Nos enfants ont le droit de bénéficier d'une parentalité ferme et bienveillante qui leur donne la possibilité de bien grandir (30/10/2022)

Une carte blanche publiée sur le site de la Libre :

La parentalité exclusivement positive ne respecte pas le développement psychologique de l'enfant

Quand va-t-on se rendre compte que cette parentalité qui veut faire l'économie de l’éducation, est un manquement grave aux droits des enfants? Ce sont des limites fermes et bienveillantes qui permettront aux enfants de sortir de leur toute-puissance infantile, de devenir des adultes autonomes.

Contribution externe

28-10-2022

Une carte blanche signée par six spécialistes, belges et français, de la psychiatrie et de la psychologie de l'enfant et de l'adolescent (voir la liste des signataires ci-dessous)

Récemment, une représentante du Conseil de l'Europe aurait exprimé, selon certaines sources, l'hypothèse de déconseiller le 'time-out' pour nos enfants (ou « temps mort » c’est-à-dire le fait de les isoler pour qu’ils se calment ou pour les punir), considérant cette technique d’éducation comme trop violente alors même qu’elle est recommandée par de nombreuses instances internationales (1). Cette expression en a choqué plus d'un. Elle incarne en effet les dérives d’une parentalité « exclusivement » positive.

Tandis que la parentalité positive allie deux vecteurs essentiels au développement de l’enfant, à savoir la bienveillance ET la fermeté (Daly, 2006), la parentalité dite « exclusivement » positive qui voit dans toute fermeté, contrainte ou effort exigé, une forme de violence faite aux enfants, gagne du terrain. Si la parentalité positive doit agir comme point de repère-phare tant pour les professionnels que pour les parents, la dérive de la parentalité « exclusivement » positive (Larzelere et al., 2017), doit quant à elle être dénoncée et endiguée.

Les premiers à souffrir de cette parentalité sont les enfants qui souffrent de ne pas être aidés à grandir, se sentant abandonnés par des adultes à l’attitude exclusivement empathique, à qui on fait croire qu’un enfant peut se contenir, se limiter, s'éduquer, s'élever tout seul. On parle de leur retirer les limites et le cadre dont ils ont besoin pour se construire. Cette parentalité-là menace les droits fondamentaux de l’enfant. Et pourtant, les adeptes de la parentalité exclusivement positive, tentent encore de reculer les limites du possible en matière d’éducation.

Les enfants ne sont pas les seules victimes de cette parentalité. Les parents le sont également et nombreux sont ceux qui se sentent démunis face à la proposition de la représentante au conseil de l’Europe. Ils se trouvent menottés dans l’exercice de leur autorité, paralysés par la crainte de blesser leur enfant de façon irrémédiable en l’exposant à un cadre ferme. Il en est de même pour les professionnels de la santé mentale dont les consultations se remplissent de jeunes patients souffrant des conséquences de cette dérive, entre narcissisme, toute-puissance, intolérance à la frustration et émergence de pathologies psychiatriques graves.

Les enseignants voient leur santé mentale et parfois physique affectée face à des enfants exprimant de plus en plus fort des « besoins » de plus en plus complexes. Les enseignants sont facilement critiqués pour ne pas être à la hauteur des besoins de l’enfant ou pour y répondre de manière inappropriée, voire violente. On leur en demande toujours plus et particulièrement, d’exercer leur métier de pédagogue et d’éducateur avec une bienveillance excluant toute contrainte et tout effort imposé aux enfants.

Quand va-t-on se rendre compte que cette parentalité qui veut faire l'économie de l’éducation, est un manquement grave aux droits des enfants? Quand va-t-on accepter que les bonnes intentions de cette parentalité-là ne sont pas suffisantes pour la valider?

La parentalité exclusivement positive ne respecte pas le développement psychologique de l'enfant. De nombreux cliniciens le crient haut et fort depuis plusieurs décennies : les psychologues et les psychanalystes (Goldman, 2022; Halmos, 2006 ; Omer et al., 2013), les pédopsychiatres (Ben Soussan, 2019; Berger, 2016; Lebrun, 2017), les thérapeutes cognitivo-comportementaux (Lussier, 2014 ; McMahon & Forehand, 2003; Pleux, 2002), tous sont d'accord. Ils le disent chacun à leur manière, mais ils disent tous la même chose.

