Quand le Vatican lance une enquête apostolique dans le diocèse de Mgr Rey (08/02/2023)

De Jean-Marie Guénois sur le site du Figaro (via Il Sismografo) :

Pourquoi le Vatican lance une enquête apostolique dans le diocèse de Toulon

Annoncée conjointement mardi 7 février par la nonciature et le diocèse, une «visite apostolique» vise le diocèse de Fréjus-Toulon dont Mgr Dominique Rey est en charge.

Sous observation romaine depuis plusieurs années, le diocèse de Fréjus-Toulon va entrer dans une nouvelle phase en ce mois de février 2023. Une «visite apostolique» a été décrétée par le Vatican et annoncée officiellement ce mardi 7 février pour en finir d'y voir clair sur la gestion ecclésiale controversée de ce diocèse français pourtant florissant et sous la conduite, depuis mai 2000, de Mgr Dominique Rey, 70 ans.

Une «visite apostolique» n'est pas un simple audit. Elle est décidée par l'autorité romaine du dicastère des évêques «par mandat du pape François», précise la nonciature apostolique de Paris. Elle est diligentée par deux évêques expérimentés, désignés par le Saint-Siège, en l'occurrence, Mgr Joël Mercier, 78 ans, français, ancien secrétaire de la congrégation pour le clergé et par Mgr Antoine Hérouard, 66 ans, archevêque de Dijon.

Ils vont auditionner qui ils le désirent dans le diocèse à partir du 13 février, pendant deux semaines, puis lors d'une dernière semaine avant d'en faire la synthèse et de rendre leurs conclusions visant à résoudre un «certain nombre de difficultés», précise le communiqué de la nonciature. Le statut de la «visite apostolique» ne limite pas leur rôle à la simple enquête. Habituellement, les évêques visiteurs disposent des pleins pouvoirs pour décider de la suite des événements à Toulon.

Que reproche-t-on à Mgr Dominique Rey ? Il n'y a pas a priori d'affaire de mœurs qui dépasserait les proportions comparables à tous les autres diocèses. Il a dû, par exemple, signaler au procureur le curé de sa cathédrale visé par les accusations d'une femme. Le problème de fond est celui de la «gouvernance».

Des méthodes questionnées

Si les résultats sont là comme dans aucun autre diocèse catholique de France - une quarantaine de séminaristes, 250 prêtres actifs, un dynamisme d'évangélisation tous azimuts -, ce sont les méthodes de l'évêque qui sont questionnées autour de trois reproches majeurs.

Tout d'abord le management de cet homme, membre de la communauté charismatique de l'Emmanuel, qui sait où il va et avance avec détermination. Ce qui n'est pas toujours du goût de l'Église de France et de certains prêtres. Ils se seraient sentis «froissés» ou «délaissés».

Deuxième reproche, l'accueil de séminaristes, prêtres, laïcs, communautés, rejetés par d'autres évêques. Au total une cinquantaine d'œuvres, associations ou institutions. Par principe, Mgr Rey leur a toujours offert une seconde chance. Avec des réussites mais aussi des incompréhensions et des accidents de parcours, conduisant à accuser l'évêque d'un manque de «discernement» mais aussi un «manque de suivi» de ces cas particuliers.

Troisième grief, moins explicite mais virulent car mal porté actuellement dans l'Église, l'attitude d'ouverture de Mgr Rey vis-à-vis de la sensibilité traditionaliste de l'Église. Il n'en est pas personnellement issu mais il a développé pour cette vision, la même bienveillance que pour des charismatiques. Il est persuadé que l'avenir de l'Église de France, passe par cette réconciliation que certains dénomment comme le courant «tradismatique».

Plusieurs affaires concrètes et récentes ont nourri ces trois points. Le plus spectaculaire a été la décision romaine,le 29 mai 2022, de suspendre les ordinations de quatre prêtres et de six diacres pourtant prévues un mois plus tard. Du jamais vu dans l'Église. Pour l'heure les six attendent toujours. Une supplique signée par un tiers des prêtres du diocèse et par «12 000 fidèles» - selon une source diocésaine, pour ne pas laisser cette situation en suspens n'y a rien fait. Certaines sources estimaient que ce bras de fer romain visait à pousser alors Mgr Rey à la démission, en prenant les séminaristes en otage.

La plus récente affaire a été «la mise en retrait» d'un prêtre suisse célèbre, Nicolas Buttet, fondateur de la communauté Eucharistein, 61 ans, que Mgr Rey avait ordonné au sacerdoce et qu'il a accueilli dans son diocèse. Nicolas Buttet n'est pas «suspendu» de son ministère sacerdotal comme affirmé par erreur dans un journal suisse mais Mgr Rey lui a demandé de se retirer de toute activité et ministère publics, à la suite notamment d'une plainte qui a conduit l'évêque à opérer un signalement au procureur et dont il faut attendre les résultats de l'enquête.

Comme l'indique le communiqué de la nonciature l'ordonnance de la visite apostolique, est aussi «le prolongement de la visite fraternelle» qui avait été conduite en 2020 par Mgr Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille, devenu cardinal en 2022. Il y avait eu aussi à la même époque, une visite spéciale du séminaire du diocèse de Fréjus-Toulon, par Mgr Sylvain Bataille, évêque de Saint-Etienne.

Que va donner cette visite canonique ? Dans son communiqué publié en même temps que celui de la nonciature le 7 février en milieu de journée, le diocèse de Fréjus-Toulon, se veut optimiste : « Cette visite apostolique donnera l'occasion d'approfondir et de poursuivre le travail accompli par le cardinal Aveline lors de sa visite fraternelle. Ainsi, cela permettra d'avoir une vision plus ample et plus claire de la situation dans laquelle se trouve le diocèse de Fréjus-Toulon et d'affiner le cadre des décisions prises par son évêque, Mgr Dominique Rey, dès juin 2022.»

