"Il y a de l'agitation dans le Collège des cardinaux" (20/02/2023)

"Chicoutimi", sur le Forum catholique, relaie un entretien accordé par Don Nicolas Bux à Edward Pentin :

Mgr Bux: Il y a de l'agitation dans le Collège des cardinaux

Dans ce nouvel entretien, le Père Nicola Bux affirme qu'il ''essaie d'imaginer la nomination d'un pape restaurateur, tant espéré, quelqu'un comme Pie IX, par exemple, écrivant peut-être un Syllabus d'erreurs pour le 21e siècle''. En attendant, il affirme que François ''ne répond pas à ceux qui lui parlent, même poliment, comme on le voit avec les Dubia des quatre cardinaux, auxquels, de toute façon, tôt ou tard, lui ou son successeur devront répondre.'' Il confirme également que ''la moitié des cardinaux électeurs, et de nombreux évêques, sont convaincus que nous ne pouvons pas continuer ainsi et que des changements sont nécessaires pour remettre l'Église en ordre si elle veut rester catholique.'' Il préconise donc un remède: revenir à l'herméneutique de la continuité et à la réforme de la réforme liturgique initiée par Benoît XVI.

Voici donc la traduction de cet entretien que Don Nicola Bux a accordé à Edward Pentin:

Père Bux: «Il y a de l'agitation dans le Collège des cardinaux»

18/02/2023

''Quelle est la gravité de la crise actuelle au Vatican et dans l'Église et que présage-t-elle pour l'avenir?

Pour obtenir une idée plus claire, j'ai parlé avec le Père Nicola Bux, un théologien respecté et ancien consulteur à la fois de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et de la Congrégation pour les Causes des Saints.

Dans cette interview, le père Bux voit un peu d'espoir dans un monde qu'il considère comme évoluant dans une direction plus conservatrice, mais il se demande si les évêques et les cardinaux sont capables de conduire l'Église sur la même voie et donc d'élire un successeur approprié au pape François.

L'ambiance au Collège des cardinaux est cependant en train de changer, dit le père Bux. «La moitié des cardinaux électeurs et de nombreux évêques sont convaincus que nous ne pouvons pas continuer ainsi et qu'un changement est nécessaire pour mettre l'Église en ordre si elle veut rester catholique — il y a de l'agitation dans le Collège des cardinaux, comme il y en a parmi les prêtres,» explique-t-il, mais ajoute : «Le corps ecclésial se réveille d'un état d'anesthésie.»

Père Bux, quelle est la prémisse de vos réflexions sur la crise de l'Église et comment nous pourrions en sortir?

Pour pouvoir discuter concrètement des perspectives, des prédictions, des hypothèses d'un changement de pontificat, beaucoup sont convaincus qu'il faut avoir compris qui a influencé la démission de Benoît XVI et pourquoi. L'archevêque Georg Gänswein affirme que ce n'était pas encombré d'influences, mais il n'a peut-être même pas voulu montrer ces influences, ni qui a influencé la nomination du successeur. Les forces en jeu après dix ans sont les mêmes et plus fortes. Par conséquent, la construction de scénarios devrait identifier et comprendre qui serait "en jeu" dans le prochain conclave et à quel jeu ils prétendraient jouer, avec quels objectifs, avec quelles forces, alliances et moyens, etc.

Au fond, qui prendrait la parole pour soutenir un candidat catholique ou un candidat «progressiste», sachant aussi que les institutions qui jusqu'à récemment connaissaient et pouvaient aujourd'hui influencer un tel événement (Opus Dei, Communion et Libération) ont été réduites? En pratique, sans savoir comment un pape sera «élu» demain, il sera quasiment impossible de faire des scénarios réalistes.

À la lumière de cela, quelle est votre première considération?

Certes, la puissance mondiale va «vers la droite». Une crise comme celle qui sévit en Occident ne nécessite que les puissances conservatrices du monde pour la résoudre. La partie progressiste de la gauche ne sait que créer les problèmes. On pourrait donc prévoir une forme de restauration, jusque dans l'autorité morale suprême, le pape, sur laquelle la nouvelle puissance occidentale voudra s'appuyer. C'est certainement une bonne chose, bien qu'on ne puisse pas imaginer comment un nouveau pontife pourra s'appuyer sur la hiérarchie et la curie actuelles, ou sur tous ceux qui ont des rôles dans les structures de l'Église (pensons seulement à l'Académie pontificale des sciences) qui ne peut pas être facilement changé de sitôt.

Une puissance mondiale conservatrice voudrait-elle ou saurait-elle provoquer une telle restauration?

C'est ma deuxième considération. Sauraient-ils le faire ou voudraient-ils maintenir le processus de sécularisation de l'Église? Car la restauration, telle que je la comprends, signifierait encore créer une arène compétitive de confrontation sur des thèmes moraux, éthiques, dans le domaine financier, économique. Je ne crois pas qu'un retour conservateur aux États-Unis (avec les républicains) se traduira par une réduction du pouvoir de la Silicon Valley ou des principaux fonds d'investissement. Revenir un peu plus à droite ne signifie pas nécessairement convertir les technocrates.

Pourquoi dites-vous cela?

En tant que consultant de la Congrégation pour les causes des saints, j'ai été très frappé en 2017 lorsque j'ai lu la lettre apostolique du pape François, dans laquelle il créait une nouvelle catégorie de saints et de bienheureux, et sécularisait le calendrier. Ils seraient, aujourd'hui, ceux qui offrent leur vie (oblatio vitae) en martyrs de la charité. Mais pas la charité chrétienne des martyrs qui témoignent de la foi (odium fidei). Un exemple a été la canonisation de l'archevêque Romero (martyr de la charité) assassiné pour ses choix politiques et non pour des questions de foi. Certains théologiens pensent que cette nouvelle catégorie d'oblatio vitae permettra la sacralisation d'idéologies politiques ou économiques jugées exemplaires, peut-être inspirées des milieux gnostiques. Pourquoi un nouvel environnement conservateur mais encore technocratique devrait-il se priver de cette opportunité?

