La décennie révélatrice du pape François (15/03/2023)

D'Edward Pentin sur son blog :

La décennie révélatrice du pape François  

15 mars 2023

Tout catholique pratiquant qui a suivi le pontificat du pape François au cours des dix dernières années aura remarqué à quel point la corruption interne a été révélée dans l'Église, qu'elle soit doctrinale, morale ou structurelle.

Mais ces révélations pourraient-elles faire partie de la Providence du Seigneur, exposant tous les maux de l'Église post-conciliaire afin qu'une véritable réforme puisse avoir lieu un jour ou l'autre ?

Des questions sur une telle thèse ont été posées à trois éminents commentateurs sur François et l'Église : Le père Nicola Bux, théologien italien, ancien consulteur de la Congrégation pour la doctrine de la foi et de la Congrégation pour la cause des saints ; Riccardo Cascioli, rédacteur en chef du quotidien catholique italien La Nuova Bussola Quotidiana ; et le biographe de François, Massimo Borghesi, auteur de Catholic Discordance : Neoconservatism vs. the Field Hospital Church of Pope Francis,

Pensez-vous que ces révélations étaient providentielles, qu'elles auraient pu être révélées intentionnellement ?

PÈRE BUX : Il y a avant tout une intention divine qui fait que ce qui est caché se manifeste. Ce n'est pas la pratique, mais la foi qui remporte la victoire sur le monde (1 Jean 5:4). Si le pape François suit l'"agenda" du cardinal Martini, qui a déclaré que l'Église avait pris un retard de 200 ans, cela signifie qu'il ne s'intéresse pas à l'Église en tant que Corps mystique (cette année marque le 80e anniversaire de la célèbre encyclique Mystici Corporis Christi de Pie XII), c'est-à-dire reliée à sa tête, Jésus-Christ. En fait, François ne parle jamais de la crise de la foi. Il ne la considère pas comme digne d'attention. Sa réforme a donc des pieds d'argile, c'est-à-dire qu'elle est basée sur des présupposés idéologiques et mondains comme ceux de l'égalité et de la fraternité universelle, slogans de la Révolution française - originellement chrétiens, mais détachés de la racine qu'est la foi et donc incapables d'être mis en œuvre et de générer des actions. Il pense que prêcher la fraternité mettra fin aux guerres. Dès qu'il a publié Fratelli Tutti, la guerre russo-ukrainienne a éclaté. Le pape doit plutôt prêcher Dieu et sa filiation, parfaitement mise en œuvre en Jésus-Christ. C'est-à-dire qu'il faut annoncer le Fils, pour que les hommes se convertissent et deviennent fils, dans le Fils, du Père unique. C'est la condition de la paix, car les artisans de paix seront appelés fils de Dieu, dit Jésus. Alors ils se rendront compte qu'ils sont frères.

CASCIOLI : Franchement, il est difficile de le savoir. Ce qui me semble certain, c'est qu'il avait clairement en tête un programme de réformes qui lui était propre, à commencer par le pontificat lui-même, qui s'est fortement sécularisé au cours de ces dix années. La détermination et la systématicité avec lesquelles il a détruit l'héritage de saint Jean-Paul II et même de Benoît XVI sont révélatrices. D'autre part, quand on lance des processus - ce qui est sa volonté affichée - ils peuvent facilement déraper. C'est le cas de l'Église allemande, à qui l'on a offert un pouce et qui prend le bras. Il me semble que la fuite en avant du Synode allemand risque de ruiner le projet de François d'introduire les demandes de l'Église allemande dans le Synode sur la synodalité pour servir de moteur à l'ensemble de l'Église.

BORGHESI : Il y a une parfaite continuité entre François et Benoît XVI en ce qui concerne l'intention de faire la clarté au sein de l'Église, en mettant en lumière les graves péchés qui ont été cachés au cours des 50 dernières années. La "saleté dans l'Église", dont parlait le cardinal Ratzinger avant son élection comme pape, est une tache intolérable. Le fait que les méfaits des prêtres et des religieux aient été cachés pendant si longtemps révèle une conception "cléricale" de l'Église, celle d'un monde fermé qui se considère comme parfait, à l'abri de tout péché.

Qu'est-ce qui, dans son pontificat, a permis que tout cela soit révélé ? Dans quelle mesure François a-t-il permis que tout cela soit révélé ? Cela aurait-il été révélé si Benoît XVI avait continué à être pape ?

PÈRE BUX : Il y a un regard mondain, précisément de cette mondanité spirituelle qu'il emprunte à De Lubac, mais il l'a retourné pour critiquer et souvent accuser les clercs et les fidèles qui, au contraire, ont la foi catholique. Pensez à l'accusation répétée contre les prêtres en tant que "criminels" qui n'absolvent pas les pécheurs qui ne se repentent pas. Je ne prétends pas qu'il connaisse la phrase de Dante : Absolver non si può chi non si pente, /né pentere e volere insieme puossi/ per la contraddizione che nol consente ("On ne peut absoudre un homme qui ne s'est pas repenti, et personne ne peut se repentir et vouloir à la fois ; la loi de la contradiction ne le permet pas" - Inferno, XXVII, 118-120), mais les conditions du sacrement de la réconciliation, oui [il les connaît]. Il semble que François ne puisse pas tolérer l'Église en tant que "Corps mystique" et préfère qu'elle soit un peuple indistinct, croyant ou ne croyant pas en une quelconque divinité. Il attire ainsi, comme un aimant, la partie de l'appareil ecclésiastique qui a cessé depuis longtemps de croire au Christ, notre unique Sauveur, et considère l'Église comme une organisation qui doit s'assimiler au monde pour y construire une utopie politique, un "royaume" de ce monde, un mot que Jésus s'est plutôt attribué à lui-même et qu'il a enseigné à demander : Que ton règne vienne, c'est-à-dire que le Père céleste soit connu de tous les hommes. La mission de l'Église est donc en chute libre. François identifie [la mission] au prosélytisme : il oublie que les Actes en parlent et que sans lui les apôtres n'auraient pas quitté les frontières d'Israël. Il suffit de lire la Note doctrinale de la Congrégation pour la doctrine de la foi sur certains aspects de l'évangélisation (2007).