De fait, ces décisions furent prises sous la pression de la suspension des ordinations sacerdotales. Elles répondaient en particulier à une lettre qu'avait adressée à Mgr Rey, le cardinal Marc Ouellet, canadien, en charge du dossier des évêques à Rome jusqu'en avril prochain et qui pointaient «douze points» de vigilance.

Au passage, ce départ annoncé à la retraite, du cardinal Ouellet - 79 ans en juin prochain, la limite habituelle est à 75 ans, et sous le coup d'une accusation d'agression sexuelle très ancienne qu'il nie farouchement – peut aussi expliquer l'accélération du dossier de Fréjus Toulon.

Le communiqué du diocèse de Fréjus-Toulon parle aussi d'un «climat de confiance» à propos de cette visite apostolique. Ce qui restera à prouver quand les deux évêques visiteurs auront rendu leurs conclusions. Car, Mgr Rey, qui avait sollicité après juin 2022 une audience papale fut éconduit au dernier moment. Épisode Vatican qui montre les tensions sur ce dossier cristallisant la problématique centrale de l'avenir de l'Église catholique actuelle : les séminaires occidentaux se vident partout alors que les lieux plus traditionalistes ou plus classiques prospèrent.

Autre observation, les deux évêques chargés de l'exercice, sont plutôt au centre, ni hostiles, ni bienveillants vis-à-vis du monde «tradismatiques», plutôt neutres. Les deux sont également connus pour leur affabilité, leur discrétion et leur équilibre de jugement. Surtout, ils ont l'un et l'autre une expérience et une vision large de l'Église catholique.

Ainsi Mgr Antoine Hérouard, ancien HEC, diplômé en théologie de l'université Grégorienne de Rome, ordonné prêtre de Paris par le cardinal Lustiger a été un secrétaire général très apprécié de la conférence des évêques de 2007-2014 sous le pontificat de Benoît XVI. Il a été ensuite nommé recteur du séminaire français de Rome. Puis nommé évêque auxiliaire de Lille par le pape François et nommé presque aussitôt délégué apostolique pour le sanctuaire de Lourdes qui traversait une grave crise. Le pape lui a confié l'archevêché de Dijon en 2022.

Quant à Mgr Joël Mercier, il est inconnu des catholiques français car il a mené sa carrière essentiellement à Rome. Docteur en droit canonique, cet Angevin a été le secrétaire particulier de Mgr Jean Orchampt, évêque d'Angers qui s'était fait remarquer pour ses positions progressistes. Il est parti ensuite à Rome en 2002 où il a travaillé à la congrégation pour les évêques avec le cardinal Ouellet. Repéré là par le Père Fabian Pedacchio, argentin et ami du pape François (dont il fut le secrétaire particulier), Joël Mercier va être propulsé en 2015, secrétaire de la congrégation pour le clergé par le pape François, numéro 2 de cet important dicastère, où il exercera jusqu'en 2021. Mgr Joël Mercier n'a jamais été évêque en charge d'un diocèse mais son expérience romaine lui donne une vision très complète du monde ecclésial et de ses difficultés.

Certains estiment que la décision de cette «visite apostolique» qui revêt de fait une certaine gravité, indiquerait que les jeux sont déjà faits pour Mgr Rey, qui se verrait pousser, à court terme, à la démission. Il devrait la remettre au pape selon la règle, avant que ce dernier ne «l'accepte». À Rome, en effet, et dans l'Église de France, Mgr Rey, n'a pas que des amis et loin de là. Selon ces sources, son successeur serait déjà prêt.

D'autres considèrent au contraire que l'annonce de cette enquête, va permettre de faire la part des choses. Entre ce qui est reproché à Mgr Rey et la réalité pastorale de son action. Entre ce que Rome lui a demandé de mettre en place et les mesures qu'il a effectivement prises. La visite va évaluer s'il est l'homme de la situation pour sortir de cette crise, ou non. Ce qui pourrait conduire à un départ honorable au long des quatre années à venir avant la retraite des 75 ans de Mgr Rey, avec la nomination d'un évêque coadjuteur qui serait son successeur.

Pour l'heure, un homme se tient silencieux. C'est l'archevêque de Marseille, le cardinal Jean-Marc Aveline. C'est lui l'archevêque de cette région apostolique et donc le premier supérieur hiérarchique de Mgr Rey même si un évêque, nommé par le pape, a toute responsabilité. Rey et Aveline se connaissent depuis le séminaire et s'apprécient. C'est lui qui avait accompli la première visite fraternelle du diocèse il y a trois ans. C'est lui enfin qui recevra le pape François, le 23 septembre prochain à Marseille. Même s'il n'est impliqué dans cette nouvelle visite, son avis va peser car il a l'oreille du pape.

En effet, l'Église catholique déteste les crises. Déjà très affaiblie, l'Église de France n'a pas intérêt - dans ces circonstances et de l'avis de beaucoup - à faire de Mgr Rey un martyr. Son bilan, controversé reste impressionnant comparé à beaucoup d'autres diocèses en chute verticale. Il est très aussi respecté dans les milieux charismatiques et traditionnalistes qui sont les deux forces vives actuelles de l'Église de France. L'Église qui devrait donc plutôt chercher à sortir par le haut de cette affaire même si elle peut aussi récuser la voie ecclésiale originale de Toulon.

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