L'effondrement de la civilisation chrétienne serait-il inéluctable et souhaitable comme le prétend Chantal Delsol ? (07/12/2022)

De Stefano Fontana sur la Nuova Bussola Quotidiana :

Delsol : "la religion survit à la fin de la chrétienté". Mais ce n'est pas suffisant

7-12-2022

Chantal Delsol, conférencière et universitaire française, condense deux millénaires depuis Théodose jusqu'aux lois sur l'avortement qui marquent l'effondrement de la civilisation chrétienne - inéluctable et souhaitable, selon l'auteur - qui laissera place non pas à l'athéisme mais à un retour du paganisme et à un christianisme de pur témoignage. Une réflexion qui pose des questions, mais dont les réponses et les propositions sont peu convaincantes.

Dans ce petit livre de 120 pages seulement, Chantal Delsol, conférencière et universitaire française classée parmi les penseurs catholiques les plus accrédités, affiche une prétention très exigeante : faire le bilan de deux millénaires de "chrétienté", qui vont selon elle de Théodose aux lois sur l'avortement. Une affirmation peut-être excessive, mais les philosophes sont connus pour aimer la synthèse. Une prétention toutefois réalisée, on peut le dire, mais d'une manière qui est, à mon avis, inacceptable.

La thèse de l'auteur peut être condensée - avec un esprit de synthèse proche du sien - dans les propositions suivantes : la chrétienté a existé, la chrétienté a pris fin après une longue agonie, la chrétienté y a renoncé progressivement dans une longue série de compromis, tout a été contesté mais rien n'a été sauvé, il n'y avait pas d'autre choix possible, la bataille était perdue d'avance, quand la chrétienté est morte, la religion n'est pas morte, la chrétienté ne sera pas remplacée par l'athéisme mais par le retour du paganisme, il y aura un christianisme sans chrétienté, la mission ne sera plus synonyme de conquête, avec la fin de la chrétienté "Dieu nous a gagnés".

Au centre de ces thèses se trouve l'interprétation de la chrétienté par Delsol. Une interprétation qui n'est pas convaincante, à commencer par l'inéluctabilité de sa fin. Pour elle, la sécularisation a été un processus régi par la nécessité : les anciens principes sont tombés "naturellement et infailliblement", ceux qui se battent pour eux sont "convaincus d'avance qu'ils n'auront pas de cause gagnante", ceux qui les défendent sont "des soldats dans une guerre perdue", "éduquer les enfants dans la foi aujourd'hui, c'est produire des soldats pour Waterloo", la chrétienté court "irrémédiablement vers l'abîme". Cette supposée inévitabilité de la sécularisation n'est pas argumentée. Delsol la décrit telle qu'elle est aujourd'hui sur le plan sociologique, mais elle ne se demande pas si elle doit exister ou non sur le plan du droit, si elle contient des vérités intimes intemporelles qui, tôt ou tard, sous telle ou telle forme, peuvent et doivent resurgir. Elle dit même que c'est "une énigme". Mais on sait que ce n'est pas un mystère, on peut citer les noms et prénoms de ceux qui ont voulu le détruire à l'extérieur et à l'intérieur de l'Eglise catholique. Cette inévitabilité procède d'une démarche historiciste et ramène Delsol à Hegel.

Même l'idée que la fin de la chrétienté a été motivée par le christianisme lui-même révèle une approche qui n'est pas libre intellectuellement. La chrétienté est présentée comme "fondée sur la conquête", comme une "perversion du message", comme une société "saturée de dogmes", régie par la "profanation de l'idée de vérité", dans laquelle "des clercs ivres de pouvoir se laissent séduire par toutes sortes d'excès" et où s'exerce une "forme d'influence et de domination sur les âmes". On a beau dire que ce ne sont que 120 pages, il ne s'agit pas ici de résumés mais de slogans, d'ailleurs très approximatifs et procédant du paradigme de pensée qui a remplacé celui de la chrétienté. De telles phrases sont une caricature de la chrétienté et manifestent un préjugé liquidateur à son égard (...).

Non moins problématique est la dénonciation par l'auteur du concept de "vérité" propre, selon elle, à la chrétienté, dénonciation souvent même sarcastique et irrespectueuse pour les nombreux esprits élevés et saints qui ont animé cette forme de civilisation. Selon elle, dans la chrétienté, on a voulu décrire la vérité "avec la précision d'un entomologiste" (mais Delsol pense-t-elle vraiment écarter ainsi saint Augustin et saint Thomas ?) Pour elle, en revanche, comme pour Heidegger, "l'être est événement et devenir, et non définition objective" et "la vérité est un rêve que nous poursuivons", "elle doit cesser d'être proposition et dogme pour devenir un halo de lumière, un espoir tremblant, une chose insaisissable que l'on attend avec des rêves de mendiant". La chrétienté aurait "profané l'idée de vérité, en voulant à tout prix identifier la foi à la connaissance". Ne pensez-vous pas, Delsol, que de cette manière la foi est séparée du savoir en général et qu'elle devient ainsi autre chose que la culture ? Voulons-nous éliminer l'évangélisation de la culture ? Et ne pense-t-elle pas, Delsol, que parler de la vérité comme d'un rêve manifeste indirectement la hauteur de la définition qu'en donne Thomas comme adaequatio intellectus ad rem ? Quelle disproportion abyssale entre ce que l'on veut remplacer et ce par quoi on le remplace!

La conclusion est que "renoncer à la chrétienté n'est pas un sacrifice douloureux" car "la mission n'est pas nécessairement synonyme de conquête". A ce stade, "ce n'est pas la chrétienté qui nous quitte, c'est nous qui la quittons". Pour aller où ? Selon Delsol, "croire ou faire croire que si la chrétienté s'effondre, tout s'effondre avec lui est un non-sens", "cessons de croire que nous sommes les seuls au monde à pouvoir donner un sens au monde". Après avoir ainsi écarté l'unicité salvifique du Christ - non pas de nous, chrétiens, mais du Christ - elle affirme qu'après la chrétienté, il n'y aura pas d'athéisme mais un nouveau paganisme, car le besoin religieux de l'homme ne mourra pas et, dans cette situation, les chrétiens vivront comme des "héros de la patience, de l'attention et de l'amour humble". Une conclusion valable uniquement pour ceux qui s'en satisferont.

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