FIGAROVOX/TRIBUNE - L'historien Aram Mardirossian dresse un parallèle historique entre la situation actuelle de l'Arménie et l'invasion turque de 1071, sous l'Empire Byzantin. Selon lui, le chef du Kremlin, comme l'empereur Basile II, prend le risque de favoriser l'expansion turque en délaissant l'Arménie.
Aram Mardirossian est professeur agrégé des facultés de droit de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et directeur d'études à l'École Pratique des Hautes Études à la chaire de Droits et institutions des chrétientés orientales.
Si l'«histoire ne repasse pas les plats», elle ressert souvent des mets au goût très amer. En laissant l'Arménie – ne parlons même pas de l'Artsakh – être chaque jour un peu plus détruite par la Turquie et l'Azerbaïdjan, tablant qu'ainsi, elle lui serait d'autant plus servilement soumise, Vladimir Poutine commet mutatis mutandis la même erreur concédée il y a mille ans par l'empereur byzantin Basile II le Macédonien (976-1025).
L'Empire romain d'Orient – très fautivement appelé byzantin – avait atteint l'acmé de sa puissance sous le règne de ce basileus qui était le plus illustre rejeton d'une dynastie impériale d'origine arménienne ! Militaire de génie, administrateur hors pair, il parvint à écraser les Bulgares et les puissances musulmanes. Nonobstant, il commit une faute politique majeure dont les effets dévastateurs se déclineront sur le long terme. Pensant ainsi accroître la grandeur de son empire et sa gloire personnelle, il supprima l'indépendance arménienne soigneusement respectée par les deux empereurs romains les plus glorieux, Constantin et Héraclius. Ce faisant, Basile II ne renouait pas seulement avec l'autoritarisme funeste d'un Justinien. Il répudiait un principe clairement établi depuis Auguste : la position intermédiaire de l'Arménie entre l'Empire et les puissances du Moyen-Orient. S'imaginant assez forts pour lutter contre les États musulmans sans le concours des Arméniens, Basile II et ses successeurs méconnurent lourdement le rôle millénaire de l'Arménie, barrière de civilisation contre la barbarie des steppes. Le Macédonien a en réalité amorcé le début de la fin de l'Empire romain. Moins d'un demi-siècle après sa mort, le désastre de Manazkert en 1071 contre les Seldjoukides scande le début du déferlement des tribus turques en Anatolie. Débute alors un long chemin de croix qui s'achèvera avec la chute de Constantinople le mardi 29 mai 1453.
Pendant de nombreuses années Vladimir Poutine a fourni des armes à Bakou avant de laisser les Arméniens seuls face aux Turco-azéris et leurs nervis djihadistes à l'automne 2020.
Aram Mardirossian
Pendant de nombreuses années Vladimir Poutine a fourni des armes à Bakou avant de laisser les Arméniens seuls face aux Turco-azéris et leurs nervis djihadistes à l'automne 2020. Il est finalement intervenu quand le «fruit» arménien – largement vaincu mais pas encore totalement chassé de l'Artsakh – lui a paru mûr. D'une part, il punissait ainsi les Arméniens qui, depuis 2018, avaient exprimé des velléités de rapprochement avec l'Occident sous la direction de Nikol Pachinyan dont l'action politique, de façon plus générale, constitue dans le meilleur de cas un sommet d'incompétence et, dans le pire, une traîtrise impardonnable. D'autre part, Poutine prenait pied plus profondément dans le Sud Caucase en installant 2000 soldats casques bleus russes, sur les territoires que l'Azerbaïdjan venait de réoccuper.
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