Belgique : regard extérieur sur une Eglise sinistrée (23/09/2022)

De Luke Coppen sur The Pillar :

L'Église catholique belge : en perte de vitesse mais toujours influente

Le catholicisme belge subit une forte déperdition. Alors pourquoi continue-t-il à alimenter l'actualité catholique ?

22 septembre 2022

L'Église catholique de Belgique fait la une des journaux cette semaine, après que les évêques ont publié un texte pour la bénédiction des couples de même sexe. Mais ce n'est pas seulement cette semaine que le pays a attiré l'attention des cercles catholiques - le catholicisme belge jouit depuis longtemps d'une influence considérable au sein de l'Église mondiale, surtout depuis le concile Vatican II. Pourtant, la Belgique n'occupe que la 28e place sur la liste des pays ayant la plus grande population catholique, derrière la République dominicaine et le Kenya.

Alors pourquoi le pays continue-t-il à alimenter l'actualité catholique ? Le Pillar y jette un coup d'œil.

Un cardinal, le Conseil et la coresponsabilité

La Belgique n'est pas un pays facile à comprendre. Pendant des siècles, cette bande de terre stratégique a été le "champ de bataille de l'Europe". La nation, qui a déclaré son indépendance des Pays-Bas en 1830, est composée de deux grands groupes ethniques : les Flamands, majoritaires, qui parlent un dialecte néerlandais, et les Wallons, minoritaires, qui parlent français.

La Belgique compte 11,5 millions d'habitants et a des frontières communes avec les Pays-Bas, l'Allemagne, le Luxembourg et la France. Sa capitale, Bruxelles, est le centre de l'Union européenne, une alliance politique et économique de 27 États membres. Le pays est relativement prospère, mais les étrangers le considèrent souvent comme profondément divisé sur le plan culturel et son gouvernement comme dysfonctionnel, le surnommant "l'État en faillite le plus réussi du monde". (...)

On dit souvent qu'il n'y a pas de Belges célèbres, mais en fait, le pays a produit des saints légendaires tels que saint Jean Berchmans et saint Damien de Molokai.

Peu après l'indépendance de la Belgique, un important centre d'érudition catholique a été établi dans la ville de Louvain. (L'université catholique de la ville s'est divisée dans les années 1960 selon des lignes linguistiques, ce qui a alors entraîné l'effondrement d'un gouvernement belge).

Les prouesses académiques de l'Église belge ont eu une influence lorsque le pape Jean XXIII a convoqué les évêques du monde entier à Rome pour un Conseil œcuménique en 1962. Les théologiens et les évêques belges contribuèrent vigoureusement aux sessions de Vatican II, et le cardinal Leo Jozef Suenens fut le premier à le faire. Selon sa nécrologie parue dans le New York Times, Suenens a contribué à influencer l'orientation du concile en envoyant au pape une critique des documents préparatoires. Avec le soutien de Jean XXIII, le cardinal a présenté une vision alternative lors de la première session du Conseil. Le pape a ensuite nommé Suenens à une commission chargée de rationaliser l'ordre du jour du Conseil. Paul VI l'a ensuite nommé l'un des quatre modérateurs du Conseil.

Le New York Times a décrit Suenens comme un champion de la "modernisation des vêtements et du style de vie des religieuses catholiques, de l'élargissement des responsabilités des laïcs, de l'ordination d'hommes mariés comme diacres, de la retraite obligatoire des évêques et du renouvellement des liens avec les autres branches du christianisme et avec le judaïsme". Quelques années après Vatican II, Suenens a publié un livre largement discuté dans lequel il affirmait que le Vatican revenait sur l'engagement du Concile en faveur de la "coresponsabilité des laïcs".

Bonnes œuvres, petites congrégations

Le rapport annuel de l'Église belge est une publication colorée et brillante d'une centaine de pages. Avec ses photos excentriques de jeunes et ses pages mettant en avant les œuvres de charité, le rapport suggère que le catholicisme belge est bien vivant. Mais au milieu de la publication, il y a une section statistique. Et là, le tableau commence à s'assombrir. Le rapport note que 1 261 personnes ont demandé à être rayées des registres de baptême en 2020. Cette année-là, 33 paroisses ont été fermées et 17 églises sont tombées en désuétude (dont deux données à d'autres communautés chrétiennes). Il n'y a eu que quatre ordinations sacerdotales dans le pays, tandis que trois prêtres diocésains ont quitté le ministère. Plus de la moitié des prêtres diocésains restants en Belgique sont âgés de plus de 75 ans.

