations avec les États. « On peut dire beaucoup de mots, disons appropriés, qui seraient appréciés par la presse internationale (…) mais je n’ai pas encore été convaincu que cela ferait une quelconque différence », disait-il en juin 2021.

Le fait que le cardinal échappe à la prison est probablement le fruit de pourparlers tenus à Tianjin début septembre 2022 entre une délégation vaticane et les autorités chinoises. Il s’agissait d’abord de reconduire pour deux ans au moins un accord signé en 2018 entre Rome et Pékin pour nommer de concert les évêques chinois.

« L’Église revendique la légitime liberté dans la nomination de ses évêques, soucieuse qu’ils soient d’authentiques pasteurs selon le Cœur du Christ et ne répondent pas à d’autres critères purement humains, mais ne doit pas se scandaliser du fait que, dans certaines situations, elle accepte aussi de répondre à des besoins particuliers, comme certaines demandes exprimées par les autorités politiques », a affirmé Pietro Parolin, secrétaire d’État du Saint-Siège, le 9 août 2022 dans Limes, revue de géopolitique italienne. Et d’ajouter : « Quant à l’évaluation des résultats de l’accord, je crois pouvoir dire que des pas ont été franchis, mais que tous les obstacles et toutes les difficultés n’ont pas été surmontés, et qu’il reste donc un long chemin à parcourir pour sa bonne mise en œuvre et aussi, à travers un dialogue sincère, pour son affinement. »

Sur ce sujet, le cardinal Zen a toujours dénoncé une « trahison », une « soumission » de l’Église au pouvoir communiste. « Cet accord a valeur de test qui permet à chaque partie de mesurer la fiabilité de l’autre en vue de développements ultérieurs », analyse pour sa part le professeur Agostino Giovagnoli, chroniqueur pour le quotidien italien Avvenire« D’un point de vue purement politico-diplomatique, cet établissement de relations avec la Chine est un grand succès du pontificat du pape François. Mais le Saint-Siège n’a jamais voulu le souligner. »

Selon le professeur, cette rencontre à Tianjin a donc permis d’élargir l’accord dans le temps, redéfinir les limites des diocèses, s’assurer du bien-être de Melchior Shi Hongzhen, 93 ans, l’évêque souterrain de Tianjin longtemps reclus dans une église-taudis de la banlieue industrielle de Tianjin, et, bien sûr, aborder le cas du cardinal Zen.

Sinisation de l’Église

Un accord non reconduit et un cardinal emprisonné seraient, de toute façon, du plus mauvais effet à quelques jours du XXe congrès du Parti communiste chinois (PCC). Le 16 octobre 2022, on connaîtra la ligne du Parti pour les cinq ans à venir et on célébrera sans doute la réélection de son secrétaire général, Xi Jinping, pour un troisième mandat.

En matière de pratique catholique, un aperçu de la nouvelle ligne officielle a été offert le 20 août 2022, à Wuhan, lors du Xe Congrès national du catholicisme. C’est là qu’ont été présentés les nouveaux responsables de l’Association patriotique, organe du parti chargé de la question religieuse en Chine, et de la Conférence des évêques chinois. Le dernier jour du congrès, Wang Yang, l’un des sept membres du Comité permanent du bureau politique du PCC, a exhorté les participants à « résister à l’influence étrangère » et à « s’assurer que le contrôle de l’Église demeure dans les mains de patriotes ».

Cette sinisation de l’Église n’est autre qu’une allégeance totale à l’autorité du PCC, déjà réclamée par Xi Jinping en décembre 2021. Lors d’une conférence sur les affaires religieuses, il déclarait vouloir « guider activement les religions vers une adaptation à une société socialiste », en renforçant le contrôle des contenus publiés sur Internet afin de supprimer toute forme de prosélytisme.

Ce n’est donc pas un hasard si l’application de streaming Cath’assist’, plébiscitée par des dizaines de milliers de catholiques chinois pour visualiser des messes, des lectures bibliques ou des moments de vie chrétienne depuis son smartphone, n’a pas réussi à obtenir la licence de service d’information religieuse par Internet instaurée en mars 2022, l’obligeant à baisser définitivement le rideau.

La Chine évoquée par François

Lors du vol retour de son voyage au Kazakhstan, le pape a évoqué la question de la Chine, en particulier du dialogue avec le Vatican, citant au passage le cardinal Zen.

« Pour comprendre la Chine, il faut un siècle, et nous ne vivons pas un siècle. La mentalité chinoise est une mentalité riche et quand elle tombe un peu malade, elle perd sa richesse, elle est capable de commettre des erreurs. Pour comprendre, nous avons choisi la voie du dialogue, nous sommes ouverts au dialogue. Il y a une commission bilatérale Vatican-Chine qui procède bien, lentement, car le rythme chinois est lent. Ils ont une éternité pour poursuivre : c’est un peuple d’une patience infinie. À partir des expériences que nous avons vécues auparavant, pensons aux missionnaires italiens qui sont allés là-bas et qui ont été respectés en tant que scientifiques, pensons aussi aujourd’hui aux nombreux prêtres ou croyants qui ont été appelés par l’université chinoise parce que cela donne de la valeur à la culture. Il n’est pas facile de comprendre la mentalité chinoise, mais il faut la respecter, je la respecte toujours.

« Et ici, au Vatican, il y a une commission de dialogue qui fonctionne bien, le cardinal Parolin la préside et c’est l’homme qui connaît le mieux la Chine et le dialogue chinois en ce moment. C’est une chose lente, mais on avance. Je n’ai pas envie de qualifier la Chine d’antidémocratique, car c’est un pays très complexe… Oui, c’est vrai qu’il y a des choses qui nous semblent antidémocratiques, c’est vrai. Le cardinal Zen passera en jugement ces jours-ci, je crois. Il dit ce qu’il ressent, et on voit qu’il y a des limites. Plutôt que de qualifier, parce que c’est difficile, et je n’ai pas envie de qualifier, ce sont des impressions. J’essaie de soutenir la voie du dialogue. Ensuite, dans le dialogue, beaucoup de choses sont clarifiées et pas seulement de l’Église, mais aussi dans d’autres domaines, par exemple l’extension de la Chine, les gouverneurs des provinces sont tous différents, il y a différentes cultures en Chine, c’est un géant, comprendre la Chine est une chose géante. Mais il ne faut pas perdre patience, il en faut, il en faut beaucoup, mais il faut procéder par le dialogue, j’essaie de m’abstenir de qualificatif… mais avançons. »

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