"Ce pasteur timide fut un pape décisif" (Jean-Marie Guénois) (31/12/2022)

De sur le site du Figaro :

Le pape émérite Benoît XVI s'est éteint au Vatican dans la discrétion

L'hommage qui lui sera rendu pourrait compenser une certaine injustice subie par ce pape, grand théologien, homme droit, d'une humilité exemplaire, éloigné des calculs politiques…

Le climat en sera donc particulier. Il permettra peut-être de méditer sur qui fut véritablement Benoît XVI. Et l'hommage qui lui sera rendu pourrait compenser une certaine injustice subie par ce pape, grand théologien, homme droit, d'une humilité exemplaire, éloigné des calculs politiques… Une dernière occasion de saisir la portée de l'un des pontificats les plus incompris de l'époque moderne.

Les obsèques d'un pape peuvent ainsi refléter son impact et son influence sur les esprits et les cœurs d'une époque. Ce fut spectaculaire pour Jean-Paul II, en avril 2005. La mobilisation populaire et des têtes présidentielles et couronnées de toute la planète, venues personnellement lui rendre hommage, relevèrent l'abaissement et l'humiliation du pape grabataire des dernières années. Le monde était alors massé, ce jour-là, autour d'une boîte cercueil posée à même le sol. La fécondité spirituelle et le rayonnement planétaire de Jean-Paul II, canonisé en 2014, apparurent alors d'un seul coup en pleine lumière dans toute leur ampleur historique et géopolitique.

En sera-t-il ainsi pour Benoît XVI ? Les injustices à son égard ne sont pas minces. La première d'entre elles est l'incompréhension sur sa renonciation. Ceux qui n'ont pas partagé sa décision de partir avant l'heure ultime pourront peut-être manifester qu'ils n'en sont pas restés là, même s'ils n'ont cessé d'attribuer à Benoît XVI une part de responsabilité dans l'évolution actuelle de l'Église conduite par François, souvent à l'opposé de la marque imprimée par le pape théologien. L'élection du pape argentin fut pourtant une surprise totale pour le pape allemand. Ce dernier s'était refusé à tout calcul dans sa décision de renoncer. Et encore moins pour sa succession. Il est certain, à ce titre, que Benoît XVI restera dans l'histoire comme le pape du XXIe siècle qui aura osé renoncer à sa charge parce qu'il ne se sentait plus la force de l'accomplir. Cet acte salué mondialement, un geste historique, n'aura toutefois été que modérément apprécié par la majorité de ses plus fidèles soutiens et admirateurs.

Le ressentiment aura été alimenté par deux faits indiscutables : l'élection d'un successeur, François, très en rupture sur la question cruciale de la vision du concile Vatican II, plus « ouverte » chez le pape argentin, alors qu'elle était « traditionnelle » chez le pape allemand. Un dossier stratégique pour l'avenir de l'Église. Ce qui a généré un reproche implicite adressé à ce pape conservateur : ne pas avoir suffisamment assuré la transmission de son héritage ecclésial pourtant très fourni. Impression renforcée, second fait, par la longévité de Benoît XVI… Elle démontra aux yeux des nostalgiques qu'il aurait pu régner encore, même affaibli.

Pasteur timide, pape décisif

Autre injustice de taille, ce pasteur timide fut un pape décisif. Notamment sur les questions théologiques, dont bon nombre de ses textes resteront comme des classiques de l'Église. Mais aussi pour la lutte contre la pédophilie, où il fut le pape qui osa dire stop, dès son élection, à une culture du silence et de la compromission qui empoisonnait l'Église à tous les étages.

Tous salueront cependant le conservateur démissionnaire, celui qui aura eu la lucidité de penser l'impensable et qui aura eu le courage de rompre cette chape de la tradition. Depuis Grégoire XII, en 1415, tous les papes sont morts en service… Benoît XVI réussit donc à effacer une règle non écrite depuis six siècles ! La facilité consisterait à ne retenir que ce 11 février 2013, dernière journée ou presque d'un pontificat qui dura pourtant près de trois mille jours et qui fut très riche sur le plan ecclésial et théologique, même s'il fut souvent une agonie médiatique. À l'exception notable de l'apothéose télévisuelle de son départ du Vatican, en hélicoptère et au soleil couchant…

L'enseignement de Benoît XVI fut pourtant d'une autre portée que la cinématographie de la dernière semaine pontificale. Après le foisonnement de Jean-Paul II, il a accompli un travail de fond dans l'enclos catholique. Il n'était certes pas porté vers les «périphéries», comme son jésuite de successeur, mais il aura été un fondateur spirituel pour plusieurs générations. Ainsi des fruits portés par sa prestigieuse carrière théologique de professeur. Puis de l'éminent service de Joseph Ratzinger, cardinal, rendu à Jean-Paul II, dont il fut le vrai numéro deux. Enfin de la densité ecclésiale de son pontificat. Ces labours-là et leurs moissons ne seront jamais réductibles à un acte ponctuel de renonciation, aussi historique fût-il.

