Etre catholique en Chine sous le joug de Xi Jinping (11/12/2022)

De Dorian Malovic sur le site du journal La Croix :

Chine : être catholique sous le joug de Xi Jinping

Dans une Chine sous contrôle total du Parti communiste et tétanisée par le Covid-19, les 12 millions de catholiques traversent une nouvelle ère tragique de leur histoire. Pratiquer sa religion aujourd’hui est devenu « un défi ». Si la minorité catholique clandestine vit sous une pression politique spéciale, les paroisses dites « officielles » n’échappent pas non plus à la surveillance du Parti.

9/12/2022

« Bonsoir, oui, je peux vous parler… mais ne me posez pas de questions sensibles… c’est beaucoup trop dangereux pour moi… vous comprenez. » Dans le petit bureau mal éclairé et mal chauffé de son presbytère, emmitouflé dans une épaisse doudoune beige, le père Zhang (1) parle en langage codé.

Une confiance mutuelle de longue date permet un tel échange dans une Chine sous surveillance politique et technologique mais ce prêtre, très engagé dans le social au sein de son diocèse « officiel », murmure. « Mon évêque est reconnu par Rome et Pékin depuis des années, assure-t-il, il n’y a pas d’ambiguïté ici et il y a peu de catholiques clandestins mais depuis quelques années la prudence s’impose plus que jamais. »

L’Église officielle souffre elle aussi

À l’approche d’un Noël marqué pour les fidèles par l’espoir d’une respiration dans la politique « zéro Covid » – tout en restant conscients que le contrôle politique restera en place –, l’Église catholique de Chine, même officielle, reste plus que jamais entre les griffes du Parti communiste. « On ne peut pas parler de persécution comme sous Mao », reconnaît un prêtre occidental basé à Taïwan où il côtoie de nombreux séminaristes et prêtres chinois continentaux qui partagent avec lui leurs témoignages. « Mais la “pensée de Xi Jinping” est partout, l’œil de Xi surveille tous les fidèles, il ne peut y avoir d’espace où le Parti n’est pas. »

Depuis son arrivée au pouvoir en 2012 la répression frappe aussi l’Église officielle. Ainsi le père Zhang reconnaît que n’importe qui ne peut aller à la messe, « il faut être enregistré officiellement auprès des autorités ». Les enfants mineurs sont interdits d’entrer. Le catéchisme, sans être interdit, est teinté de sessions politiques. Des caméras ont été fixées sur les façades de la quasi-totalité des églises. Des portraits de Xi Jinping côtoient le Christ ou la Vierge Marie dans les églises. « L’œil de Xi », encore. Partout.

Le Covid est venu s’ajouter à la répression menée par Xi Jinping

« L’épidémie en 2020 et la politique du zéro Covid sont venus s’ajouter à la dictature de Xi Jinping, et il est devenu impossible de se rendre sur le terrain », se désole un prêtre chinois de Hong Kong qui sillonnait régulièrement tous les diocèses de Chine. Il s’y est rendu pour la dernière fois fin 2019. « Avoir une image claire de la situation de l’Église catholique de Chine est devenu presque impossible », admet ce spécialiste du sujet. Personne n’ose parler. « Si dans le sud du pays où les catholiques sont peu nombreux l’oppression est légère, ajoute-t-il, ce n’est pas le cas dans certains diocèses historiquement conflictuels dans le nord ou le centre. »

En revanche pour les catholiques clandestins, la répression est sévère. « Je connais deux jeunes prêtres de l’Église clandestine de la province du Hebei qui ont refusé de signer leur adhésion à l’Association patriotique des catholiques chinois » (2), témoigne une brillante religieuse chinoise qui étudie la théologie en Europe depuis plusieurs années. « Ils ont été kidnappés et jetés dans une prison secrète pendant trois mois, mais après leur libération ils étaient totalement brisés », raconte cette intellectuelle qui donnait des cours de théologie en ligne à ses collègues chinoises. Une nouvelle loi a interdit il y a quelques mois la « propagation de contenus religieux en ligne ».

Pressions psychologiques, lavage de cerveau, études des œuvres de Xi Jinping des journées entières et privation de sommeil ont eu raison de leur résistance. « Ils ont craqué et signé leur adhésion. Pire, ils ont été obligés de concélébrer avec l’évêque officiel de leur diocèse, totalement inféodé au Parti communiste. » Et double peine lorsqu’ils retournent dans leur paroisse clandestine : « Qualifiés de traîtres, ils ont été rejetés par une partie des fidèles. » Ils ne peuvent plus célébrer en public.

À l’autre bout de la Chine, dans une lointaine province du Nord, une religieuse très ouvertement active il y a des années, sachant négocier avec les autorités et louvoyer entre les règlements, est quasiment entrée en clandestinité aujourd’hui. Dans un échange téléphonique éclair, Sœur Cécile (1) lâche brièvement : « Nous vivons dans une discrétion absolue, nous courbons l’échine et ne sortons pratiquement pas de notre maison, nous prions en silence et ne chantons plus… en attendant des jours meilleurs. »

Comme sous l’ère maoïste. Le monde catholique chinois a surmonté cette ancienne « parenthèse de la terreur », pansé ses blessures et tenté de réunifier la famille chrétienne nationale. « Xi Jinping nous a replongés dans la suspicion et la division », se désole un vieux catholique chinois depuis dix générations. « Nous vivons dans l’angoisse et la peur. » En attendant des jours meilleurs… « Attendez, attendez ! », s’écrie le père Zhang alors que nous allions raccrocher : « J’ai quand même le droit de baptiser les enfants. » Comme un signe d’espoir pour l’avenir de l’Église catholique de Chine qui a déjà vécu tant de violentes persécutions au cours de sa longue histoire.

--------

Un paysage religieux très contrôlé

La Chine reconnaît cinq religions : le bouddhisme, le protestantisme, le catholicisme, le taoïsme et l’islam. Sa Constitution garantit la liberté de croyance. Selon les estimations usuelles, elle compterait de 10 à 12 millions de catholiques, près de 20 millions de musulmans – en dehors des Ouïghours –, 40 à 60 millions de protestants, et près de 200 millions d’adeptes du bouddhisme, du taoïsme ou des religions traditionnelles.

Il existe cinq associations cultuelles faîtières enregistrées par Pékin et proches du parti, dont l’Association patriotique des catholiques chinois (APCC) et le Mouvement patriotique des trois autonomies côté protestant. En parallèle, il existe tout un réseau d’Églises chrétiennes souterraines.

Le plan de « sinisation » des religions, adopté en 2015 par Xi Jinping, aspire à rendre les différentes confessions compatibles avec la « culture communiste chinoise ». Il a engendré un resserrement drastique du contrôle sur les communautés religieuses, officielles et clandestines.

(1) Un pseudonyme impératif utilisé pour des raisons évidentes de sécurité.

(2) L’Association patriotique des catholiques chinois est une structure politique communiste mise en place après l’arrivée de Mao au pouvoir en 1949 dont le rôle est de contrôler la vie des diocèses, les évêques et les prêtres, sous l’autorité supérieure du Bureau des affaires religieuses au niveau national.

07:57 | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer |