Mais la balance de la théologie morale, penchant diversement selon les époques et les écoles entre exigence du ferme propos et condescendance(ne pas écraser la mèche qui fume encore),a été purement et simplement évacuée, dès lors qu’en vertu de théories laxistes de « gradualité » pour sortir du péché ou d’« accompagnement » du pécheur pour cette (théorique) sortie progressive (par exemple de l’usage de la contraception, de l’adultère consacré par le « remariage » après divorce), le ferme propos est par définition inexistant.
La confession, une charge sacerdotale jadis considérable
Jusqu’à Vatican II, la formation à la confession dans les séminaires avait une place importante. Elle correspondait à la charge considérable que représentait ce sacrement dans la vie des prêtres de paroisse. Sans parler des foules permanentes de pénitents dans les lieux de pèlerinage, comme dans la chapelle des confessions à Lourdes, devant les confessionnaux, aujourd’hui inutilisés, de toutes les églises, se formaient des files de pénitents, dès l’instant qu’un confesseur s’y trouvait. À la veille des fêtes, et spécialement lorsque approchait la fête de Pâques, des journées entières étaient employées à entendre les pénitents. Les missions paroissiales, comme nous le disions dans un précédent article commençaient par une prédication invitant aux « grandes réflexions » sur la mort, les fins dernières, le péché. Puis pendant des journées entières, les confessions des paroissiens étaient entendues, ils étaient d’ailleurs invités à faire des confessions générales de toute leur vie[1]. Dans une société où l’immense majorité avait été catéchisée dans l’enfance, les conversions de mécréants se manifestaient essentiellement par une confession par laquelle ils rompaient avec leur vie ancienne[2].
Les années 50 du XXe siècle, années de grande turbulence dans l’Église, furent aussi, paradoxalement, celles d’une pratique sacramentelle plus intense. En France, les enquêtes du chanoine Fernand Boulard[3] montrent que 43% seulement des Français faisaient alors leurs Pâques, mais qu’une certaine embellie se produisait, notamment en raison de la banalisation de la communion des hommes qui, dans certaines régions, y étaient restés jusque-là réfractaires. D’autant que les appels de saint Pie X à la communion fréquente (décret Sacra tridentina, du 20 décembre 1905) étaient plus largement entendus du fait de l’allégement de la discipline du jeûne eucharistique opérée par Pie XII (non plus jeûne depuis minuit, mais de trois heures pour la nourriture solide et les boissons alcoolisées, et de une heure pour les boissons non alcoolisées[4]).
Le cataclysme
« Dans l’Église, la confession, cela a été la chute libre sans parachute. Cette chute n’a été rencontrée nulle part ailleurs, ni pour l’Eucharistie, ni pour la foi », écrivait un aumônier d’Action catholique, supérieur de grand séminaire, dans un dossier du Pèlerin, 3 novembre 1974, cité par Guillaume Cuchet[5], selon lequel « la crise de la confession est un des aspects les plus révélateurs et les plus saisissants de la “crise catholique” des années 1965-1978 ».
Il se réfère aux trois sondages dont on dispose en la matière, le premier réalisé par l’Ifop en 1952, le deuxième par la Sofres en 1974 et le dernier, toujours par la Sofres en 1983 :
- En 1952, 51% des adultes catholiques déclaraient se confesser au moins une fois par an, dont 15%, qu’on pouvait nommer les pénitents fréquents, se confessaient une fois par mois, et parmi eux 2% le faisaient toutes les semaines.
- En 1974, 29% seulement se confessaient une fois par an, les pénitents fréquents ayant pratiquement disparu (1%).
- En 1983, les « annuels » étaient tombés à 14%.
Ce fut donc une rupture brutale : tandis que se tarissait le flux des pénitents ordinaires, le groupe des pénitents fréquents, catholiques qui constituaient le cœur de l’Église, disparaissait pratiquement.
La pratique des « cérémonies pénitentielles » (un certain nombre d’entre elles suivies d’absolutions collectives qui, selon la doctrine classique, sont réservées à des situations de grave danger de mort, sous réserve d’avouer ensuite ses péchés en confession si on en réchappe), a aussi contribué à déprendre les fidèles de l’habitude de la confession individuelle. L’Ordo pænitentiæ de 1974, puis le canon 961 essayent d’encadrer cette évolution : la célébration pénitentielle avec absolution collective exige une grave nécessité, de laquelle juge l’évêque diocésain en accord avec la Conférence des Évêques. En bien des endroits, elle est devenue tout ce qui reste de la pratique du sacrement de pénitence.