Cet « humble serviteur dans la vigne du Seigneur », tel qu'il se décrivit avant d'enfiler la soutane blanche que lui remettaient ses pairs cardinaux, ne fut pas non plus le pape d'hermine, intouchable, aseptisé et sous vitre blindée, où son entourage l'enferma sans qu'il eût toutefois le cran de résister. Cet homme, classique, bavarois et mozartien, accepta sans broncher le décorum qu'on lui imposait. Ce qui n'était pas dans ses simplissimes habitudes personnelles quand il était le cardinal le plus important de l'Église. Il suffit de l'avoir vu vivre à cette époque. Une fois élu pape, beaucoup finirent par le confondre avec les mitres dorées et les dentelles amidonnées qu'on lui prêtait. Mais ce n'était pas lui.

Alors, qui était-il ? Voilà au moins deux clés pour décrypter ce moine contrarié : il aurait préféré l'obscurité de la clôture si la lumière de son intelligence hors norme et reconnue par tous, y compris ses opposants, ne l'avait propulsé sous les projecteurs pour y être théologien. Et il s'est toujours considéré comme « au service » de l'Église, sans attendre de contrepartie personnelle. Aucune posture, chez lui.

C'est donc le serviteur, et non l'ambitieux, qui accepta de succéder à Jean-Paul II. Benoît XVI était très conscient de ses limites de gouvernant. Il n'avait jamais été un patron. Il le savait depuis son passage à l'archevêché de Munich. Paradoxalement, ce fut en vertu de cette éthique du service, et non par souci de se préserver lui-même, qu'il décida de remettre sa charge, le jour où il comprit ne plus avoir les moyens physiques et psychiques de l'assumer.

C'est donc, aussi, un serviteur qui démissionna, et non un pleutre, qui serait parti sous la pression des affaires Vatileaks et autres scandales qu'il connaissait depuis longtemps. Mais cette histoire-là, authentique, celle de l'humilité faite pape, qui la saisira, dans un monde - y compris ecclésial – souvent dominé par les orgueilleux ?

Tel est le vrai Benoît XVI. Un homme de Dieu, ultra-lucide sur ses propres limites. Qui accepta jusqu'au bout l'incompréhension, dont celle d'avoir renoncé. Mais un homme de conscience, de devoir aussi, qui ne se reconnaissait pas honnêtement le droit de gouverner l'Église alors qu'il ne sentait plus, devant Dieu, en avoir les moyens.

Il est vrai qu'il avait accepté cette charge du bout des lèvres, dans un esprit de service. Il l'avait remise le 13 mai 2013, dans le même esprit, parce qu'il pensait qu'elle ne lui appartenait pas. Ainsi que le démontra d'ailleurs son pontificat, à la fois grand et discret, où l'homme ­Joseph Ratzinger avait - peut-être trop - disparu derrière sa fonction de pape, qu'il se refusait à personnaliser.

« Mystique »

Benoît XVI fut aussi ce que l'on appellerait un « mystique », un homme en paix profonde qui aimait la conversation et la vie intérieure avec Dieu, dont il était visiblement animé et qu'il priait sans cesse. Ainsi, le texte qu'il avait écrit pour le 8 janvier 2022 et qui était la conclusion d'une lettre bouleversante notamment adressée aux victimes de prêtres pédocriminels. Ce pourrait être son testament spirituel, car le pape émérite y livre sa vision de la mort, du « jugement », dont il n'élude pas l'angoisse mais où il exprime avec force la puissance de l'espérance chrétienne, fruit d'une vie de foi qui n'a jamais connu une rupture chez lui.

Ce texte est rare, car ce pape n'était pas homme à parler de lui : «Bientôt, je serai face au juge ultime de ma vie. Bien que, regardant en arrière ma longue vie, je puisse avoir beaucoup de motifs de frayeur et de peur, mon cœur reste joyeux parce que je crois fermement que le Seigneur n'est pas seulement le juge juste mais, en même temps, l'ami et le frère qui a déjà souffert lui-même mes manquements et qui, en tant que juge, est en même temps mon avocat (Paraclet) (l'Esprit saint dans la tradition catholique, NDLR). À l'approche de l'heure du jugement, la grâce d'être chrétien me devient toujours plus claire. Être chrétien me donne la connaissance, bien plus, l'amitié avec le juge de ma vie et me permet de traverser avec confiance la porte obscure de la mort. À ce propos, me revient sans cesse à l'esprit ce que Jean rapporte au début de l'Apocalypse : il voit le Fils de l'homme dans toute sa grandeur et tombe à ses pieds comme mort. Mais Lui, posant sur lui sa main droite, lui dit : “Ne crains pas ! C'est moi…”»

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