[…] Je voudrais donc exposer trois défis qui apparaissent dans le Document sur la Fraternité humaine et dans la Déclaration du Royaume du Bahreïn, sur lesquels on a réfléchi ces jours-ci. Ils concernent la prière, l’éducation et l’action.

Tout d’abord la prière, qui touche le cœur de l’homme. En fait, les drames que nous subissons et les déchirures dangereuses que nous subissons, « les déséquilibres qui travaillent le monde moderne, sont liés à un déséquilibre plus fondamental qui prend racine dans le cœur même de l’homme » (Gaudium et spes, n. 10). C’est là que se trouve la racine. Et donc, le plus grand danger ne réside pas dans les choses, dans les réalités matérielles, dans les organisations, mais dans l’inclination de l’être humain à s’enfermer dans l’immanence de son moi, de son groupe, de ses intérêts mesquins. Ce n’est pas un défaut de notre époque, cela existe depuis que l’homme est homme et, avec l’aide de Dieu, il est possible d’y remédier (cf. Lett. enc. Fratelli tutti, n. 166).

C’est pourquoi la prière, l’ouverture du cœur au Très-Haut, est fondamentale pour nous purifier de l’égoïsme, de la fermeture, de l’autoréférence, du mensonge et de l’injustice. Celui qui prie reçoit la paix dans son cœur et ne peut qu’en devenir le témoin et le messager ; et inviter, avant tout par l’exemple, ses semblables à ne pas devenir les otages d’un paganisme qui réduit l’être humain à ce qui se vend, s’achète ou amuse, mais à redécouvrir la dignité infinie que chacun porte comme une emprunte. L’homme religieux, l’homme de paix, c’est celui qui, cheminant avec les autres sur la terre, les invite avec douceur et respect à lever le regard vers le Ciel. Et il porte dans sa prière, comme l’encens qui monte vers le Très-Haut (cf. Ps 141, 2), les fatigues et les épreuves de tous.

Mais, pour que cela puisse avoir lieu, une prémisse est indispensable : la liberté religieuse. La Déclaration du Royaume du Bahreïn explique que « Dieu nous a orientés vers le don divin de la liberté de choix » et ainsi « aucune forme de contrainte religieuse ne peut conduire une personne à une relation significative avec Dieu ». Toute contrainte est indigne du Tout Puissant, car Il n’a pas donné le monde à des esclaves mais à des créatures libres qu’il respecte jusqu’au bout. Engageons-nous alors pour que la liberté des créatures reflète la liberté souveraine du Créateur, pour que les lieux de culte soient protégés et respectés, toujours et partout, et que la prière soit favorisée et jamais entravée. Mais il ne suffit pas d’accorder des permissions et de reconnaître la liberté de culte, il faut atteindre la vraie liberté de religion. Et non seulement chaque société, mais chaque croyance est appelée à s’examiner sur ce sujet. Elle est appelée à se demander si elle oblige de l’extérieur ou bien libère de l’intérieur les créatures de Dieu; si elle aide l’homme à repousser les rigidités, la fermeture et la violence ; si elle accroît chez les croyants la vraie liberté, qui ne consiste pas à faire ce dont on a envie et ce qui plaît, mais à se disposer pour le bien en vue duquel nous avons été créés.

