Eglise : une inévitable implosion ? (02/10/2022)

De Don Pio Pace sur Res Novae :

Vers l’implosion ?

Vers l’implosion ? : c’est le titre (dans lequel le point d’interrogation est de pure forme) du livre d’« entretiens sur le présent et l’avenir du catholicisme » entre Danièle Hervieu-Léger, sociologue des religions, directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), et Jean-Louis Schlegel, sociologue des religions, ancien directeur de la revue Esprit.

Les deux interlocuteurs brodent sur le diagnostic que pose depuis longtemps Danièle Hervieu-Léger, selon lequel se serait produite une « exculturation » du catholicisme : le lien entre culture catholique et culture commune se serait défait. La faute au ringardisme catholique : l’Église de Vatican II, après avoir ouvert des brèches pour rapprocher le catholicisme du monde contemporain, effrayée de ses propres audaces, s’est arrêtée en chemin. D. Hervieu-Léger et J.-L. Schlegel, pessimistes, estiment que les réformes selon eux nécessaires (clergé marié, sacerdoce féminin, entre autres), n’auront pas lieu et qu’il est de toute façon trop tard. Le catholicisme ne survivra pas, disent-il, à une crise interne qui a vu s’effondrer les trois piliers du catholicisme : le monopole de la vérité, la couverture territoriale grâce aux paroisses et la centralité du prêtre comme personnage sacré.

Pour eux, la fracture entre deux catholicismes – que D. Hervieu-Léger appelle « une ligne de schisme » – est entre deux populations catholiques distinctes, mais mouvantes. La réalité serait plutôt celle de « la diversité, la pluralité, l’éclatement ». Le catholicisme connaîtrait un phénomène croissant de « diasporisation », mais qui ne relèverait pas de la même logique que les diasporas juive, arménienne, libanaise, etc., d’installation de petites communautés en terres étrangères. Ici les petites communautés catholiques sont devenues des communautés de diaspora sur place, sur une terre qui est pour ainsi dire devenue étrangère sous leurs pieds. Elles vont avoir à gérer elles-mêmes les nombreuses tensions intérieures qui les traversent et ce pourrait être une « chance » – mais ici les projections des auteurs deviennent fort vagues – dans la mesure où ces communautés « diasporiques » auraient à réinventer une tradition « extrêmement créatrice ». Les instances épiscopales se contentant d’être garantes d’un « lien de communion », assez lâche on suppose. En un mot, si l’on comprend bien, puisque la dynamique Vatican II, même dynamisée par François (lequel est entravé par « la Curie », comme on sait…) n’a pu aboutir institutionnellement, elle aboutira grâce à l’implosion du catholicisme.

Sauf que… Sauf qu’ils accordent cependant l’un et l’autre beaucoup d’attention à la nébuleuse « conservatoire » pour parler comme Yann Raison du Cleuziou (Qui sont les cathos aujourd’hui, Desclée de Brouwer, 2014) laquelle, jusqu’à un certain point, résiste à la sécularisation interne du catholicisme. Ils conviennent que l’existence de ce « foyer observant » oblige les sociologues de leur génération à réajuster leurs analyses. Mais selon eux l’aspect le plus voyant de la résistance de ce conservatoire [et le plus exaspérant pour les tenants de l’offensive Traditionis custodes], à savoir la « traditionalisation » continue du recrutement sacerdotal – le clergé de type traditionaliste ou Communauté Saint-Martin représentera 20 à 40% du clergé français en 2050 – ne change pratiquement rien, car cela représente une infusion cléricale infime. Infime, on veut bien, mais relativement, car le catholicisme est lui-même devenu lui-même infirme dans la société, comme le martèlent nos auteurs.

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