Nos enfants ont le droit de bénéficier d'une parentalité ferme et bienveillante qui leur donne la possibilité de bien grandir. Et cela passe par la mise en place de limites. Alors oui, les limites dérangent, créent une frustration, un manque, un moment inconfortable. Mais à travers ce cadre contenant, ce qui se joue pour le psychisme de l’enfant, c’est la possibilité de se confronter à la souffrance d’un désir non satisfait et de la tolérer, et c’est aussi l’opportunité de se confronter aux besoins et aux limites de l’autre. Si cette expérience n’est pas faite, le désir devient un tyran qui exige satisfaction, sans considération pour autrui.

Ainsi, ce sont ces limites fermes et bienveillantes qui permettront aux enfants de sortir de leur toute-puissance infantile, de devenir des adultes autonomes, des citoyens capables de fonctionner en interaction avec les autres (Lebrun, 2009, Marcelli, 2020). Et contrairement à ce que les défenseurs d'une parentalité exclusivement positive peuvent en dire, une limite (de même qu'une contrainte ou un effort demandé) n'est pas source de traumatisme ! C'est au contraire une source d'apaisement et de sécurité. Etre ferme n'est pas être violent, c'est montrer sa position d'autorité dans une relation où l'enfant n'est pas l'égal de l'adulte en raison même de son immaturité et de son besoin de protection. Laisser à l'enfant le temps de se calmer seul n'est pas de la maltraitance, c'est lui permettre de grandir. Utiliser le time out, c'est offrir à l'enfant du temps de « penser pour comprendre » (Drory, 2020). L'agitation, l'agressivité, l'impulsivité, l'opposition sont présentes et normales chez les jeunes enfants. Mais ils ont besoin qu'on les aide à contenir leurs pulsions C'est le rôle des parents, rôle qui devrait être soutenu par la société qui aujourd'hui, tend au contraire à culpabiliser et juger tout parent qui éduque son enfant (Berger, 2016).

A leur tour, de nombreux scientifiques abondent dans le sens des cliniciens. Ils dénoncent l’utilisation tronquée qui est faite de la littérature scientifique pour justifier le refus de toute punition incluant notamment le time-out ou le retrait d’un privilège (Larzelere et al., 2017; Larzelere et al., 2020). Tandis que les adeptes de la parentalité exclusivement positive font l’amalgame entre fermeté et violence, refusant toute nuance entre des pratiques comme le time-out d’une part, et les gifles ou les coups de bâton de l’autre, les scientifiques rappellent la distinction fondamentale entre autorité ferme et autoritarisme (Baumrind, 2012). Un article récent suggère aussi que la parentalité exclusivement positive finit par se retourner contre ceux qu’elle est sensée protéger, les enfants (Dupont et al., 2022). Et les études se multiplient également dans le champ du burn-out chez les parents et les enseignants (García-Carmona et al., 2019; Roskam et al., 2021)

Le conseil de l'Europe, sur son site nous dit : "En tant que parent, vous devez élever et éduquer vos enfants".

Alors, nous, cliniciens, chercheurs, professionnels de la santé mentale réclamons le droit des enfants à être élevés et éduqués par des parents confiants en leurs compétences. Ce droit à l’éducation doit passer par des décisions justes et étayées, fondées sur des recherches, des études, des statistiques, et non sur le ressenti ou l’expérience personnelle d'experts auto-proclamés qui soignent leur popularité par un discours certes séduisant, mais dangereusement simplificateur.

Note

(1) Academy of Child and Adolescent Psychiatry; CDC américain (centre de prévention des maladies): https://www.cdc.gov/parents/essentials/timeout/steps.html...; Conseil de l'Europe (https://rm.coe.int/politiqes-visant-a-soutenir-une-parentalite-positive/16809a5bf4) ; Programme Barkley dans le traitement des agitations infantiles ( https://www.tdah-france.fr/Programme-d-entrainement-aux-h...); Pr Kazdin, directeur du centre de parentalité à l'université de Yale (http://lareflexiotheque.e-monsite.com/blog/evidence-based-mama/the-every-day-parenting-toolkit-kazdin.html) ; Programme de parentalité positive Triple P (programme implanté et évalué dans une trentaine de pays, soutenu par l'OMS, qui fait l'objet de financements gouvernementaux et de recherches dans diverses universités).