On comprendra que le rapport ne donne pas de chiffres sur la fréquentation des messes, car les églises ont été fermées pendant une grande partie de l'année de la pandémie. Mais le rapport de l'année précédente a enregistré qu'un total de 241 029 personnes ont assisté à la messe le troisième dimanche d'octobre en 2019. Ainsi, environ 3,6 % des catholiques baptisés de Belgique assistaient à la messe un dimanche moyen. Comparez cela à 1967 - à l'apogée de l'influence de Suenens - où 42,9% des catholiques du pays étaient présents à la messe dominicale. En bref, les statistiques suggèrent que, malgré ses bonnes œuvres, l'Église en Belgique souffre d'un fort déclin.

La bataille pour Bruxelles

Le cardinal Suenens a été le premier homme d'Église à diriger l'archevêché de Malines-Bruxelles (qui s'appelait jusqu'en 1961 l'archevêché de Malines). Un autre prélat influent, le cardinal Godfried Danneels, lui a succédé en 1979. Chef de file de l'aile libérale de l'Église européenne, Danneels participe aux réunions du Groupe de Saint-Gall, un cercle informel de prélats qui estiment que l'esprit réformateur du Concile Vatican II a été étouffé.

La réputation de Mgr Danneels a été ternie en 2010 par la fuite d'un enregistrement audio, dans lequel il exhortait un jeune homme à ne pas accuser publiquement son oncle, l'évêque Roger Vangheluwe de Bruges, d'avoir abusé de lui sexuellement. Cette révélation a été suivie d'un rapport indépendant qui a recensé 475 plaintes pour abus contre des membres du clergé et des travailleurs ecclésiastiques entre les années 1950 et 1980. La crise des abus a gravement entamé la réputation du catholicisme belge et a tendu les relations entre les autorités belges et le Vatican.

Mgr Danneels a pris part au conclave de 2013 qui a élu le pape François, apparaissant aux côtés du nouveau pape sur la loggia surplombant la place Saint-Pierre. Le pape l'a nommé participant au synode des familles de 2015 à Rome. Mgr Danneels avait pris sa retraite en tant qu'archevêque de Malines-Bruxelles en 2010. L'archevêque conservateur André-Joseph Léonard lui a succédé, marquant une rupture nette dans la tradition progressiste du siège.

La nomination de Mgr Léonard a été si controversée que l'archevêque Karl-Josef Rauber, ancien nonce apostolique en Belgique, a pris la rare initiative de la dénoncer. Le diplomate du Vatican a déclaré publiquement qu'il aurait préféré que le successeur de Danneels soit un évêque auxiliaire de Malines-Bruxelles. Le pape François a accepté la démission de Léonard, après un mandat mouvementé, peu après son 75e anniversaire en 2015. Le pape a choisi l'évêque Jozef De Kesel - un ancien évêque auxiliaire sous Danneels - comme successeur de Léonard et l'a rapidement nommé cardinal. En 2015, il a également remis à Rauber le chapeau rouge.

Cette année, le pape François a nommé un autre Belge au collège des cardinaux : l'évêque Lucas Van Looy. Mais l'évêque émérite de Gand, âgé de 80 ans, a demandé à être retiré de la liste des candidats à la suite de critiques selon lesquelles il n'avait pas apporté un soutien suffisant aux victimes d'abus.

Continuité ou changement ?

L'intervention du pape François en 2015 a permis de rétablir une continuité progressiste dans l'archidiocèse de Malines-Bruxelles, siège primatial de la Belgique. Il n'est pas surprenant que son titulaire actuel, le cardinal De Kesel, soit à l'origine du document des évêques flamands autorisant la bénédiction des couples de même sexe.

Le pape n'a pas encore réagi à ce texte, qui semble remettre en cause la déclaration faite l'année dernière par le département doctrinal du Vatican, selon laquelle l'Église n'a pas le pouvoir de bénir les unions homosexuelles. Il se peut qu'il ne commente jamais publiquement le document. Mais il sera bientôt confronté à un choix qui révélera ses pensées.

Mgr De Kesel, primat de Belgique et président de la conférence épiscopale belge, a présenté sa démission en tant qu'archevêque de Malines-Bruxelles le jour de son 75e anniversaire en juin. L'hebdomadaire Katholiek Nieuwsblad a rapporté que c'était "un secret de polichinelle" que De Kesel ne faisait pas "pression pour une nouvelle prolongation de son épiscopat à Malines-Bruxelles." "On lui a diagnostiqué un cancer du côlon au printemps 2020 et le traitement ainsi qu'une opération à l'été 2020 ont fait des ravages. Le cardinal s'est rétabli mais reste affaibli", précise le journal. Le journal spéculait que De Kesel resterait en poste "au moins jusqu'à la visite ad limina des évêques belges", prévue du 21 au 26 novembre. Il semble que le pape doive décider de façon imminente s'il choisit le successeur de De Kesel parmi les évêques flamands qui ont collectivement approuvé le nouveau document ou s'il sort de leur cercle. Son choix enverra un signal important sur l'avenir du catholicisme belge.

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