Les évêques belges et la lutte pour l'héritage de François (23/09/2022)

D'Ed. Condon sur The Pillar :

Les évêques belges et la lutte pour l'héritage de François

Le projet des évêques flamands de bénir les couples de même sexe est au cœur de la lutte pour l'héritage réformateur du pape, même si celui-ci est toujours en fonction.

21 septembre 2022l

Les évêques flamands de Belgique ont publié mardi un texte sur la pastorale des catholiques qui s'identifient comme LGBT, incluant une prière pour "l'amour et la fidélité" des couples de même sexe largement comprise comme un texte à utiliser pour la bénédiction des relations homosexuelles. La partie francophone de la conférence épiscopale de Belgique devrait bientôt publier sa propre version du texte.

Comme on pouvait s'y attendre, la prière est controversée, ses détracteurs y voyant une répudiation des directives du Vatican sur le sujet.

Le pape François interviendra-t-il sur cette question ? Ce n'est pas encore certain.

Mais sa publication pourrait marquer le début d'une bataille publique dans l'Église sur l'héritage du pape François. Et la question de savoir si le pape interviendra pour définir lui-même cet héritage reste incertaine, mais pressante.

Il y a un peu plus d'un an, l'ancienne Congrégation pour la doctrine de la foi a publié un document expliquant que l'Église n'a pas le pouvoir de bénir les unions homosexuelles, tout en soulignant la dignité de toutes les personnes, y compris les catholiques, qui s'identifient comme homosexuels. Le document visait à répondre à l'Église d'Allemagne, où les premiers documents du processus de la "voie synodale" avaient demandé des révisions de l'enseignement de l'Église sur la sexualité humaine, et appelé à la bénédiction des unions homosexuelles dans les églises. Le texte de la CDF (maintenant DDF) n'a pas été accueilli favorablement par l'assemblée synodale allemande, et le clergé allemand a organisé une journée de protestation massive, bénissant liturgiquement des centaines d'unions homosexuelles dans les églises du pays. Mais les évêques allemands ont pour l'essentiel accepté les instructions de Rome - pour l'instant - tout en promettant de poursuivre le débat sur leur programme synodal.

C'est en fait en Belgique que la réponse de la CDF (Congrégation pour la Doctrine de la Foi) a rencontré la réaction la plus provocante. L'évêque Johan Bonny d'Anvers a déclaré que le texte lui faisait "honte de mon Église". L'évêque a qualifié le bureau doctrinal du Vatican d'"arrière-boutique idéologique" et a accusé le principal signataire du texte, le cardinal Luis Ladaria Ferrer, d'être, en fait, dépassé par les événements : "Intellectuellement, cela n'atteint même pas le niveau du lycée", a déclaré Bonny.

Un an plus tard, les évêques belges semblent avoir montré que leur mépris pour le désormais DDF n'est pas que de la rhétorique. Le document prévoyant la bénédiction des relations homosexuelles a été publié quelques semaines seulement avant la visite ad limina des évêques à Rome, leur première depuis plus de dix ans. Pendant leur séjour à Rome, ils rencontreront, comme le font tous les évêques en visite, tous les grands services curiaux, y compris le DDF (Dicastère pour la Doctrine de la Foi en remplacement de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi).

Le texte belge sera sans aucun doute évoqué, mais il s'agira probablement d'un sujet plus embarrassant pour Ladaria, jésuite et nommé par François, que pour ses visiteurs. Les évêques sont bien conscients de l'enseignement de l'Église et de ce que le DDF a dit à ce sujet. Ils semblent tout aussi clairs sur le fait que l'enseignement de l'Église doit changer, et qu'il n'y a rien que le département de Ladaria puisse faire pour les empêcher d'essayer.

Au cours des décennies et des siècles précédents, l'autorité finale du Vatican sur les questions de foi et de morale était à la fois comprise et explicite - mais cette compréhension était sous-tendue par l'attente de toutes les parties que, passé un certain point, le pape interviendrait, de manière décisive si nécessaire. Ce fut le cas au cours des dernières décennies, lorsque l'archevêque de Seattle, Raymond Hunthausen, s'est retrouvé l'objet d'une visite apostolique dans les années 1980, et que saint Jean-Paul II lui a assigné un évêque coadjuteur pour vérifier et corriger efficacement les enseignements de l'archevêque.