Dans le plan de Dieu, tout homme, donc même un pape, est destiné à dévoiler les pensées de nombreux cœurs, à mettre en lumière ce qui est caché. Le fait que Benoît XVI ait vécu dix ans après sa démission est peut-être une "révélation" de Dieu, comme s'il voulait dire : "C'est moi qui décide quand un pape doit être réélu" : "C'est moi qui décide quand un pape doit terminer son pontificat". Ainsi, dans la renonciation, on peut entrevoir une diversité de finalités. Maintenant, sa personne et son œuvre ayant visiblement disparu, Benoît XVI devient plus proéminent, avec ses pensées centrées sur Jésus-Christ, parce qu'il est le signe de la contradiction, chassant tout ce qui s'oppose à lui. Car il est nécessaire que des scandales se produisent pour que les vrais croyants se manifestent (1 Cor. 11:19), ou pour que ceux qui n'étaient pas des nôtres se manifestent (1 Jn. 2:19).

CASCIOLI : Soyons clairs sur une chose : l'état actuel de confusion et d'apostasie dans l'Église ne dépend pas uniquement du pape François. Certaines positions et le mépris de la tradition de l'Église étaient déjà présents, et la théologie hétérodoxe a été enseignée dans les universités pontificales et les séminaires pendant des décennies. Il faut aussi rappeler ce qui s'est passé depuis 1968, après l'encyclique Humanae Vitae. Mais avec Jean-Paul II et Benoît XVI, il y avait un guide sûr, une clarté orthodoxe du Magistère qui indiquait clairement - à ceux qui le voulaient - où se trouvait le véritable enseignement de l'Église. Le pontificat de François, en revanche, a permis à tout d'émerger au grand jour, les opinions hétérodoxes étant aujourd'hui majoritaires. À cet égard, il convient de rappeler la prophétie de Paul VI en 1977 dans une lettre à Jean Guitton : "Ce qui me frappe, quand je considère le monde catholique, c'est qu'à l'intérieur du catholicisme une pensée non catholique semble parfois prédominer, et il se peut que cette pensée non catholique à l'intérieur du catholicisme devienne demain la plus forte. Mais elle ne représentera jamais la pensée de l'Église".

BORGHESI : Tout d'abord, sa conception absolument non cléricale de l'Église. C'est Jean-Paul II qui a été le premier à avoir le courage, lors du Jubilé de l'an 2000, de demander pardon à Dieu pour les péchés de l'Église. Une décision qui, à l'époque, n'était pas partagée par beaucoup. François s'est engagé, comme Benoît XVI, sur cette voie, celle de la transparence. C'est la voie tracée par le Concile Vatican II.

Dans quelle mesure pensez-vous que ces révélations étaient nécessaires pour une véritable réforme à l'avenir ?

PÈRE BUX : Nous savons que l'Église a une composante humaine imparfaite et pécheresse parce que le mystère de l'iniquité est à l'œuvre. Mais la grâce de Dieu n'est pas vaine ; il suffit de ne pas mettre d'obstacles et de ne pas enlever la suprématie de Jésus-Christ parce que la grâce et la vérité viennent à l'Église de Jésus-Christ. Si l'Église ne croit plus en lui, mais en fait un prétexte pour parler de pauvreté et d'écologie, comme si elle voulait éliminer la pauvreté et sauver la planète, il ne faut pas s'étonner que la transformation des cœurs n'ait pas lieu. Il y a un manque de foi dans les hommes d'Église. Ils ont réduit le sacerdoce à un presbytérat, compris comme une fonction représentative et démocratique, au lieu de le considérer comme l'essence nouvelle qui permet de se tenir en présence de Dieu et de le servir. Benoît XVI a appelé l'Année du Sacerdoce, l'Année de la Foi, précisément pour indiquer le véritable antidote à la crise ecclésiale et à l'effondrement de la liturgie, en puisant aux sources sacramentelles de la grâce.

CASCIOLI : Nous savons que cette période se révélera providentielle, mais nous verrons avec le temps de quelle manière. Dans l'histoire de l'Église, nous voyons certainement que les périodes de crise débouchent sur un épanouissement de la sainteté. C'est la vraie et unique réforme. Cependant, il est clair que dans cette tourmente, beaucoup d'âmes sont en danger de se perdre, il y a un ennemi qui veut détruire l'Église et qui s'est maintenant glissé à l'intérieur, faisant perdre leurs repères à beaucoup de catholiques. Nous devons nous rappeler le rêve prophétique de saint Jean Bosco, celui des deux colonnes auxquelles le pape attache la barque de Pierre pour sortir indemne d'une formidable tempête au cours de laquelle une multitude de navires ennemis lancent contre elle leurs féroces attaques. Les deux colonnes représentent la Vierge Marie et l'Eucharistie. Je dirais que c'est vraiment le moment de s'attacher le plus fortement à ces deux piliers.

BORGHESI : Ils sont [nécessaires] parce qu'ils montrent le côté faillible de l'Église. Ils impliquent donc la confession des péchés. Nous passons ainsi de l'Église triomphante à l'Église humble, consciente que sa richesse dépend uniquement de la grâce de Dieu et non de ses propres forces. Cette condition spirituelle est la prémisse de toute réforme.

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