Ce qui attire et reste fécond dans l’Église ne s’apparente nullement aux vieilles lunes du progressisme (27/05/2023)

De Christophe Geffroy sur le site de La Nef en éditorial du numéro du mois de juin :

Forces vives du catholicisme : voir enfin la réalité !

ÉDITORIAL

La Croix publiait le 5 mai une enquête sur le thème : « Pourquoi les familles catholiques ont du mal à transmettre leur religion », soulignant au passage qu’en France 91 % des musulmans, 84 % des juifs et seulement 67 % des catholiques conservent leur religion d’une génération à l’autre (1). Certes, le phénomène minoritaire explique sans doute en grande partie le fort taux de transmission dans les familles musulmanes et juives, tandis que la désaffection touche davantage une religion « majoritaire » dans un contexte socio-politique où le christianisme est marginalisé. Ceci étant dit, ce statut « majoritaire » des chrétiens est maintenant dépassé quand seulement 25 % des 18-59 ans se déclarent catholiques contre 43 % douze années plus tôt. La situation est donc inquiétante. La Croix note toutefois que certains fidèles transmettent la foi bien mieux que les autres : « Ces familles catholiques observantes et plutôt conservatrices pilotent avec succès leur reproduction spirituelle, sélectionnant avec attention la sociabilisation religieuse de leurs enfants (écoles catholiques, mouvements de jeunesse, cercles amicaux…). » Et le fait que le catholicisme devienne minoritaire accentue ce phénomène, note Yann Raison du Cleuziou, interrogé dans l’article de La Croix : « Dans un paysage minoritaire, une religion a tendance à se restructurer pour ne pas disparaître. Cette reconfiguration aboutit à une intensification de l’entre-soi autour de pratiques marquantes. »

Tirer les conclusions…

Ce qui est extraordinaire, c’est l’incroyable con­traste entre l’accord assez unanime sur le constat, relayé même par La Croix, journal guère connu pour ses positions « conservatrices », et l’absence totale de conclusions tirées de ce constat ! Que faut-il de plus pour que nos élites catholiques comprennent que ce qui attire et reste fécond dans l’Église ne s’apparente nullement aux vieilles lunes du progressisme ? Celles-ci – ordinations d’hommes mariés et de femmes, bénédiction des couples de personnes de même sexe, acceptation de la contraception, assouplissement de la morale chrétienne, etc. – n’ont rien résolu partout où elles ont été mises en œuvre (comme dans le protestantisme), quand elles n’ont pas simplement détérioré la situation. Dès lors pourquoi ses revendications occupent-elles une place disproportionnée dans les préoccupations des médias ou des instances religieuses ? Pourquoi en rester à une vision trop horizontale de l’Église où la grâce ne semble plus compter, où le prêtre est désacralisé pour conjurer toute forme de « cléricalisme » ? Et pourquoi ceux qui, à l’inverse, prônent un retour à une certaine verticalité en replaçant l’Eucharistie bien célébrée au centre de la vie chrétienne, la pratique régulière de la confession, la promotion de l’adoration et des piétés populaires, sont-ils trop peu encouragés et soutenus par les autorités, quand ils ne sont pas tout simplement persécutés ?

Les chrétiens « progressistes » sont nos frères et ont le droit d’exprimer leurs positions – lesquelles devraient quand même être circonscrites par le cadre du Magistère. Mais est-il normal, alors qu’ils sont minoritaires et loin de représenter les forces vives de l’Église, qu’il y ait un tel décalage entre le pouvoir qu’ils ont encore et la réalité de la base du catholicisme français, mal représentée à tous les niveaux, parfois même suspecte car trop conservatrice ?

Vatican II vraiment menacé ?

