Avec l'affaire Rupnik, le scandale des abus frappe à Santa Marta (22/12/2022)

De Luisella Scrosati sur la Nuova Bussola Quotidiana :

Avec l'affaire Rupnik, le scandale des abus frappe à Santa Marta

22-12-2022

Les graves abus sexuels commis par le Père Rupnik sur les religieuses qui étaient sous sa responsabilité spirituelle, et le grave crime d'absolution du complice, qui lui a valu l'excommunication, sont désormais des faits établis. Mais le puissant réseau de complicité et de protection grâce auquel il reste impuni a désormais atteint jusqu'au Saint-Père : lui seul avait le pouvoir de remettre l'excommunication. Que s'est-il donc passé ? On attend encore des réponses adéquates de la part du Vatican.

L'affaire Rupnik prend, jour après jour, une connotation de plus en plus grave et inquiétante (ici l'excellente reconstitution chronologique de E. Pentin). Il ne s'agit pas d'un moment de faiblesse, mais d'une série d'abus prémédités, réalisés avec des justifications "théologiques", une manipulation psychologique perfide et une intimidation des victimes pour qu'elles ne révèlent rien, avec l'assurance mielleuse d'être protégées. C'est ce qui ressort de l'interview de l'ancienne religieuse de la communauté tourmentée de Loyola, fondée dans les années 1980 par le Père Marko Rupnik et Sœur Ivanka Hosta, qui est parue dans Domani le 18 décembre dernier ; faits et détails que la femme avait témoignés le 10 décembre 2021 au Dicastère de la Doctrine de la Foi, et qu'elle a ensuite remis sur papier dans une lettre adressée directement au Supérieur Général des Jésuites, le Père Arturo Sosa, et en copie à son délégué, le jésuite Johan Verschueren, au préfet du même dicastère, le cardinal Ladaria, au cardinal vicaire de Rome, Angelo De Donatis, au père Hans Zollner, également jésuite et expert dans la lutte contre les abus, et à la directrice du Centro Aletti, fondé et dirigé par Rupnik, Maria Campatelli.

Lundi dernier, Mgr Daniele Libanori, également jésuite, vicaire épiscopal du diocèse de Rome et chargé d'enquêter sur les scandales qui ont eu lieu dans la communauté de Loyola, a confirmé les nouvelles qui ont filtré ces dernières semaines : "Il semble que les nouvelles rapportées dans les journaux correspondent à la vérité", a-t-il écrit dans une lettre adressée aux prêtres de sa zone de responsabilité dans le diocèse de Rome, soulignant comment les personnes "blessées et offensées, qui ont vu leur vie ruinée par le mal qu'elles ont subi et par un silence complice", ont le "droit d'être indemnisées aussi publiquement dans leur dignité, maintenant que tout a été mis en lumière". Il poursuit : "Je m'efforce de taire les sentiments que j'éprouve face à ces témoignages choquants, provoqués par des silences arrogants, qui exposent à la face du monde la putridité dont sont imprégnées certaines écoles spirituelles". Des paroles fortes, qui semblent être le résultat d'un clash avec le cardinal De Donatis, qui, selon une reconstitution (voir ici), a rejeté toutes les accusations circonstanciées portées contre Rupnik comme des calomnies. Lors d'une réunion réservée aux évêques du diocèse du Capitole, qui s'est tenue le vendredi 16 décembre, après les propos de De Donatis, Mgr Libanori aurait fait une sortie rapide. Puis est venue la décision d'écrire la lettre.

La confirmation de Mgr Libanori fait suite à l'aveu des jésuites (voir ici) de la double affaire (pour l'instant) impliquant le jésuite slovène. Ayant donc établi qu'il ne s'agit pas de rumeurs non vérifiées, nous devons commencer à tirer quelques conclusions.

Tout d'abord, il y a plus d'un doute sur les sanctions imposées au père Rupnik. Un prêtre, un religieux, qui a utilisé son autorité sacerdotale et son ascendant spirituel pour accomplir ce qu'il a commis sur des novices et des jeunes religieuses, et qui s'avère avoir de graves perturbations liées à la sphère de la sexualité, puisqu'il s'est également révélé être un habitué de la pornographie, s'est vu tout simplement interdire d'entendre des confessions, de prêcher des exercices spirituels et de pratiquer la direction spirituelle. Quant à l'interdiction de se livrer à des activités publiques sans l'autorisation du supérieur local, elle est plutôt ridicule, tant en raison du fait que les religieux sont déjà liés par le vœu d'obéissance qu'en raison de la manière dont cette restriction est exercée.

