Le document des évêques flamands sape la quête spirituelle des personnes homosexuelles, avertissent les théologiens belges. (28/09/2022)

De Solène Tadié sur le National Catholic Register :

Le document des évêques flamands sape la quête spirituelle des personnes homosexuelles, avertissent les théologiens belges.

ANALYSE DES NOUVELLES : Les critiques du récent texte proposant une liturgie de bénédiction des couples de même sexe notent que les évêques belges adoptent une interprétation erronée de l'exhortation apostolique 'Amoris Laetitia' du pape François.

27 septembre 2022

Les évêques flamands de Belgique ont annoncé le 20 septembre la création d'une liturgie spécifique pour bénir les couples homosexuels, ainsi que la mise en place d'un " point de contact " dans les paroisses pour les catholiques homosexuels.  

Il s'agit d'un projet que certains théologiens considèrent comme profondément préjudiciable à la vie spirituelle des croyants homosexuels, en plus d'être en contradiction avec le contenu de l'exhortation apostolique Amoris Laetitia (La joie de l'amour), sur laquelle il prétend se fonder.  

Le document de trois pages, intitulé "Être pastoralement proche des homosexuels : Pour une Église accueillante qui n'exclut personne", contredit aussi directement un avis rendu en mars 2021 par le Dicastère pour la doctrine de la foi du Vatican, selon lequel la bénédiction des unions homosexuelles "ne peut être considérée comme licite." 

Cette initiative des évêques de Flandre, qui a cristallisé les dissensions actuelles au sein de l'Église sur les modalités d'accueil des personnes attirées par le même sexe, était en quelque sorte prévisible. En effet, le tollé que le document de la congrégation vaticane a provoqué l'an dernier auprès d'une très grande partie de l'épiscopat belge laissait penser que le débat était loin d'être clos dans ce pays. 

"Je ressens une honte par procuration pour mon Église", a écrit Mgr Johan Bonny, évêque d'Anvers, dans un article d'opinion publié à la suite de la publication du responsum du Vatican. "Je veux m'excuser auprès de tous ceux pour qui cette réponse est douloureuse et incompréhensible. [...] Leur douleur pour l'Église est ma douleur aujourd'hui."  

Dès 2014, lors de la préparation du synode sur la famille, Mgr Bonny - qui représentait la Belgique au synode - avait annoncé qu'il plaiderait pour la bénédiction des couples de même sexe. 

De nombreux autres responsables catholiques belges se sont également déclarés publiquement en faveur de la bénédiction des couples de même sexe ces dernières années, à commencer par le primat de Belgique lui-même, le cardinal Jozef De Kesel. L'archevêque de Malines-Bruxelles et président de la Conférence des évêques de Belgique avait en effet déjà réfléchi, en 2018, à la possibilité de "célébrations de prière" pour sceller une union à vie de couples homosexuels.  

Un "vent de panique

Par ailleurs, le récent texte des évêques flamands fait en réalité écho à un projet lancé par le diocèse francophone de Liège en décembre 2021, qui proposait une prière spéciale pour les couples de même sexe devant être conduite par "un prêtre, un diacre, un religieux ou tout autre laïc mandaté à cet effet par le doyen ou le curé de l'unité pastorale." 

Pour le père Christophe Cossement, théologien moraliste et curé du diocèse de Tournai en Belgique, la démarche des évêques a probablement été "précipitée" par la déclaration de 2021 du Dicastère pour la doctrine de la foi. "Ce document a provoqué une vague de panique dans l'Église belge", a-t-il commenté dans une interview accordée au Register.  

Leur empressement à réagir a peut-être été renforcé par la récente conclusion de la première phase diocésaine du Synode sur la synodalité, dont la synthèse nationale belge demandait la reconnaissance "rituelle et sociale" par l'Église des "couples cohabitants, des couples de même sexe et des divorcés remariés." 

"La consultation synodale a certainement incité les évêques à publier leur document maintenant, mais ils ne se rendent pas compte qu'ils ont un biais de connaissance", a déclaré au Register Arnaud Dumouch, théologien belge et fondateur de l'Institut Docteur Angélique. "Ceux qui ont participé aux consultations en Belgique ont pour la plupart plus de 70 ans et appartiennent à la génération de mai 68 ; c'est la même génération que ces évêques."  

L'expression d'une époque ?  

De l'avis de Dumouch, les conflits actuels dans l'Église autour de l'accueil des couples homosexuels et d'autres questions doctrinales sont également de nature générationnelle, car de nombreux dirigeants de l'Église restent aujourd'hui très influencés par la philosophie libérale qui a dominé les manifestations étudiantes survenues dans les pays d'Europe occidentale en 1968 (le célèbre slogan des manifestations étudiantes de mai 1968 à Paris, et repris dans les pays voisins, était "Interdit d'interdire") et qu'ils sont déterminés à faire respecter avant de passer le témoin du leadership aux générations suivantes. 

