Belgique : retour sur l'euthanasie de la jeune Shanti (11/10/2022)

De Stefano Chiappalone sur la Nuova Bussola Quotidiana :

L'euthanasie de l'espoir : le "cas Shanti" révèle l'abîme des droits civils

11-10-2022

Après avoir survécu à une attaque terroriste de l'organisation Etat islamique, Shanti De Corte, une Flamande de 23 ans, a été traumatisée au point de demander l'euthanasie, avec le consentement de ses parents. Il y avait des alternatives, selon un neurologue. Mais sans perspective de vie après la mort, on finit par rejeter la réalité, également constituée de drames, et par s'échapper par tous les moyens, y compris la mort.

Le 7 mai, Shanti De Corte, une jeune Flamande de 23 ans, est décédée par euthanasie, entourée de ses parents qui ont suivi son choix. La nouvelle s'est répandue ces jours-ci, alors que même la Cour européenne des droits de l'homme, qui a approuvé l'euthanasie pour les personnes dépressives, a dû déplorer le laxisme de la Belgique en matière de contrôle a posteriori des procédures d'euthanasie et les conflits d'intérêts entre ceux qui devraient contrôler et les militants de la "mort douce".

Shanti a demandé à mourir non pas à cause d'une maladie physique incurable, mais à cause d'un mal plus caché qui la rongeait de l'intérieur, qui a éclaté après le tragique attentat d'Isis à l'aéroport de Bruxelles le 22 mars 2016, dans lequel elle a également perdu des camarades de classe, en plus du choc de l'événement lui-même. La jeune fille avait survécu, mais - déjà éprouvée par des problèmes antérieurs, eux aussi de nature psychologique - elle n'avait pas pu se remettre depuis.

Depuis, Shanti a vécu un calvaire de six ans, comprenant des hospitalisations, des médicaments et même une tentative de viol à l'hôpital. En 2020, elle a tenté de mettre fin à ses jours. Elle se sentait "comme un fantôme qui ne peut plus rien ressentir". Sa mère a raconté que c'était "une bataille qu'elle ne pouvait pas gagner". Elle était tellement limitée par la peur qu'elle ne pouvait plus faire ce qu'elle voulait. Elle vivait dans une peur constante et avait complètement perdu son sentiment de sécurité. Chaque fois que Shanti sortait, elle était toujours sur le qui-vive. Ne suis-je pas en danger ? Est-ce que quelque chose pourrait arriver ?".

Jusqu'à la décision extrême : "Après une grave tentative de suicide, elle s'était retrouvée aux urgences. C'était la première fois qu'elle me demandait : "Pourquoi je ne peux pas mourir ?". Sa mère a répondu qu'elle ne voulait pas la perdre mais qu'elle comprenait en quelque sorte sa demande. Être là et la soutenir "est la seule chose que vous pouvez faire en tant que mère", a-t-elle confié, "vous continuez à espérer que ça va marcher, mais en même temps, j'ai senti dès le début que c'est ce qu'elle voulait vraiment". Enfin, la décision de Shanti était aussi la sienne : "J'ai réalisé que Shanti devrait passer ses dernières années à survivre, et qu'il n'était pas possible pour elle de continuer à vivre comme ça".

Une décision prématurée, cependant, selon le neurologue Paul Deltenre, de la clinique Brugmann à Bruxelles, qui a exprimé les préoccupations médicales et éthiques soulevées par cette affaire et, en général, par la loi permissive sur l'euthanasie en Belgique. Alors que la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation de l'euthanasie s'est retranchée derrière la rectitude formelle, déclarant que "la jeune fille était dans un tel état de souffrance psychique que sa demande était logiquement accordée", selon le neurologue Deltenre, l'affaire n'aurait pas dû être poursuivie, car ce n'était de loin pas la seule solution. Sur son rapport, la justice anversoise a ouvert une enquête.

Si la mère était persuadée que le suicide était la seule solution, pour Deltenre, il y avait des alternatives : "il n'y avait rien à perdre à accepter l'offre de traitement faite par l'équipe thérapeutique d'Ostende". Deltenre fait référence à une thérapeute, Nathalie Neyrolles, qui avait proposé d'aider la jeune fille et avait demandé à la rencontrer fin avril : "J'ai été informée que Shanti souffrait d'un traumatisme complexe et que la seule solution proposée à ce jour était d'accepter sa demande d'euthanasie". Sans exclure cette solution a priori, mon expérience en victimologie me pose quelques questions". Une offre rejetée par la psychiatre qui traite Shanti et - à travers elle - par la patiente elle-même.

