Synodalité en Allemagne : le précédent de Würzburg (13/03/2023)

« La cinquième et dernière session du chemin synodal allemand s’est achevée ce samedi 11 mars. Pour comprendre ce qui inquiète aujourd'hui Rome, il faut revenir à l'expérience originelle de la synodalité en Allemagne, le synode de Würzburg (1971-1975). Un épisode qui a aussi joué un rôle important dans la vie de Joseph Ratzinger-Benoît XVI.

 Publié par Camille Delmas sur le site web « aleteia » :

« Se tient à Francfort jusqu’à ce samedi 11 mars la cinquième et dernière session du chemin synodal allemand, un processus qui dure depuis plus de trois ans et a pour but de trouver des solutions à la triple crise que traverse l’Église catholique en Allemagne – sécularisation, baisse des vocations, abus. Pour comprendre ce « Synodale Weg » qui inquiète aujourd’hui Rome, il faut revenir à l’expérience originelle de la synodalité en Allemagne, le synode de Würzburg (1971-1975). Un épisode qui a aussi joué un rôle important dans la vie de Joseph Ratzinger-Benoît XVI.

L’après Concile Vatican II a été une période agitée en Allemagne. L’actualité de la communauté catholique du pays, à l’époque divisée entre République fédérale d’Allemagne et République démocratique d’Allemagne, est alors marquée par l’influence de la crise post-conciliaire des Pays-Bas, qui commence en 1966 avec la publication du « catéchisme hollandais » et se poursuit tout au long du « Concile pastoral » de l’Église des Pays-Bas entre 1966 et 1970. Ces initiatives visent à accélérer l’aggiornamento conciliaire et vont être le vecteur de nombreuses revendications réformistes – notamment sur le célibat des prêtres ou sur l’avortement, le noeud des tensions portant sur l’encyclique Humanae Vitae publiée par Paul VI en 1968.

Une « germanisation » de Vatican II

Le catéchisme hollandais, traduit en allemand en 1968, et la création d’un Conseil pastoral national aux Pays-Bas – supprimé en 1980 par Jean Paul II – rencontrent un grand succès en Allemagne. « Ce catéchisme a été reçu très positivement par le public, car les auteurs ont réussi à trouver un langage que les gens d’aujourd’hui pouvaient comprendre », affirmait le jésuite allemand Wolfgang Seibel dans un entretien publié dans la revue Stimmen der Zeit en 2011. Poussés par le Conseil central des catholiques allemands, organisme laïc structurant du catholicisme allemand depuis le XIXe siècle, les évêques de RFA, avec à leur tête le cardinal Julius Döpfner, archevêque de Munich et président de la Conférence épiscopale allemande, décident de mener à leur tour un processus de « germanisation » du Concile Vatican II.

La voix choisie est celle d’un synode national, qui est convoqué à Würzburg, petite ville à proximité de Francfort. Il s’inspire du « Synode 72″ lancé par les évêques de Suisse. Comme ce dernier, le synode de Würzburg bénéficie d’une dispense du Saint-Siège, les synodes nationaux n’existant pas du point de vue du droit canonique. Approuvés par Rome, les statuts du synode de Würzburg permettent aux laïcs non seulement de participer mais aussi de voter les documents – contrairement au synode romain, dans lequel le vote est réservé aux évêques. Ces derniers bénéficient cependant d’un droit de véto qui sera utilisé deux fois.

Rapidement surnommé le « Concile allemand », il rassemble les plus grands théologiens du moment : Karl Rahner, qui appelle à l’époque à poursuivre la réforme structurelle de l’Église, Johann Baptist Metz, qui s’illustre en lançant un débat sur le rapport de l’Église au national-socialisme, le futur cardinal Karl Lehmann – qui prend une dimension importante à cette occasion – ou encore Joseph Ratzinger. « Ce qui était particulièrement impressionnant, c’est la quantité d’expertise réunie », se souvient le père Seibel qui rappelle avec nostalgie « l’expérience de la liberté » qu’il a vécu à cette occasion.

Cette organisation gigantesque, qui compte 300 délégués, débute le 3 janvier 1971 et dure pendant huit sessions jusqu’au 23 novembre 1975. Dix commissions sont instituées sur des thèmes très divers. L’objectif exact de la manifestation organisée dans la cathédrale Saint-Kilian de Würzburg n’a pas été clairement défini, ni les compétences dont disposaient les participants en vertu du droit canonique. Au final, dix-huit résolutions sont adoptées. Elles seront approuvées par Paul VI, mais pas forcément appliquées par les évêques dans leurs diocèses.

Ce « synode allemand » est le « coup d’envoi » des revendications sur le célibat, la prédication laïque, le diaconat des femmes, l’admission des divorcés remariés à la communion, le rôle des laïcs et les concessions œcuméniques.