Cependant, en tant qu'animateur d'une chaîne YouTube de diffusion des enseignements catholiques destinée aux jeunes et qui compte 83 000 abonnés, M. Dumouch estime que l'approche des évêques ne répond pas aux préoccupations réelles de la majorité des nouvelles générations de fidèles, dont "la principale préoccupation est de trouver le Seigneur, la prière, le sens de la vie."  

En atteste également, selon lui, la très faible participation au questionnaire du Vatican pour la première phase synodale (principalement axé sur des questions sociologiques comme celle de l'accueil des "membres de la communauté LGBTQI+"), une problématique qu'il partage avec ses abonnés. 

"Ces évêques, qui ont en moyenne tous plus de 70 ans, ont une approche presque exclusivement basée sur la miséricorde et ont tendance à se soucier très peu de la doctrine, alors que la vérité et l'amour doivent aller de pair", poursuit M. Dumouch, notant que beaucoup en Belgique perçoivent cette nouvelle liturgie de l'épiscopat flamand comme la célébration d'un véritable mariage homosexuel.  

Surinterprétation d'Amoris Laetitia

Pourtant, le document des évêques ne va pas vraiment aussi loin et se limite à une formule de prière visant à "bénir et consolider l'engagement d'amour et de fidélité" des couples homosexuels. Il n'est pas précisé si un prêtre ou une autre personne consacrée serait impliqué dans la liturgie de bénédiction.  

Mais comme l'indique le père Cossement, le document commet l'erreur de proposer un cadre définitif pour les personnes ayant une orientation homosexuelle en utilisant des termes tels que " pour toujours ", et s'écarte par conséquent de l'approche mise en avant dans l'exhortation apostolique Amoris Laetitia du pape François de 2016, que les évêques flamands affirment suivre. Leur document fait notamment référence aux paragraphes 250, 297 et 303 du texte papal, qui appellent au respect et à l'accueil de toute personne, quelles que soient sa situation et son orientation sexuelle.  

"Le document du pape évoque une dynamique d'adaptation progressive à la pleine volonté de Dieu pour ceux qui ne vivent pas "encore", "pour le moment", les "exigences générales de l'Évangile", note le père Cossement, regrettant que "l'idéal d'une vie relationnelle qui renonce à la pratique sexuelle homosexuelle soit totalement effacé de la proposition, comme s'il appartenait au passé."  

"C'est comme si le mieux que l'Église puisse offrir aux personnes homosexuelles était la bénédiction d'un couple qui veut être stable", a-t-il poursuivi. "Il est difficile de voir comment cette nouvelle voie correspond encore à ce qu'Amoris Laetitia a rappelé dans son paragraphe 251, à savoir qu''il n'y a absolument aucune raison de considérer les unions homosexuelles comme étant de quelque manière que ce soit similaires ou même de loin analogues au plan de Dieu sur le mariage et la famille.'" 

L'appauvrissement spirituel

Le père Cossement a consacré plusieurs commentaires, notamment via son blog, à la question de l'homosexualité et de l'accueil des personnes homosexuelles au sein de l'Église. Il affirme que sa lecture du texte des évêques belges n'est pas satisfaisante, en ce qu'il propose une "nouvelle normalisation" de l'affection homosexuelle qui "imite au plus près le lien conjugal de l'homme et de la femme."  

"J'y vois un appauvrissement de la quête spirituelle des personnes homosexuelles et un risque de grande perte de dynamisme intérieur sur le chemin de la sainteté", a-t-il déclaré.  

Ce sentiment est partagé par Dumouch, qui s'inquiète également des conséquences que la revendication d'un droit à une sexualité sans lien avec la procréation pourrait avoir sur la vie spirituelle des catholiques. Son inquiétude est toutefois tempérée par son constat que, sur des questions culturelles et sociétales majeures comme l'accompagnement pastoral des personnes homosexuelles, la majorité des jeunes prêtres semblent avoir trouvé la voie d'une saine conciliation entre amour et vérité, entre accueil et adhésion à la doctrine.   

Selon M. Dumouch, "les nouveaux évêques de la jeune 'Génération Jean-Paul II', bien préparés à affronter les défis de notre temps, sont sur le point de prendre le relais, ce qui, je crois, apportera un certain équilibre et apaisera de nombreuses tensions au sein de notre Église." 

Solène Tadié est la correspondante pour l'Europe du National Catholic Register. Elle est franco-suisse et a grandi à Paris. Après avoir obtenu une licence en journalisme à l'université Roma III, elle a commencé à faire des reportages sur Rome et le Vatican pour Aleteia. Elle a rejoint L'Osservatore Romano en 2015, où elle a successivement travaillé pour la section française et les pages culturelles du quotidien italien. Elle a également collaboré avec plusieurs médias catholiques francophones. Solène est titulaire d'une licence en philosophie de l'Université pontificale Saint-Thomas d'Aquin, et a récemment traduit en français (pour les Éditions Salvator) Défendre le marché libre : The Moral Case for a Free Economy du Père Robert Sirico de l'Acton Institute.

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