Quelques mois plus tard, en juin 2018, l’évêque a déclaré à la fin d’une procession dans les rues de la ville de Masaya, située à 26 km au sud-est de Managua, capitale du pays, alors que des forces de l’ordre et des commandos s’étaient attaqués à des manifestants : « Je veux lancer un appel à ceux qui sont venus pour tuer dans cette ville, je veux lancer un appel à ceux qui sont des tireurs d’élite (…) – je veux lancer un appel à Daniel Ortega et Rosario Murillo [la femme de Daniel Ortega – NDR]: plus un seul mort à Masaya ! Plus un seul mort ! »
Ovide Bastien mentionne que c’est à partir de ce moment que l’évêque Baèz est devenu une figure prophétique au Nicaragua. « Le gouvernement a tout fait pour le discréditer. » Menacé de mort à plusieurs reprises, il vit désormais en exil. Au sortir des célébrations pascales, il a été appelé par le pape François à demeurer au Vatican.
Répression envers l’Eglise
D’autres évêques se sont également levés pour dénoncer les agissements de Daniel Ortega. C’est notamment le cas de Mgr Rolando Alvarez, qui a été enfermé à l’archevêché de Matagalpa durant deux semaines, avant d’en être délogé manu militari, le 19 aout dernier. La dizaine de prêtres et de laïcs qui étaient avec lui ont également été brutalisés et insultés par les forces de l’ordre.
Notre informateur nicaraguayen souligne que des prêtres ont été arrêtés et envoyés à la tristement célèbre prison Chipote, où se pratiqueraient de la torture et des agressions physiques. Lors de l’entrevue, personne n’avait de nouvelles des prêtres qui y étaient emprisonnés.
Outre la répression physique envers les prêtres de l’Église catholique, Ortega s’en prend aux stations de radio et de télévisions catholiques. « Neuf stations de radio catholiques ont été fermées et trois chaines catholiques ont été retirées de la programmation des télévisions privées, dont la chaine du diocèse de Matagalpa, sur laquelle Mgr Roland Alvarez animait plusieurs émissions », explique notre expert sud-américain.
Si 2018 est une année importante pour comprendre la présente situation au Nicaragua, Ovide Bastien fait remonter le contentieux entre l’Église catholique et Daniel Ortega au temps de la dictature d’Anastasio Somoza (1967-1979). Ce dernier avait succédé à son propre père.
Un conflit qui date
Durant les années 70, rappelle Ovide Bastien, éclate la Révolution sandiniste, dont les leaders venaient du peuple et du clergé catholique, pour renverser Somoza. Les forces révolutionnaires ont finalement pris le pouvoir. « Dans le gouvernement révolutionnaire, nous retrouvions des prêtres qui jouaient des rôles clés, dont les pères Ernesto Cardenal, son frère Fernando Cardenal et Miguel d’Escoto. Ils étaient tous adeptes de la théologie de la libération. »
Daniel Ortega et son parti règnent sur le Nicaragua jusqu’en 1990, année où ils perdent les élections. « Le père Ernesto Cardenal écrit alors un livre dans lequel il souligne que le gouvernement révolutionnaire a changé. Il dénonce le fait que des membres du gouvernement s’enrichissent. D’autres membres du parti exigent sa démocratisation. Daniel Ortega n’était pas d’accord avec ces demandes. Des membres influents ont quitté le parti pour en former un autre », rappelle Ovide Bastien. En 2008, Daniel Ortega reprend le pouvoir.
Se disant toujours chrétien, Daniel Ortega s’exprime alors de plus en plus contre la hiérarchie de l’Église catholique. En 2011, lorsqu’il décide de se représenter aux élections qui s’annoncent, en totale opposition à la constitution du Nicaragua, les évêques s’y opposent.
Depuis, le torchon brûle entre les deux instances.
« La souffrance du peuple est grande! Lorsque le peuple souffre, l’Église ne peut pas demeurer silencieuse. Elle a l’obligation de dénoncer la situation », souffle notre source nicaraguayenne. Malgré tout, elle se dit certaine que les choses vont s’améliorer. Quand? « Dans le temps de Dieu! », lance-t-elle.
Yves Casgrain est un missionnaire dans l’âme, spécialiste de renom des sectes et de leurs effets. Journaliste depuis plus de vingt-cinq ans, il aime entrer en dialogue avec les athées, les indifférents et ceux qui adhèrent à une foi différente de la sienne.