Le "moratoire" exigé par Rome mais rejeté par les évêques allemands (26/11/2022)

Documents. Le "moratoire" exigé par Rome mais rejeté par les évêques allemands

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Jeudi 24 novembre, "L'Osservatore Romano" a publié le texte intégral des trois discours qui ont introduit la rencontre à huis clos, six jours plus tôt, entre les 62 évêques d'Allemagne et trois hauts fonctionnaires de la Curie romaine :

> Documents - La réunion inter-dicastère avec les prélats allemands du 18 novembre

Le pape François n'a pas pris part à la réunion, contrairement aux attentes. Le cardinal secrétaire d'État Pietro Parolin a fait office de modérateur. L'évêque Georg Bätzing de Limburg, président de la Conférence épiscopale allemande, le cardinal Luis Francisco Ladaria Ferrer, préfet du Dicastère pour la doctrine de la foi, et le cardinal Marc Ouellet, préfet du Dicastère pour les évêques, ont pris la parole dans l'ordre. Une discussion animée a suivi, toujours à huis clos.

À l'issue de la réunion, un communiqué a été publié, dans lequel il était notamment indiqué que parmi les propositions avancées figurait celle d'"appliquer un moratoire à la voie synodale allemande", mais que cette proposition "n'a pas trouvé de place" :

> Communiqué conjoint du Saint-Siège et de la Conférence épiscopale allemande

C'est le cardinal Ouellet qui a proposé, en vain, le moratoire dans son discours d'introduction, reproduit ci-dessous.

Retour à l’esprit des Actes des Apôtres

Le cardinal-préfet du Dicastère pour les évêques

Dans la Lettre au Peuple de Dieu en voyage en Allemagne, le Pape François, en communion avec son prédécesseur Benoît XVI, a noté la détérioration de la vie chrétienne dans le pays et a invité tout le peuple à faire confiance au Christ comme clé du renouveau ; Le Saint-Père a écrit qu’il s’agit « d’une détérioration, certes multiforme et difficile et rapide à résoudre, qui exige une approche sérieuse et consciente qui nous pousse à devenir, au seuil de l’histoire actuelle, comme ce mendiant à qui l’Apôtre a dit: « Je n’ai ni argent ni or, mais ce que j’ai, je vous le donne: au nom de Jésus-Christ, le Nazaréen, marche! » (Actes 3:6) ». Je me réfère à ce passage de la lettre cité pour offrir quelques brèves considérations ecclésiologiques concernant vos recherches synodales, dans l’esprit des Actes des Apôtres. Je le fais en tant que frère dans l’épiscopat, mais aussi en pensant aux besoins des simples fidèles.

Vous, successeurs des Apôtres en Allemagne, avez pris au sérieux la tragédie des abus sexuels perpétrés par les clercs, et vous avez lancé, à la manière typiquement allemande, une opération d’étude avec les ressources de la science, de la foi et des consultations synodales, pour arriver à une révision radicale qui mettrait fin à cet échec moral et institutionnel. Les débats houleux qui ont eu lieu et les propositions de réforme qui en découlent méritent certainement des éloges pour l’attention, l’engagement, la créativité, la sincérité et l’audace dont a fait preuve votre Chemin synodal, où les laïcs ont joué un rôle égal, sinon prédominant. Après une étude attentive de vos conclusions, il est naturel de reconnaître sincèrement le gigantesque effort d’autocritique institutionnelle, le temps consacré à ces réflexions et l’investissement d’un travail commun entre théologiens, évêques et pasteurs, hommes et femmes, pour parvenir à certains consensus, bien qu’avec difficulté et tensions considérables. Il nous appartient maintenant de réagir à vos propositions, qui contiennent de nombreux éléments qui peuvent être partagés de nature théologique, organisationnelle et fonctionnelle, mais qui soulèvent également de sérieuses difficultés du point de vue anthropologique, pastoral et ecclésiologique.

Plusieurs critiques faisant autorité de l’orientation actuelle du Chemin synodal en Allemagne parlent ouvertement d’un schisme latent que la proposition de vos textes tels qu’ils sont risquerait d’approuver. Je suis bien conscient que vous n’avez pas l’intention de rompre avec la communion universelle de l’Église, ni de favoriser une vie chrétienne conforme à l’esprit du temps plus qu’à l’Évangile ; Au contraire, les concessions qui apparaissent dans vos propositions vous ont été, pour ainsi dire, arrachées par la très forte pression culturelle et médiatique; Je comprends que votre intention est précisément d’éviter le schisme, de rendre les ministres de l’Evangile plus crédibles, de les multiplier et de les qualifier, et d’élever des communautés chrétiennes plus inclusives et respectueuses de toutes les attitudes, à évaluer d’une manière compatible avec la dignité humaine et la conception chrétienne de la personne. Il est frappant, cependant, que l’agenda d’un groupe limité de théologiens d’il y a quelques décennies soit soudainement devenu la proposition majoritaire de l’épiscopat allemand : abolition du célibat obligatoire, ordination des viri probati, accès des femmes au ministère ordonné, revalorisation morale de l’homosexualité, limitation structurelle et fonctionnelle du pouvoir hiérarchique, prise en compte de la sexualité inspirée par la théorie du genre, changements importants proposés au Catéchisme de l’Église catholique, etc.

« Que s’est-il passé ? », « Où sommes-nous arrivés ? » demandent de nombreux fidèles et observateurs incrédules. Il est difficile de résister à l’impression que l’affaire des abus, qui est très grave, a néanmoins été exploitée pour faire passer d’autres idées qui ne sont pas immédiatement liées.