Certes, dans son motu proprio Misericordia Dei du 7 avril 2002, Jean-Paul II avait tenté de réagir : « La grande affluence de pénitents ne constitue pas à elle seule une nécessité suffisante » (n. 4). Il est au reste probable que les catholiques qui répondaient aux sondages de 1974 et 1983 considéraient qu’en usant de ces pratiques, ils s’étaient confessés.
Mais si la confession a ainsi disparu de la vie des catholiques, la communion s’est en revanche généralisée, au point que lors d’une messe « ordinaire », en rite Paul VI, la presque totalité des assistants communient, y compris dans des cérémonies où il est évident que sont présents de nombreux pratiquants très occasionnels. En réalité, le chapitre VIII d’Amoris lætitia, concernant les divorcés « remariés » ou le document du 22 février 2018 approuvé par la majorité des évêques allemands visant à permettre aux époux de mariages confessionnels mixtes de participer ensemble à l’Eucharistie, ne font que suivre et consacrer ce qui se pratique tranquillement à la base. Le cardinal Vingt-Trois, qui a déployé une critique feutrée d’Amoris lætitia, le remarquait avec son humour sarcastique: « Puisqu’on dit que l’Eucharistie est un repas, il faut bien que ceux qui y assistent mangent. »
Une remontée nécessaire et ardue, pénitentielle
Et cependant, il existe toujours dans un certain nombre d’églises, au moins dans des grandes agglomérations, des permanences sacerdotales qui permettent des confessions, parfois même, comme à Paris à Saint-Louis-d’Antin, plusieurs confesseurs ont une activité sacramentelle continue. Il n’est pas douteux que les « nouveaux prêtres » déploient des efforts pour inciter à retrouver le chemin du sacrement de pénitence.
Mais le problème pastoral reste gigantesque et ne cesse de s’accroître en proportion de l’augmentation de l’ignorance catéchétique des catholiques. Il va s’agir de rebâtir la pratique sacramentelle des catholiques qui vont rester dans une Église très réduite en nombre. Le retour à la pratique du sacrement de pénitence sera assurément une des voies pour remodeler un peuple chrétien.
Une des difficultés sera qu’il pourra paraître « rigoriste » de faire retrouver des habitudes d’assistance à la messe sans communion automatique (notamment, peut-être, en rétablissant un jeûne eucharistique plus exigeant), comme de faire en sorte que soient encadrées le rite de communion lors des cérémonies, enterrements, mariages, qui rassemblent aussi un nombre de non-pratiquants voire d’incroyants nombreux, lesquels pensent que la communion est un rite obligé au même titre que l’aspersion du cercueil avec l’eau bénite.
C’est un véritable choc électrique qui devra être produit par une prédication hiérarchique forte et de longue haleine par des évêques réformateurs pour que puisse s’organiser ensuite, sur le terrain, une catéchèse adaptée.
Abbé Claude Barthe
[1] Voir Res Novae, Prêcher et catéchiser sur les fins dernières.
[2] Cf., Frédéric Gugelot, La Conversion des Intellectuels au Catholicisme en France, 1885-1935, C.N.R.S. Éditions, 1998.
[3] Lancées après la guerre, de manière très systématique, dans les diocèses et les paroisses, par le chanoine Boulard, sur un projet initial du sociologue Gabriel Le Bras, elles avaient abouti, de 1947 à 1966, à l’édition successive de cartes (les « cartes Boulard). Cf. Fernand Boulard, Matériaux pour l’histoire religieuse du peuple français, XIXe siècle-xxe siècle, 4 vol, 1982, 1987, 1993 et 2011, Presses de Sciences Po, EHESS.
[4] Par la suite, lors du discours de clôture de la troisième session de Vatican II, le 21 novembre 1964, Paul VI réduisit le jeûne eucharistique à une heure pour toute nourriture ou boisson.
[5] Comment notre monde a cessé d’être chrétien. Anatomie d’un effondrement, Seuil, 2018, p. 200.
Commentaires
Il serait vraiment nécessaire que le Pape et les évêques proclament clairement si les cérémonies pénitentielles, sans aveu individuel et avec absolution collective (hors situation de danger imminent) sont des prières pénitentielles ou une façon licite d'administrer le SACREMENT de pénitence dans son authenticité. Mon évêque n'a pas su me répondre ! On est dans le flou car on fait fi des textes de Jean-Paul II. Il est impensable que l'on puisse s'imaginer obtenir le pardon d'un péché grave lors de ces cérémonies très prisées du public en raison de leur caractère indolore. On en ressort comme on y est entré !
Par ailleurs, je ne sais pas comment François peut dire qu'un prêtre n'a pas le droit de refuser l'absolution au moins temporairement.
Écrit par : B.C. | 05/02/2023