Dans un entretien avec les jésuites de Hongrie publié le 9 mai, le pape François s’est inquiété : « la résistance [au concile Vatican II] est terrible », « il existe un incroyable restaurationnisme », fruit d’une « maladie nostalgique » ; « le danger aujourd’hui est le retour en arrière, la réaction contre la modernité » ; c’est ainsi qu’il justifie son motu proprio Traditiones custodes (2021). Hormis la Fraternité Saint-Pie X qui, de par sa position canonique, n’est pas concernée par ce motu proprio, et quelques personnalités traditionalistes faciles à identifier, on ne comprend pas de qui parle le pape ! Le propos est pourtant d’une rare violence et vise une petite partie de son troupeau : ce sont ses propres fils qu’il fustige ainsi, sans jamais les nommer précisément ni démontrer le bien-fondé de ses accusations, comme si la « modernité » était en soi inattaquable. Il jette le discrédit sur toute une mouvance qui n’est pourtant pas homogène et dont la plupart ne remettent pas plus en cause Vatican II (qu’ils n’ont pas lu) que l’ensemble des catholiques ordinaires.

Dans le présent contexte de l’« effondrement » du catholicisme (G. Cuchet), la priorité est-elle vraiment de punir indistinctement des fidèles qui ne se reconnaissent pas dans la description que l’on fait d’eux ? Et ainsi de marginaliser une partie de l’Église qui porte de nombreux fruits, qui pratique avec ferveur une belle liturgie, transmet mieux qu’ailleurs la foi, suscite des vocations… ? Les « tradis » ne sont pas les seuls à avoir tenu bon sur ces aspects, ils s’inscrivent dans l’orbite conservatrice bien plus large qu’évoquait l’enquête de La Croix. Notre pauvre Église européenne est déjà bien trop fragmentée, pourquoi s’épuiser dans de vaines divisions au lieu d’essayer d’unir toutes ses forces vives ?

(1) Chiffres tirés de la publication en avril de l’enquête Trajectoires et origines (TEO) de l’Insee. Cf. Guillaume Cuchet, « Le catholicisme risque de ne plus rester longtemps la première religion du pays », La Croix du 22 mai 2023.

 

Sommaire du numéro 359 de juin 2023 de La Nef :

En bref : le pape François défend la natalité

ÉDITORIAL
Voir enfin la réalité !, par Christophe Geffroy

ACTUALITÉ
Écoles privées et mixité sociale, par Anne Coffinier
Les chrétiens oubliés de Birmanie, par Rainer Leonhardt
Ukraine : comment rétablir la paix en Europe ?, par Michel Pinton
Fitch : pourquoi la France est moins bien notée, par Pierre Vermeren
Arabie-Séoudite et Iran : un accord historique, par Annie Laurent

ENTRETIEN
Saisir l’histoire d’un diocèse, entretien avec Mgr François Touvet

DOSSIER LA CRISE DE L’AUTORITÉ
La crise de l’autorité, par Philippe Bénéton
« Anarchisme chrétien » ?, par Jacques de Guillebon
Autorité : une citadelle à rebâtir, par Élisabeth Geffroy
L’autorité dans l’éducation, entretien avec Christian Flavigny
L’autorité dans l’Armée, par Henri Hude
L’Église comme figure d’autorité, par le Père Philippe Capelle-Dumont

VIE CHRÉTIENNE
Le fléau de l’ébriété chez les jeunes, par l’abbé Laurent Spriet
Question de foi Long life to the King…, par l’abbé Hervé Benoît

CULTURE
Jacques et Raïssa Maritain cœur à cœur, par Henri Quantin
Notes de lecture, par Yves Chiron, Christophe Geffroy, Jacques de Guillebon, Patrick Kervinec, Rainer Leonhardt, Pierre Mayrant, Anne-Françoise Thès, Michel Toda et Constance de Vergennes
Pour bien se former spirituellement, entretien avec le P. Armand Levillain
Musique Mozart par Leonskaja, par Hervé Pennven
Cinéma Harold Fry et L’homme debout, par François Maximin
Sortir L’inconnu me dévore, par Constance de Vergennes
À un clic d’ici, par Léonard Petitpierre
Et pour les jeunes…, par Valérie d’Aubigny
Un livre, un auteur, entretien avec Jean-François Chemain
Brèves
Rencontre Sonia Drapeau, par Marine Tertrais

DÉBATS / POINT DE VUE
Le laïc et le saint prêtre, par Pierre Vétois
Crise sociale et institutionnelle ?, par Guilhem Le Gars

CONTRE-CULTURE
Inquiétudes pour l’agriculture, par Jacques de Guillebon

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