Dans un exemple plus récent, l'évêque australien William Morris de Toowoomba a été démis de ses fonctions par Benoît XVI en 2011, lorsqu'il était clair qu'il ne serait pas mis en conformité avec l'enseignement de l'Église sur l'impossibilité d'ordonner des femmes à la prêtrise.

Mais lorsque Ladaria s'assiéra avec les évêques belges dans quelques semaines, peu de personnes dans la salle prendront probablement au sérieux la perspective que François réponde comme JPII et Benoît XVI auraient pu s'y attendre.

Si le pape s'est montré prêt à destituer un évêque pour des raisons de "désobéissance" et de rupture de communion avec d'autres évêques, il n'existe aucun exemple de François prenant des mesures disciplinaires sur des questions doctrinales. En conséquence, les différends sur les questions de foi et de morale entre Rome et les évêques, en particulier en Europe, ont eu tendance à s'articuler autour d'interprétations concurrentes - certaines assez spéculatives - de ce que le pape François enseigne et pense réellement.

Il est révélateur, par exemple, que le texte de 2021 du DDF excluant la possibilité de bénédictions ecclésiastiques pour les unions de même sexe et le document des Belges les introduisant fassent tous deux référence à l'exhortation Amoris laetitia de 2016 de François. Alors que les Belges insistent sur le fait que leurs plans sont dans le moule pastoral exigé par les enseignements du pape, le DDF pourrait faire remarquer que c'est François qui a ordonné la publication de leur document en premier lieu.

Pourtant, l'impression s'est installée, tant à Rome qu'à travers l'Eglise, que le pape lui-même n'est pas susceptible de prendre explicitement position pour l'un ou l'autre camp. Certains observateurs du Vatican y voient une preuve de "gâtisme" de la part du pape, la disposition à manger la confiserie et à l'avoir en même temps - dans ce cas, il semble simultanément se tenir aux enseignements éternels de l'Église tout en permettant une poussée pour des changements radicaux de ceux-ci.

D'autres, y compris de nombreux fonctionnaires travaillant dans la curie romaine, suggèrent discrètement qu'en dépit de son image de pape dirigeant une réforme culturelle et gouvernementale radicale de l'Église universelle, François craint en fait une confrontation directe avec les conférences épiscopales plus progressistes comme la Belgique et l'Allemagne, et s'inquiète de ne pas avoir l'autorité nécessaire pour les mettre au pas, même lorsqu'il pense qu'elles sont allées trop loin.

Que l'une ou l'autre de ces impressions de l'esprit véritable du pape soit exacte, la réalité est que les débats les plus féroces actuellement en cours - sur l'enseignement de l'Église en matière de moralité sexuelle, sur les sacrements, sur la signification et la nature de la synodalité - se sont tous transformés en batailles sur l'héritage de François en tant que pape, même s'il reste en fonction.

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Parmi les fonctionnaires du Vatican qui ont parlé au Pillar, il y a un consensus : Un point de rupture a été atteint dans la tension qui couvait depuis longtemps entre ceux qui sont frustrés que le Vatican n'ait pas fait d'"avancées" doctrinales sur des questions comme les relations homosexuelles, et ceux qui s'efforcent d'empêcher ce qu'ils considèrent comme une abrogation de la doctrine catholique.

Les spéculations médiatiques sur la santé du pape, ou les allusions à une démission, sont normales à ce stade du pontificat - François va bientôt avoir 86 ans. Mais derrière les bavardages habituels de la presse, la bataille pour l'héritage du pontificat de François est devenue réelle, même parmi ceux qui se considèrent tous comme des partisans engagés de l'agenda du pape.

D'un côté, on trouve les institutionnalistes, qui considèrent la plus grande réforme de François comme un changement de musique, plutôt que de paroles, pour l'Église, apportant un nouveau ton pastoral à des vérités et des enseignements immuables. Pour ces personnalités, les actions des évêques allemands et belges constituent un danger clair et présent pour l'existence structurelle d'une Église universelle, menaçant d'une rupture avec Rome et les autres conférences épiscopales du monde sur des questions de doctrine fondamentale.