Pour Peter Seewald, biographe de Benoît XVI, ce « synode allemand » est le « coup d’envoi » des revendications sur le célibat, la prédication laïque, le diaconat des femmes, l’admission des divorcés remariés à la communion, le rôle des laïcs et les concessions œcuméniques. Le père Seibel voit au contraire dans le synode de Würzburg une affirmation des « options fondamentales du Concile ». C’est la « grande heure de l’Église en Allemagne », affirme l’ancien directeur de Stimmen der Zeit.

« Alors que les défenseurs de la conférence gargantuesque parlaient encore d’une “heure de gloire de l’Église”, des millions de catholiques quittaient en même temps leur patrie religieuse », répond Peter Seewald dans sa biographie de Benoît XVI. Joseph Ratzinger, dès 1970, prend ses distances avec l’enthousiasme régnant en Allemagne autour du synode. Pour lui, il est normal que ses compatriotes « deviennent peu à peu indifférents à l’activité d’un appareil ecclésial qui se borne à faire parler de lui ». Les fidèles, insiste-t-il, ne veulent finalement pas « continuer à savoir comment les évêques, les prêtres et les catholiques à plein temps peuvent mettre en équilibre leurs fonctions, mais ce que Dieu veut et ne veut pas d’eux dans la vie et dans la mort ».

Une rupture « qui ne pourra plus jamais être refermée »

Non élu dans le bureau de la commission centrale, Ratzinger est nommé dans une commission mais finit par ne plus participer aux travaux dès 1972. « Ratzinger n’était pas du genre à aimer les comités ou les débats en général », considère le père Seibel. Selon le jésuite, l’alors professeur de Ratisbonne était encore marqué « jusqu’à l’os » par les émeutes étudiantes de Tübingen en 1968, pendant lesquelles il avait été chahuté. Mais pas seulement : « Je crois aussi que les processus synodaux lui étaient finalement étrangers. »

« Je ne m’appuie pas sur des comités, mais sur une existence prophétique », déclarait pour sa part Joseph Ratzinger dans une revue autrichienne en 1972, une de ses rares interventions à propos du synode de Würzburg. Il déplorait notamment un « assèchement des réserves spirituelles » dans ces débats. Le futur pape se plaignait aussi de la rapidité avec laquelle « les déclarations et les intentions réelles de Vatican II étaient tombées dans l’oubli ». Elles auraient été portées par « l’utopie d’un Vatican III à venir » portée par l’establishment catholique allemand, dont il va alors prendre ses distances.

Selon beaucoup d’observateurs, il s’agit d’un tournant pour l’ancien théologien du Concile. Ses adversaires en Allemagne considèrent qu’il a alors fait le choix du parti romain, comme le prouve selon eux sa rapide ascension hiérarchique : en 1977, il est archevêque de Munich puis cardinal et en 1981, il quitte définitivement son pays pour aller diriger la congrégation pour la Doctrine de la foi à Rome. Le synode de Würzburg, souligne pour sa part Peter Seewald, « révèle le décalage entre les idées de réforme de Ratzinger et les conceptions de l’aile progressiste qui dominait de plus en plus l’Église allemande » et constitue dès lors une « rupture qui ne pourra plus jamais être refermée ». Le théologien Siegfried Wiedenhofer minimise cependant cette rupture : « au lieu d’investir son temps et ses forces dans le synode de Würzburg, le théologien s’est lancé dans des projets qui lui semblaient plus importants ».

Des relations tendues

Les relations de Ratzinger avec l’establishment catholique allemand seront dès lors « tendues ». En témoigneront les « querelles permanentes », en tant que préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, avec les cardinaux Lehmann – l’homme clé de Würzburg après le cardinal Döpfner – et Kasper. Cette animosité réciproque perdurera pendant son pontificat et prendra notamment un tournant encore plus radical après l’affaire Williamson, pendant laquelle le pontife sera la cible des théologiens allemands.

Le père Seibel, en 2011, portait la voix d’une Allemagne qui regrettait que l’Église catholique n’ait pas pu pérenniser cette « voie spéciale allemande » née à Würzburg. « Un tel dialogue n’est précisément pas prôné officiellement aujourd’hui », déplorait le jésuite, soulignant qu’un certain nombre d’impulsions du synode de Würzburg étaient « tombées à l’eau » parce que leur application dépendait encore seulement de l’évêque.

Il regrettait en particulier la mort précoce du cardinal Döpfner en 1976, coup d’arrêt pour l’élan synodal qui fut confirmé par le pontificat de Jean Paul II qui replaça le synode sous l’autorité romaine. Dès lors, les évêques allemands ne feront plus de synode pour garder leur indépendance et garantir un format démocratique – et parce que Rome ne l’aurait probablement pas permis – mais des « forums », des « journées », et, dernier rejeton en date, un « chemin synodal ».

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Ref.  Synodalité en Allemagne : le précédent de Würzburg

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