Car, entre-temps, le père Rupnik continue à exercer son ministère publiquement. Le 8 décembre, il a en effet été vu en train de prêcher dans une église de Rome, près de Santa Maria Maggiore, "avec la permission des supérieurs", selon l'intéressé. Et il y a moins d'un mois, le 30 novembre, il était au Brésil pour recevoir un diplôme honorifique. Si l'on avait un tant soit peu de sens de la justice envers ces femmes, dont la vie a été lacérée et piétinée non seulement par la performance du jésuite, ses intimidations, mais aussi par la bravade avec laquelle il prêche à droite et à gauche la vie religieuse et spirituelle depuis trente ans, tout en promenant ses réalisations artistiques dans le monde entier, on devrait au moins convenir que ces "mesures de précaution" sont une moquerie.

Encore moins respectueuse de la dignité des personnes concernées semble être la tentative d'écarter les abus commis au début des années 1990 comme étant prescrits. Comment est-il possible que des actes aussi infâmes, des abus en série commis avec l'aide du ministère sacerdotal, puissent être prescrits ?  

Cependant, le problème ne concerne pas seulement les jésuites ad intra, mais aussi ceux ad extra. La première enquête, en effet, concernait l'absolution du complice contre le sixième commandement, une absolution - invalide, selon le can. 977 du Code de droit canonique - que le père Rupnik avait donnée en 2015 à une novice italienne, avec laquelle il avait péché contre le sixième commanbdement. En janvier 2020, le procès s'était terminé par une condamnation unanime, qui reconnaissait la crédibilité de l'accusation. Le jésuite s'est donc vu notifier, par la Congrégation pour la doctrine de la foi, son excommunication en mai de la même année, excommunication qui a ensuite été levée à la fin du mois.

Or, cette infraction canonique est l'une des six qui prévoient l'excommunication latae sentientiae - c'est-à-dire l'excommunication "automatique" - réservée au Siège apostolique (les autres concernent la profanation des espèces consacrées, la violence physique contre le Pape, la consécration d'un évêque sans mandat papal, la violation du secret sacramentel et la tentative d'ordonner une femme). Cela signifie que l'excommunication ne pouvait être levée que par le pape. Selon le délégué général des jésuites, le père Johan Verschueren, c'est la CDF elle-même qui a levé l'excommunication dans un délai très court. Donc, soit il s'agissait d'une initiative illégitime du cardinal jésuite Ladaria, soit la demande venait du pontife jésuite lui-même et a ensuite été notifiée par la Congrégation. Il convient également de noter que le pape François, en mars 2020, c'est-à-dire deux mois après que la Congrégation ait condamné le père Rupnik pour l'absolution du complice, avait appelé le jésuite slovène à remplacer le père Raniero Cantalamessa pour la prédication de Carême au Vatican (voir ici).

D'une part, le délai de prescription, et d'autre part, l'intervention très probable du Pape pour lever l'excommunication ont rendu dérisoires les sanctions imposées au Père Rupnik ; dérisoires objectivement, parce qu'elles ne correspondent pas à la gravité des actes répétés et à cause des dommages causés à toutes les personnes impliquées jusqu'à présent. Mais ce qui est encore plus irritant, c'est l'attitude de ceux qui, tout en étant au courant, ont essayé d'étouffer l'affaire, laissant les cris de ceux qui ont dû subir les traitements du Père Rupnik tomber dans l'oreille d'un sourd, puis le retrouvant pontifiant partout. Non moins incroyable est la rémission éclair de l'excommunication, qui envoie un message inquiétant sur la façon dont il est possible, dans l'Église, de s'en tirer à bon compte, quelle que soit la faute commise. Évidemment si l'on a les bonnes amitiés. Si le "pape noir" (le général des jésuites) montre qu'il est de plus en plus coupable d'être impliqué dans l'affaire, même le "pape blanc" - au nom de la transparence qu'il a si souvent invoquée - ne peut éviter l'exigence d'une justification adéquate. 

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