De l'autre côté, il y a ceux qui voient le pontificat de François comme une fenêtre d'opportunité pour une réforme active de la substance, et pas seulement du ton, de l'enseignement de l'Eglise. Cette fenêtre, craignent-ils, se referme rapidement, et inspire une nouvelle urgence pour cimenter les propositions et les discussions en actions et en résultats.

Il est peut-être révélateur que les tensions entre ces deux camps se soient jusqu'à présent manifestées dans le contexte de la préparation de la session synodale finale de l'année prochaine, prévue pour octobre - mais dans les conversations autour de Rome au moins, le cadre de référence se déplace vers une discussion plus ou moins ouverte sur le prochain conclave et au-delà.

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Alors que les commentateurs essaient généralement d'opposer les candidats conservateurs aux candidats libéraux lors d'une élection papale, c'est la division entre les institutionnalistes et les archiprogressistes qui mérite d'être observée de plus près, les deux camps se présentant comme les plus aptes à poursuivre les réformes de François.

Certains cardinaux éminents, comme le secrétaire d'État du Vatican, le cardinal Pietro Parolin, et le président de la conférence épiscopale italienne, le cardinal Matteo Zuppi, ont longtemps été considérés par certains comme des héritiers potentiels de François. Mais ils sont de plus en plus considérés - du moins par certains progressistes - comme trop proches de la mentalité "institutionnaliste" et pas assez ouverts au type de réforme radicale exigée, par exemple, par les évêques belges et allemands.

De nouveaux noms commencent maintenant à circuler à Rome comme des "François II" potentiels, notamment celui du cardinal Mauro Gambetti, archiprêtre de Saint-Pierre et vicaire général de l'État de la Cité du Vatican, et celui du cardinal maltais Mario Grech, chef du secrétariat permanent du synode. On dit que chacun d'eux signale discrètement son engagement en faveur d'une "réforme définitive" de l'Église.

Les institutionnalistes et les réformateurs radicaux semblent toutefois partager un point commun important : une vision de l'Église qui met l'accent sur l'autorité enracinée dans la personne et la fonction du pape.

Mais, paradoxalement, c'est précisément le refus du pape de soutenir explicitement l'un ou l'autre camp dans les divers affrontements qui se dessinent entre sa curie et les évêques de Belgique et d'Allemagne qui fait craindre à de nombreux observateurs la perspective d'une véritable crise de communion. La dynamique selon laquelle Rome dit une chose et les évêques font le contraire - par exemple en Belgique - n'est tout simplement pas viable à long terme. Même si Rome (et le pape) refuse de prendre des mesures contre les Belges, ou à terme contre les Allemands, le fait d'ignorer publiquement la situation a peu de chances de la faire disparaître. En effet, si François espère qu'en ne prenant pas parti, il pourra éviter le conflit, cette stratégie pourrait finir par provoquer la confrontation même qu'il espère éviter.

Les lettres épiscopales de préoccupation provenant d'autres parties du monde finiront par se transformer en reconnaissant franchement que l'une ou l'autre conférence épiscopale a rompu avec l'enseignement et la discipline universels de l'Église, même si François refuse de répondre à ces lettres. Mais, selon certains, cela pourrait faire partie du plan.

Une théorie suggérée dans certaines parties du Vatican est que certaines conférences épiscopales progressistes cherchent à provoquer une confrontation. Selon cette théorie, si le pape François ne soutient pas explicitement, par exemple, l'ordination des femmes ou la reconnaissance des unions homosexuelles, il appartiendra à son successeur de régler définitivement la question. Dans ce cas, l'argument est le suivant : provoquer une rupture ouverte sur ces questions maintenant pourrait forcer son successeur éventuel à choisir entre le programme de réforme progressiste et la perspective d'un véritable schisme - les réformateurs misant sur le fait qu'il choisira l'unité de l'Église plutôt que l'autorité d'enseignement. Ce futur pape guérirait alors la brèche tout en fixant l'orientation de la réforme en leur faveur, une fois pour toutes. Comme toutes les stratégies de pré-conclave, cette stratégie peut ou non être aussi cohérente et organisée que certains aiment à le penser. Et comme tous les plans précédents, il peut ou non réussir. Mais pour l'instant, il semble qu'au moins certains des fils ecclésiologiques de François réclament, en fait, leur part de son héritage maintenant. Reste à savoir où ils iront avec cela.

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