Si le défi de la prière concerne le cœur, le deuxième, l’éducation, concerne essentiellement l’esprit de l’homme. La Déclaration du Royaume du Bahreïn affirme que « l’ignorance est ennemie de la paix ». Il est vrai que, là où les possibilités d’instruction font défaut, les extrémismes augmentent et les fondamentalismes s’enracinent. Et, si l’ignorance est ennemie de la paix, l’éducation est amie du développement, pourvu qu’il s’agisse d’une instruction vraiment digne de l’homme en tant qu’être dynamique et relationnel. Elle n’est donc pas rigide ni monolithique, mais ouverte aux défis et sensible aux changements culturels ; non pas autoréférentielle ni isolante, mais attentive à l’histoire et à la culture d’autrui ; non pas statique mais curieuse, pour embrasser des aspects divers et essentiels de l’unique humanité à laquelle nous appartenons. Cela permet, en particulier, d’entrer au cœur des problèmes sans prétendre avoir la solution et résoudre de manière simple des problèmes complexes, mais avec la disposition à habiter la crise sans céder à la logique du conflit. La logique du conflit nous conduit toujours à la destruction. La crise nous aide à penser et à mûrir. Il est en effet indigne de l’esprit humain de croire que les raisons de la force l’emportent sur la force de la raison, d’utiliser des méthodes du passé pour des questions présentes, d’appliquer les schémas de la technique et de la rentabilité à l’histoire et à la culture de l’homme. Il est nécessaire de s’interroger, d’entrer en crise et de savoir dialoguer avec patience, respect et dans un esprit d’écoute ; d’apprendre l’histoire et la culture d’autrui. C’est ainsi que l’on éduque l’esprit de l’homme, en nourrissant la compréhension mutuelle. Parce qu’il ne suffit pas de se dire tolérants, il faut vraiment faire de la place à l’autre, lui donner des droits et des opportunités. C’est une mentalité qui commence par l’éducation et que les religions sont appelées à soutenir.

Concrètement, je voudrais souligner trois urgences éducatives. Premièrement, la reconnaissance de la femme dans le domaine public, dans l’instruction, dans le travail, dans l’exercice de ses droits sociaux et politiques (cf. Document sur la Fraternité humaine). En cela, comme dans d’autres domaines, l’éducation est la voie pour s’émanciper d’héritages historiques et sociaux contraires à cet esprit de solidarité fraternelle qui doit caractériser celui qui adore Dieu et aime le prochain.

Deuxièmement, la défense des droits fondamentaux des enfants (ibid.), pour qu’ils grandissent instruits, assistés, accompagnés, non pas destinés à vivre dans les morsures de la faim et dans les remords de la violence. Éduquons, et éduquons-nous, à regarder les crises, les problèmes, les guerres, avec les yeux des enfants : ce n’est pas de l’angélisme naïf mais une sagesse clairvoyante, car ce n’est qu’en pensant à eux que le progrès se reflétera dans l’innocence plutôt que dans le profit, et contribuera à construire un avenir à mesure de l’homme.

L’éducation qui commence au sein de la famille se poursuit dans le contexte de la communauté, du village ou de la ville. C’est pourquoi je tiens à souligner, en troisième lieu, l’éducation à la citoyenneté, au vivre ensemble, dans le respect et dans la légalité. Et, en particulier, l’importance même du « concept de citoyenneté », qui « se base sur l’égalité des droits et des devoirs ». Il faut s’engager en ce sens afin que l’on puisse « établir dans nos sociétés le concept de pleine citoyenneté et renoncer à l’usage discriminatoire du terme minorités, qui porte avec lui les germes du sentiment d’isolement et d’infériorité ; il prépare le terrain aux hostilités et à la discorde et prive certains citoyens des conquêtes et des droits religieux et civils, en les discriminant » (ibid.).

Nous arrivons ainsi au dernier des trois défis, celui qui concerne l’action, nous pourrions dire les forces de l’homme. La Déclaration du Royaume du Bahreïn enseigne que « lorsque l’on prêche la haine, la violence et la discorde, on désacralise le nom de Dieu ». L’homme religieux rejette cela, sans aucune justification. Avec force il dit “non” au blasphème de la guerre et à l’utilisation de la violence. Et il traduit avec cohérence, dans la pratique, ces “non”. Car il ne suffit pas de dire qu’une religion est pacifique, il faut condamner et désigner les violents qui abusent de son nom. Et il ne suffit pas non plus de prendre ses distances avec l’intolérance et l’extrémisme, il faut agir dans le sens contraire. « Pour cela, il est nécessaire d’interrompre le soutien aux mouvements terroristes par la fourniture d’argent, d’armes, de plans ou de justifications, ainsi que par la couverture médiatique, et de considérer tout cela comme des crimes internationaux qui menacent la sécurité et la paix mondiale. Il faut condamner ce terrorisme sous toutes ses formes et ses manifestations » (Document sur la Fraternité humaine), y compris le terrorisme idéologique. […]