Cela coïncide-t-il avec la dérive générale de l'Église allant vers la promotion d'idées plus laïques qu'exclusivement catholiques?

Oui, cela m'amène à ma troisième considération. Au cours de la dernière décennie, l'Église a cessé de défendre en premier lieu les valeurs traditionnelles (vie, famille, naissance, vertus héroïques…) mais plutôt l'écologie, le développement durable, la migration, etc., créant un système de relations ombilicales avec ceux qui prônent ces valeurs. Cela a changé la structure des relations extérieures internationales. Ce ne sera pas un jeu d'enfant pour le nouveau pontificat de s'en occuper.

J'essaie d'imaginer la nomination d'un pape restaurateur, tant espéré, quelqu'un comme Pie IX, par exemple, écrivant peut-être un Syllabus d'erreurs pour le 21e siècle [le Syllabus de Pie 1864 a condamné un total de 80 erreurs ou hérésies, articulant l'Enseignement de l'Église catholique sur un certain nombre de questions philosophiques et politiques]. Que deviendrait-il, un nouveau Porta Pia? Mais aussi j'imagine un Paul VI écrivant un document comme Humanae vitae pour aujourd'hui. Ou un Benoît XVI écrivant la deuxième partie (qui a été omise) de Caritas in Veritate où il aborde les biotechnologies.

Avons-nous peut-être atteint un point de non-retour?

Un de mes amis non religieux, mais dans la Cour des Gentils, me parlant il y a quelques mois du successeur de François, a dit qu'il y voyait un défi entre Saint Michel Archange face à l'opposant qui venait de dire ''non serviam'', lui répondant «quis ut Deus? [Qui est comme Dieu – le sens littéral du nom Michel]» L'ami a conclu en me disant : mais si l'Église est l'œuvre de Dieu, n'est-ce pas le moment pour Lui d'intervenir?

Dans le récent livre du cardinal Müller In Good Faith : Religion in the 21st Century, la réponse est évidente : l'Église est criblée d'apostasie, précurseur du schisme : de la voie synodale allemande, «manquant d'une vision ecclésiologique cohérente», à la nomination d'évêques qui font des déclarations déconcertantes parce qu'ils n'ont souvent même pas de licence en théologie, il y a un mépris pour la théologie et la philosophie, notamment parce qu'à plus d'une occasion, le pape a adressé des paroles très dures aux universitaires et aux professeurs de théologie, en particulier à l'égard de ceux jugés trop ancrés dans la tradition (forgeant pour eux le terme «d'indiétristes» et «d'indiétrisme»). Ainsi, par exemple dans le domaine liturgique, on l'a emmené faire un tour: «quelques professeurs de l'Ateneo Sant'Anselmo» ont «manipulé» les données de l'enquête auprès des évêques sur la mise en œuvre du motu proprio Summorum Pontificum.

Et pourtant, le pape François a affirmé avoir eu recours au pape Benoît pour se sentir en sécurité. Comment se fait-il dans ce cas qu'il ne l'ait pas consulté?

Franchement, plutôt que de prêter foi aux déclarations de François, il vaut mieux s'en tenir aux faits. Dans sa dernière interview, François a déclaré qu'il aimait les critiques de ceux qui lui parlaient en face. Ce n'est pas vrai. En fait, il ne répond pas à ceux qui lui parlent, même poliment, comme on le voit avec les Dubia des quatre cardinaux, auxquels, de toute façon, tôt ou tard, lui ou son successeur devront répondre. Ainsi, Müller peut observer à juste titre, "quiconque émet des critiques constructives est accusé de faire opposition, d'être un ennemi de François".

Je ne crois pas que Bergoglio soit influencé par des conseillers "frauduleux", mais par des "courtisans" qui le flattent dans ce qu'il pense et aime entendre. Remarquez comment, aussi vite qu'il s'éprend d'un évêque et le nomme cardinal [comme le Cardinal Giorgio Marengo qu'il a rencontré pour la première fois quelques jours seulement avant d'annoncer son élévation au Sacré Collège], il est désenchanté de lui et le chasse [comme avec le cardinal Angelo Becciu qu'il a élevé au rang de cardinal et l'a renvoyé deux ans plus tard en raison d'allégations non prouvées de corruption]. Sans oublier les anciens associés de François, comme Enzo Bianchi, qui en est ressorti avec les os cassés.

Alors que faire pour résoudre cette crise?

Certes, la moitié des cardinaux électeurs, et de nombreux évêques, sont convaincus que nous ne pouvons pas continuer ainsi et que des changements sont nécessaires pour remettre l'Église en ordre si elle veut rester catholique. Il y a de l'agitation dans le Collège des cardinaux, comme il y en a parmi les prêtres, mais le corps ecclésial se réveille d'un état d'anesthésie.

Mais comme l'a affirmé Joseph Ratzinger, la crise de l'Église est contingente à l'effondrement de la liturgie, et le remède réside dans «l'herméneutique de la continuité et de la réforme de l'unique sujet-Église», j'ajouterais que c'est dans la « réforme de la réforme liturgique » qu'il a initiée. Les obsèques de Benoît XVI ont mis en évidence que, dans sa pensée, il nourrissait dans l'Église une réalité de la base, malgré les «laboratoires d'utopies» qu'elle contenait. Cela prend du temps, et cette réalité, telle une rivière karstique, va resurgir. Les impostures sont vouées à l'échec.''

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