Les signataires :

Berger Maurice, pédopsychiatre, ex-professeur associé de psychopathologie de l'enfant à l'Université Lyon 2, ancien chef de service en pédopsychiatrie au CHU de Saint Etienne, membre de plusieurs commissions ministérielles sur la protection de l'enfance en France

Dechêne Sophie, pédopsychiatre, MRCPsych, médecin responsable au RHESEAU

Goldman Caroline, psychologue pour enfants et adolescents, Docteure en psychopathologie clinique (université de Paris), enseignante, formatrice, auteure d’ « Établir les limites éducatives : évaluation, diagnostic, actions thérapeutiques », Dunod, 2022)

Marcelli Daniel, professeur émérite de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, ancien président de la Société Française de Psychiatrie de l'Enfant, de l'Adolescent et des Disciplines Associées SFPEADA. Président d'honneur de la Fédération Nationales des Ecoles de parents et d'Educateurs FNEPE

Mikolajczak Moïra, Mikolajczak Moïra, Docteure en sciences psychologiques, Professeure de Psychologie Clinique et de la Santé à l'Université de Louvain (UCLouvain, Belgique)

Roskam Isabelle, Docteure en en sciences psychologiques, Professeure de Psychologie du développement et de la parentalité à l'Université de Louvain (UCLouvain, Belgique)

Références :

  1. Baumrind, D. (2012). Differentiating between Confrontive and Coercive Kinds of Parental Power-Assertive Disciplinary Practices. Human development, 55 (2), 35-51. 10.1159/000337962
  2. Ben Soussan P. (2019). Survivre à vos enfants, ce que l'éducation positive ne vous a pas dit . Toulouse : Érès.
  3. Berger, M. (2016). De l'incivilité au terrorisme : comprendre la violence sans l'excuser . Paris: Dunod.
  4. Daly, M. (2006). La parentalité positive dans l'Europe contemporaine Evolution de la parentalité. Enfants d'aujourd'hui, parents de demain,
  5. Dupont, S., Mikolajczak, M., & Roskam, I. (2022). The Cult of the Child: A Critical Examination of Its Consequences on Parents, Teachers and Children. Social sciences (Basel), 11 (3), 141. 10.3390/socsci11030141
  6. García-Carmona, M., Marín, M. D., & Aguayo, R. (2019). Burnout syndrome in secondary school teachers: a systematic review and meta-analysis. Social psychology of education, 22 (1), 189-208. 10.1007/s11218-018-9471-9
  7. Goldman, C. (2022). Établir les limites éducatives : évaluation, diagnostic, action thérapeutique (2e édition. ed.). Malakoff: Dunod.
  8. Halmos, C. (2006). Pourquoi l'amour ne suffit pas : aider l'enfant à se construire . Paris: Nil.
  9. Larzelere, R. E., Gunnoe, M. L., Roberts, M. W., & Ferguson, C. J. (2017). Children and Parents Deserve Better Parental Discipline Research: Critiquing the Evidence for Exclusively "Positive" Parenting. Marriage & Family Review, 53 (1), 24-35. 10.1080/01494929.2016.1145613
  10. Larzelere, R. E., Gunnoe, M. L., Roberts, M. W., Lin, H., & Ferguson, C. J. (2020). Causal Evidence for Exclusively Positive Parenting and for Timeout: Rejoinder to Holden, Grogan-Kaylor, Durrant, and Gershoff (2017). Marriage & Family Review, 56 (4), 287-319. 10.1080/01494929.2020.1712304
  11. Lussier, F. (2014). Mon enfant est difficile. Paris : Editions Tom Pousse.
  12. Lebrun, J.-P. (2009). Un monde sans limite .
  13. Lebrun, J.-P. (2017). Les risques d'une éducation sans peine . Bruxelles: Yapaka.be.
  14. Marcelli, D. (2020). Moi, je. De l'éducation à l'individualisme. Paris : Albin Michel.
  15. McMahon, R. J., & Forehand, R. L. (2003). Helping the noncompliant child: Family-based treatment for oppositional behavior (2nd ed.) . New York, NY, US: Guilford Press, New York, NY. http://search.proquest.com/docview/620275424?accountid=12156
  16. Omer, H., Steinmetz, S. G., Carthy, T., & von Schlippe, A. (2013). The Anchoring Function: Parental Authority and the Parent-Child Bond. Family process, 52 (2), 193-206. 10.1111/famp.12019
  17. Pleux, D. (2002). De l'enfant roi à l'enfant tyran (O. Jacob, Ed.).
  18. Roskam, I., Aguiar, J., Akgun, E., Arikan, G., Artavia, M., Avalosse, H., Aunola, K., Bader, M., Bahati, C., Barham, E. J., Besson, E., Beyers, W., Boujut, E., Brianda, M. E., Brytek-matera, A., Carbonneau, N., César, F., Chen, B.-b., Dorard, G., et al. (2021). Parental burnout around the globe: A 42-country study. Affective science, 2 (1), 58-79. 10.1007/s42761-020-00028-4

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