Belgique : pourquoi pas une confédération provinciale ? (18/03/2023)
Une opinion de Yves Genin, professeur émérite UCLouvain, ancien président des C.A. de Test-Achats ASBL&SC publiée sur le site de La Libre :
Vers une confédération provinciale belge ? Est-il vraiment déraisonnable de réfléchir, ne fût-ce qu’un peu, à une évolution de nos institutions vers un confédéralisme provincial belge, composé de douze entités quasi indépendantes et chacune responsable devant ses habitants ? De toute évidence, il s’agirait d’une révolution copernicienne.
La Belgique est une démocratie et il faut s’en réjouir. Cependant, lorsque l’on dit démocratie, on n’a pas encore dit grand-chose : la démocratie, telle qu’elle est mise en œuvre en Belgique, en Suisse ou aux USA, c’est assurément trois formes de démocratie bien différentes. Beaucoup pensent que la démocratie belge avec ses régions, ses communautés, ses provinces et ses communes, enchevêtrées dans sa lasagne communautaire et institutionnelle, fait plus honneur au surréalisme dont notre pays a d’illustres représentants, qu’à une forme efficace de gestion de la chose publique. Or, les démocraties faibles et inefficaces sont fragiles. Elles s’exposent à des dérives autocratiques : les Poutine, Trump et autre Bolsonaro sont là pour nous le rappeler. Dans notre pays, on en perçoit peut-être des symptômes alarmants : les partis extrémistes au Nord comme au Sud séduisent de plus en plus de nos concitoyens. Il est donc grand temps de se pencher sur notre système politique en déliquescence et de s’efforcer de lui substituer une forme de démocratie plus efficace et plus directe. La Suisse semble en être un modèle. Pourquoi ne pas s’en inspirer en imaginant une confédération provinciale belge?
La Belgique est une nation relativement jeune qui n’a pas de racines séculaires. Pour son bonheur ou son malheur, c’est selon, le pays est fracturé par une faille d’importance entre les cultures germanique et latine. Il n’est donc pas surprenant que ces deux plaques tectoniques culturelles s’entrechoquent. Les réformes de la constitution ont accentué ces divergences en instituant un fédéralisme à deux régions principalement, régions qui se regardent, se jalousent et se disputent. Au nord, la région flamande, hier pauvre, aujourd’hui prospère, a une forte identité culturelle, vote plutôt à droite quand ce n’est pas à l’extrême-droite, exige plus d’autonomie et semble excédée de continuer à subventionner le redressement économique, sans cesse reporté, de l’autre région. Au sud, la région wallonne, hier prospère, a d’importantes poches de pauvreté, n’a pas de forte identité, vote plutôt à gauche quand ce n’est pas à l’extrême-gauche, n’en finit pas de redresser son économie et n’a pas d’exigence communautaire bien forte sinon requérir de la part de sa voisine un minimum de solidarité dans ses difficultés. Pour son malheur, la région wallonne, depuis plus d’une dizaine d’années, est de plus traversée par une succession de scandales politico-financiers, qui ternissent son image. Des jeunes qui rêvent d'autre chose Par ailleurs, malgré une pléthore de conseillers de toutes natures, de ministres et de présidents, le citoyen se sent peu concerné par la chose publique. On ne demande son avis qu’aux élections, tous les 4 ans. Il est prié, par après, de se taire et de laisser faire ceux qu’il a élus. En outre, la formation d’un gouvernement après ces élections est longue et difficile. Elle relève presque d’une sinécure : elle requiert le plus souvent une majorité de toutes les couleurs politiques et communautaires. La politique suivie n’est alors plus que le plus grand commun dénominateur entre les aspirations des unes et des autres. Les laissés-pour-compte de cette politique n’ont d’autre choix que de descendre dans la rue pour manifester leur mécontentement. Le résultat est que bien de nos jeunes ne s’y intéressent plus et que certains rêvent d’autre chose.
La Belgique n’est pas le seul pays européen à être confronté à des différences de culture. Il est instructif d’interroger l’histoire à ce sujet. Ainsi, la Tchécoslovaquie s’est essayée au difficile fédéralisme à deux en créant en 1989 la République Fédérale Tchèque et Slovène. Ce fut un échec. La “révolution de velours” y mit rapidement un terme en 1992 : les deux parties trouvèrent un accord à l’amiable pour divorcer. La Suisse est un cas plus intéressant. Elle a 3 langues officielles : l’allemand, le français et l’italien sans parler du romanche. Pourtant, elle n’a jamais été tentée par un fédéralisme à 3 régions comme ces différentes cultures auraient pu l’y inciter. De par sa constitution, la Confédération Helvétique est une fédération de 26 états quasi indépendants : les cantons, de taille et de richesse bien différents. Elle ne connaît que trois niveaux de pouvoir : le fédéral qui exerce les pouvoirs régaliens, le cantonal et le communal. Ces pouvoirs s’articulent sur le principe de subsidiarité : toutes les décisions sont prises au niveau le plus bas possible. Chacun de ces niveaux a ses instances politiques démocratiquement élues. Les partis sont nationaux. Le pouvoir législatif est exercé par l’Assemblée fédérale constituée de deux chambres : le Conseil national, dont les membres sont élus à la proportionnelle, et le Conseil des États, où chaque canton a droit à deux représentants. Le Conseil fédéral détient le pouvoir exécutif : il est constitué de 7 membres élus par l’Assemblée fédérale, est représentatif du poids des différents partis et fonctionne selon le principe de collégialité : le consensus y est de règle. Dans les limites prévues par la constitution, le référendum est une pratique courante en Suisse ; il peut être d’initiative populaire, même s’opposer à une loi fédérale.
Toutes ces formes de démocratie directe, la simplicité des institutions et leurs relatives autonomies incitent le citoyen à se sentir concerné par les affaires publiques plutôt que de l’en détourner. À bien des égards, la démocratie suisse est donc séduisante d’autant plus que le PIB par habitant et l’espérance de vie de ses citoyens sont parmi les plus élevés au monde. Comme toute aventure humaine, l’organisation politique de la Suisse n’a cependant pas que des mérites. Par exemple, la Suisse est un état conservateur, qui a de sa neutralité une conception intégriste et qui profite de sa situation au cœur de l’UE pour en tirer divers avantages sans s’en montrer solidaire, ni en payer le prix. La Belgique ne devrait-elle pas s’inspirer de l’organisation politique suisse plutôt que de s’efforcer de maintenir en équilibre l’extravagant et dispendieux château de cartes de ses institutions ? On devrait au moins y réfléchir. Pourquoi serions-nous condamnés à un fédéralisme à deux, par essence conflictuelle ? Nos dix provinces auxquelles s’ajouteraient la région bruxelloise et les cantons de l’est pourraient fort bien jouer le rôle des cantons suisses. Est-il indécent d’avouer que l’auteur de ces quelques lignes doit à ses origines de se considérer comme belge, luxembourgeois et même gaumais, avant d’être wallon ? Bien sûr, c’est différent au Nord, encore qu’un Gantois n’aimerait probablement pas qu’on le prenne pour un Anversois et réciproquement. Est-il vraiment déraisonnable de réfléchir, ne fût-ce qu’un peu, à une évolution de nos institutions vers un confédéralisme provincial belge, composé de douze entités quasi indépendantes et chacune responsable devant ses habitants ? De toute évidence, il s’agirait d’une révolution copernicienne. Est-elle imaginable ? Il n’empêche : nous devrions avoir l’impérieux devoir, même la fierté, de laisser aux descendants du pays le plus taxé d’Europe une organisation de ses institutions, efficace, parcimonieuse des deniers publics, pacifiée et aussi proche que possible de ses citoyens ?
Enfin, nous sommes en démocratie. On peut y émettre des idées, faire même peut-être des rêves éveillés, éventuellement les exprimer publiquement sans risquer les foudres d’un état totalitaire !
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