En évaluant toutes les propositions, nous avons l’impression d’être confrontés non seulement à une interprétation plus large de la discipline ou de la morale catholique, mais à un changement fondamental qui soulève de sérieuses inquiétudes, comme vient de le rappeler le préfet du Dicastère pour la doctrine de la foi. Il nous semble que nous sommes confrontés à un projet de « changement de l’Église » et pas seulement à des innovations pastorales dans le domaine moral ou dogmatique. Malheureusement, je dois constater que cette proposition globale, déjà largement diffusée en Allemagne et ailleurs, blesse la communion ecclésiale, parce qu’elle sème le doute et la confusion parmi le Peuple de Dieu. Chaque jour, nous recevons des témoignages spontanés déplorant le scandale causé aux enfants par cette proposition inattendue en rupture avec la Tradition catholique.

Il n’est pas surprenant que ces résultats divisent non seulement la Conférence épiscopale locale et l’Église en Allemagne, mais aussi l’épiscopat mondial, qui n’a pas manqué de réagir avec étonnement et inquiétude. Ce fait devrait nous faire réfléchir sur la première tâche des évêques, qui est d’enseigner selon le magistère de l’Église et du Souverain Pontife (cf. lg 25). Chaque évêque, depuis son ordination et son agrégation au collège des successeurs des apôtres, et sub Petro, est autorisé à représenter l’Église universelle dans la partie particulière qui lui est confiée et à garantir la communion de sa part avec l’Église universelle. Les critères de cette communion sont énumérés dans Lumen gentium, Christus Dominus et le Codex.

Le fait que la lettre d’orientation du pape François en juin 2019 ait été acceptée comme point de référence spirituel, mais pas vraiment comme guide pour la méthode synodale, a eu des conséquences considérables. Le calendrier des travaux, après ce détachement initial du magistère du Souverain Pontife au niveau méthodologique, a vu la tension avec le Magistère officiel croître progressivement au niveau du contenu, aboutissant à des propositions ouvertement contraires à l’enseignement réitéré par tous les Pontifes depuis le Concile œcuménique Vatican II. À cet égard, l’attitude adoptée à l’égard de la décision définitive de saint Jean-Paul II concernant l’impossibilité pour l’Église catholique de procéder à l’ordination sacerdotale des femmes est surprenante. Cette attitude révèle un problème de foi à l’égard du magistère et un certain rationalisme intrusif qui n’est pas conforme aux décisions prises, sauf pour ce qui semble personnellement convaincant ou si ce n’est pas largement reçu par le sentiment commun. Cet exemple symbolique, ajouté aux autres changements moraux et disciplinaires souhaités, met en péril la responsabilité des évêques vis-à-vis de leur premier ministère et jette une ombre sur l’ensemble de l’effort de l’assemblée cité, qui semble fortement influencé par les groupes de pression, et est donc jugé par beaucoup comme une initiative risquée, vouée à décevoir et à échouer parce qu’elle « déraille ».

Grâce à Dieu, ces textes élaborés et votés, mais encore ouverts à d’autres changements lors de la dernière session prévue en mars, impliquent également des développements appréciables pour la refonte pastorale et ecclésiologique, par exemple: un sens marqué de la justice et l’obligation morale de réparation envers les victimes d’abus, la promotion du sacerdoce baptismal, l’attitude de reconnaissance des charismes. Compte tenu des circonstances et des tensions aiguës qui ont accompagné les sessions au moment du vote, compte tenu surtout de la consultation en cours pour le Synode universel sur la Synode, il nous semble nécessaire un moratoire sur les propositions présentées et une révision substantielle à apporter ultérieurement, à la lumière des résultats du Synode romain. Nous avons providentiellement l’occasion de faire correspondre les perspectives, en adoptant un changement méthodologique qui pourrait aider à améliorer les thèses du Chemin synodal allemand, dans le sens d’écouter plus profondément la démarche du pape François et du Synode universel des évêques. Il est évident que la méthodologie du Synode universel est différente de celle utilisée en Allemagne : elle est certainement moins parlementaire, plus attentive à la participation mondiale et à la réalisation d’un consensus formé sur la base d’une profonde écoute spirituelle du peuple de Dieu.

La raison fondamentale de ce moratoire est le souci de l’unité de l’Église, qui repose sur l’unité des évêques en communion et en hommage à Pierre. Soutenir cette proposition controversée d’un épiscopat en difficulté sèmerait encore plus de doute et de confusion parmi le peuple de Dieu. Compte tenu du panorama œcuménique et géopolitique mondial dévasté par les guerres, il est prévisible que la diffusion ultérieure de cette proposition ne résoudra pas les problèmes auxquels elle voudrait remédier: l’exode massif des fidèles de l’Église, l’exode des jeunes, les causes dites « systémiques » des abus, la crise de confiance des fidèles.

La principale limite de cette proposition est peut-être une certaine approche apologétique, basée sur des changements culturels au lieu de compter sur l’annonce renouvelée de l’Évangile. Vous possédez de l’or et de l’argent, une science et un prestige largement reconnus et vous gérez tout généreusement, n’oubliez pas de témoigner avec force et simplicité de la foi en Jésus-Christ dont votre peuple est mendiant.

Avec l’exemple et l’enseignement du pape François, nous pouvons revenir à l’esprit des Actes des Apôtres, offrir Jésus-Christ avant tout aux besoins de soin et de conversion de notre peuple, ne pas prétendre que des solutions culturelles ou institutionnelles sont indispensables pour rendre crédible la figure de Jésus, même si elle est proposée par des ministres imparfaits, mais confiants dans la grâce et la miséricorde divines. C’est le message initial du pape François qui doit maintenant être repris et appliqué à la révision des résultats du chemin synodal.

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