Selon François, l'Église doit garder la maîtrise du traitement juridique des abus sexuels (27/03/2023)

De Jean-Marie Guénois sur le site du figaro via Il Sismografo :

Pour le pape l'Église doit garder la maîtrise du traitement juridique des abus sexuels

Contre la loi du silence François a publié un décret très contraignant mais il opte pour la primauté juridique de l'Église au détriment de la collaboration avec la justice civile -- Dans un document juridique publié le 25 mars, fête de l'Annonciation dans l'Église catholique, le pape François a confirmé et renforcé plusieurs mesures juridiques pour lutter contre les abus sexuels. En clair, toute personne dans l'Église qui a connaissance d'un abus sexuel sur mineurs, ou sur des personnes handicapées, a le devoir de le « signaler » à l'évêque du lieu. «Ce signalement n'est pas une violation du secret professionnel » (segreto d'ufficio) précise le texte. «Sauf» demande l'Église, si un prêtre recevait cette confidence dans le cadre de la confession dont le secret absolu reste protégé.

Tout responsable, quel que soit son statut, clerc ou laïc, qui est informé d'un délit potentiel, doit alors diligenter une enquête canonique, selon le droit interne de l'Église. En cas de blocage, il doit même user de son autorité hiérarchique pour « obtenir des informations » et faire avancer l'enquête. Et ne doit donc, en aucune manière, s'y opposer. Il est également responsable de la « conservation » des documents de l'enquête, c'est-à-dire de leur sécurité, contre toute destruction ou disparitions de pièces comme cela s'est déjà produit.

Ce décret entend rendre pratiquement impossible la « couverture ou l'ensablement » des abus sexuels commente Mgr Filippo Lannone, Préfet du dicastère pour les textes législatifs, un ministère du Vatican.

Mise en application le 30 mars 2023

Mais s'il renforce nombre de procédures internes à l'Église catholique, le pape François n'impose pas l'obligation de recours à des enquêtes juridiques menées par des instances civiles, non dépendantes de l'Église. C'était pourtant une demande de nombres associations de victimes dans le monde. En France, l'Église catholique a ainsi passé des conventions de signalements automatiques d'abus avec les parquets pour déclencher les enquêtes de police afin de vérifier la nature des accusations. Mais en Italie, le concordat interdit pratiquement un évêque le droit de signaler un prêtre accusé à la justice civile.

Le nouveau document suggère simplement que le responsable ecclésial, « s'il le juge opportun, peut demander des informations à des personnes et à des institutions, mêmes civiles, qui sont en mesure de fournir des éléments utiles pour l'enquête ». L'Église universelle n'accepte donc pas que la justice civile entre dans une procédure touchant ses prêtres. Cela dit le document fustige et interdit toute action d'obstruction hiérarchique « omissions directes, interférences ou évitement d'enquêtes civiles ou d'enquêtes canoniques, administratives ou pénales ».

Plus globalement les mesures, en partie déjà connues, sont proclamées « définitivement » par ce Motu Proprio, un décret d'application, d'une dizaine de pages, intitulé « Vous êtes la lumière du Monde ». Elles ont été expérimentées depuis le 7 mai 2019 à tous les niveaux de l'Église avec un précédent Motu Proprio provisoire. Elles entrent en application le 30 mars 2023.

Demande de transparence loin d'être respectée

Première nouveauté, ce ne sont pas seulement les évêques ou supérieurs religieux qui sont responsables de la gestion des abus mais aussi les « laïcs » en responsabilité ainsi que les œuvres concernées.

Autres précisions inédites, parmi les « personnes vulnérables », potentiellement victimes, il y a évidemment les « mineurs » mais aussi des personnes qui « n'ont pas l'usage de leur raison », qu'elles soient mineures ou adultes.

Dernière nouveauté : le document exige les diocèses mettent à disposition des gens des bureaux « facilement accessibles au public pour recevoir le signalement des abus », ce qui était suggéré précédemment. Mais c'est l'évêque du lieu où se sont produits les faits qui demeurent responsable de la procédure à moins qu'il déclare un conflit d'intérêts.

Enfin la procédure interne est décrite dans le détail, y compris pour les instances romaines. Le dicastère compétent reste celui de la doctrine de la foi mais le texte insiste pour que ce ministère du Vatican informe, des dossiers en cours, la Secrétairerie d'État, c'est-à-dire le premier ministre, et tous les ministères concernés.

Cette demande de transparence entre services du Vatican est loin d'être respectée. Elle est exigée désormais. Sur ce plan, les évêques français s'étaient plaints publiquement l'an passé, lors de l'affaire Santier, du cloisonnement des services du Vatican en la matière qui avait considérablement limité, selon eux, l'information sur la procédure qui visait Mgr Michel Santier dont très peu d'évêques auraient été au courant.

Forte confirmation en revanche de ce qui était déjà en vigueur depuis 2019 : Les pressions, courantes dans le passé de l'Église, pour imposer le « silence » à celui qui venait dénoncer un prêtre, sont totalement prohibées. Tant pour celui qui viendrait accuser que pour la ou les victimes elles-mêmes ou des témoins de ces actes. « Aucun lien de silence ne peut être imposé » stipule le Motu Proprio.

Ce qui permet « aux personnes qui affirment être offensées » - les articles juridiques ne parlent pas de « victimes », le mot n'apparaît qu'une seule fois et dans l'introduction - de s'exprimer publiquement en cas de blocages éventuels de la hiérarchie. Mais ces « personnes qui affirment avoir été offensées » et « leurs proches », demande le document, doivent être « traitées avec dignité et respect ». Le texte n'évoque pas pour autant d'éventuelles compensations financières.

En échange de cette protection des victimes, la nouvelle réglementation insiste sur la « sauvegarde » de la « bonne réputation » et de la « sphère privée » de « toutes les personnes impliquées » avec le respect de la « présomption d'innocence ».

Retour de la «pleine crédibilité»

Sur ce plan le motu proprio rappelle qu'un prêtre accusé, doit recevoir régulièrement des informations sur l'avancement de l'enquête le concernant et qu'il est même « invité à présenter un mémoire de défense ». Les « personnes qui affirment avoir été offensées », les victimes, en revanche, doivent « faire la demande », à l'évêque en charge de l'enquête, pour avoir des informations sur l'enquête.

Le délit d'abus sexuel est toujours défini comme une violation du « 6°eme commandement » - non cité dans le texte, « tu ne commettras pas l'adultère » - en « contraignant » quelqu'un, par « violences, menaces, abus d'autorité » à « réaliser ou subir des actes sexuels ». Mais aussi comme « l'acquisition immorale, la conservation, l'exhibition, la divulgation », « d'images pornographique de mineurs ou de personnes qui n'ont pas habituellement l'usage de la raison ». Ou encore « le recrutement, et la conduite d'un mineur ou d'une personne qui a habituellement un usage imparfait de la raison, ou d'un adulte vulnérable, à se montrer sexuellement ou à participer à des exhibitions pornographiques, réelles ou simulées ». La précision concernant les personnes handicapées a été demandée par le pape François selon Mgr Lannone.

Dans sa lettre introductive, le pape François espère que grâce à ces « actions concrètes et efficaces » qui entendent « prévenir et contrecarrer ces crimes qui trahissent la foi des fidèles » ces « phénomènes ne se produiront plus ». Et qu'elles contribueront au retour de la « pleine crédibilité » de l'Église et de « l'efficacité de sa mission ». 

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