Le cas de Shanti traduit en pratique la "normalisation" de l'euthanasie, qui était autrefois "autorisée" pour les cas limites de maladies en phase terminale et/ou gravement invalidantes. Si quelqu'un osait dire que tôt ou tard, cela arriverait aussi aux personnes déprimées, il serait accusé d'exagération, au mieux. Au contraire, il s'applique ici aussi aux traumatismes psychologiques - certainement graves et douloureux - pour lesquels on pourrait peut-être trouver une issue. Demain - et nous ne plaisantons pas du tout - la perte d'un emploi ou une déception amoureuse suffiront pour en faire la demande. Et qui pourra jamais interpréter objectivement si le patient est "sans espoir" ou si "sa souffrance - c'est le critère de la loi belge - sur le plan physique ou psychique est persistante et insupportable" ? Shanti a vécu des choses terribles, une sorte de "fin du monde" ; de même, celui qui perd prématurément son conjoint ou son enfant vit une "fin du monde".  Compte tenu de ces prémisses, le plan penche dangereusement vers .....

Si la "reddition" de Shanti était en quelque sorte prévisible, pourquoi sa mère a-t-elle également cessé de se battre ?  La reddition des parents est aussi une "normalisation" inquiétante. C'est ce qu'elle voulait vraiment, a dit sa mère. Est-il possible que tout soit fait pour détourner un enfant des mauvais chemins (par exemple la toxicomanie) et rien pour un enfant qui choisit la mort ? C'est peut-être un peu moins surprenant à la lumière d'une autre "normalisation" de notre époque : si, de nos jours, une mère a le choix (douloureux pour elle mais considéré comme incontestable) de tuer l'enfant qu'elle porte dans son ventre, ce qui s'applique pendant la grossesse doit logiquement s'appliquer aussi après.

Face à une fille qui, au milieu de la vie, renonce à la vie, il suffit de cet instinct de survie (le nôtre et celui des autres) qui nous pousse à secourir un blessé ou à dissuader un inconnu qui veut se jeter d'un pont. N'importe qui le ferait, indépendamment de ses convictions religieuses. Mais l'absence de perspective d'un autre monde peut encourager cette capitulation, car, pense-t-on, après tout il n'y a rien après : ni un lieu de joie où nos larmes seront enfin essuyées et où la souffrance acquerra un sens ; ni un lieu de perdition, où ceux qui ont rejeté Dieu (ou la vie elle-même) jusqu'au bout connaîtront leur sort. Et donc, si les choses deviennent trop difficiles, autant baisser le rideau sur le néant.

Bien que considérée comme "rétrograde", la perspective religieuse était une incitation à se lever et à vivre. L'existence dans le passé n'était certainement pas facile, et pourtant "le phénomène était presque inconnu". Mais c'étaient les siècles très chrétiens et l'Église veillait au grain", écrit Rino Cammilleri dans ces pages. Elle le faisait en montrant le Ciel, mais aussi avec la prédication des Novissimi (aujourd'hui raréfiés et même un peu édulcorés), ainsi qu'avec quelques mesures " médicinales " comme le refus des rites funéraires aux suicidaires : non pas pour punir les morts (qui étaient soutenus par d'autres moyens, en cultivant l'extrême espoir du salut pour tous jusqu'au bout), mais pour admonester les vivants. Si, par contre, la seule perspective qui reste est une pâle vie après la mort tirée d'un manuel d'instruction civique, le sens du péché s'estompe en même temps que le sens de la vie, et l'on perd aussi une forte motivation pour essayer de traverser les moments les plus difficiles.

Le dernier aspect remis en question par la pauvre Shanti est une attitude typique de notre époque : le rejet de la réalité, que nos ancêtres ont affronté dans des conditions matériellement bien pires (y compris les guerres et les famines), mais que nous acceptons tant qu'elle ne montre que son côté positif. Lorsqu'elle nous soumet à des épreuves trop dures, et que nous ne pouvons pas la changer, nous n'avons d'autre choix que de fuir la réalité elle-même. Parfois, malheureusement, même physiquement.

09:03 | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer |