La synodalité ou la révolution en marche (22/06/2023)

De Jean-Marie Guénois sur le Figaro de ce 21 juin 2023 (via le Forum Catholique) :

Le pape veut une réforme radicale du pouvoir dans l’Église

Rarement l’Église catholique s’est remise en cause à ce point. L’instrumentum laboris - le « document de travail » - du prochain synode des évêques « pour une Église synodale », programmé à Rome en deux sessions (octobre 2023 et octobre 2024), entend inverser totalement la hiérarchie habituelle de la prise de décision ecclésiale au profit des laïcs. Il propose d’ailleurs une nouvelle méthode collective de prise de décisions, normée, « la conversation dans l’Esprit », qui présiderait à toutes les décisions.

Publié mardi par le Vatican, ce document de travail demande également à ce que l’Église réfléchisse à l’ordination sacerdotale d’hommes mariés et à l’ordination diaconale de femmes. Quant aux évêques, ils devraient être régulièrement évalués dans leur charge et contredits, si nécessaire, dans leur gouvernement. Le synode espère enfin que des « groupements d’églises locales » à travers le monde puissent autant peser que Rome dans les grandes décisions. Cela pourrait aller jusqu’à la décentralisation de l’autorité doctrinale, non plus réservée à Rome, mais accordée pour partie à des « instances continentales ».

Ces mesures ne sont pas encore adoptées mais elles sont le fruit d’une consultation mondiale de tous les catholiques lancée par le pape François en octobre 2021, pour préparer ce synode intitulé « Pour une Église synodale, communion, participation, mission ». Comme d’autres éditions du synode, celui-ci réunira environ 300 évêques et experts au Vatican pour débattre pendant trois semaines afin de formuler des propositions de réformes au pape. Mais seul le pape aura le pouvoir de confirmer ou non ces idées et questions, devenues propositions après vote du synode. Si elles devaient devenir des réformes concrètes, ce serait à l’aube de l’année 2025, après les deux sessions synodales.

Pour François, il s’agit de profiter des effets dévastateurs de la crise des abus sexuels d’une minorité de prêtres pour déconstruire la hiérarchie du pouvoir dans l’Église en partant non plus du sommet mais du « peuple de Dieu ». À savoir, les laïcs de base qui ont des « droits » en vertu de leur « dignité de baptisés ». L’idée est de lutter contre le « cléricalisme » en vue, espère-t-il, d’un rebond de l’évangélisation.

À côté de cette inversion totale de la pyramide hiérarchique de « l’Église catholique », qui doit devenir une « Église synodale », les requêtes de fond ne sont pas une surprise. Elles recoupent tous les accents du pontificat du pape François. Première place est donnée aux « pauvres » : « Dans une Église synodale, les pauvres, au sens de ceux qui vivent dans la pauvreté et l’exclusion sociale, occupent une place centrale. » Puis vient « le soin de la maison commune », la terre qui subit le « changement climatique ». Apparaissent ensuite les « migrants » avec qui « les fidèles catholiques » doivent « cheminer ». Des catholiques qui doivent d’ailleurs travailler à la « promotion des pauvres » en « prêtant voix à leur cause » pour « dénoncer les situations d’injustice et de discrimination sans complicité avec ceux qui en sont responsables ».

De même, les paroisses devraient « vraiment accueillir tout le monde ». Dont « les personnes divorcées et remariées, les personnes polygames ou les personnes LGBTQ+ », des situations mises sur le même plan dans le document du Vatican. Place doit être également donnée aux « victimes » qui ont été « blessées par des membres de l’Église ».

L’autre grand chapitre ouvert par ce synode est celui des ministres ordonnés : les diacres, prêtres, évêques. Il s’agit d’entrer dans « une conception ministérielle de toute l’Église » en « imaginant de nouveaux ministères ». Soit « un appel clair à dépasser une vision qui réserve aux seuls ministres ordonnés (évêques, prêtres, diacres) toute fonction active dans l’Église, réduisant la participation des baptisés à une collaboration subordonnée ».

Une large place est alors donnée « au statut et au rôle des femmes » pour pallier les « échecs relationnels » entre les « ministres ordonnés » et les femmes qui vivent « des formes de discrimination et d’exclusion ». L’enjeu est ainsi défini : « la présence des femmes à des postes de responsabilité et de gouvernance » est « cruciale » pour une Église « de style plus synodale ». Par conséquent, « la question de l’accès des femmes au diaconat » doit être « réexaminée », mais pas au titre d’une « revendication catégorielle ».

Les prêtres et les évêques, en revanche, sont plutôt mis sur le banc des accusés par le document du Vatican. On « apprécie » le « don du sacerdoce ministériel » mais apparaît un « profond désir de le renouveler dans une perspective synodale ». Les prêtres, qui ont pourtant donné leur vie, seraient « éloignés de la vie et des besoins du peuple, souvent confinés à la seule sphère liturgico-sacramentelle ». Pire, « le cléricalisme est une force qui isole, sépare et affaiblit une Église saine et entièrement ministérielle » et il « empêche la pleine expression de la vocation des ministères ordonnés dans l’Église ». Il faudrait donc, dès le séminaire, préparer les futurs prêtres « à un style d’autorité propre à une Église synodale ». Ce qui reste un défi car la consultation mondiale a mis en évidence « la difficulté d’impliquer une partie des prêtres dans le processus synodal ». Beaucoup d’entre eux boudent en effet cette opération. Enfin, une question pourtant taboue est ouvertement posée par le texte du Vatican : il serait opportun « de revoir (…) la discipline sur l’accès au presbytérat d’hommes mariés ».

La remise en cause des évêques est encore plus radicale. On leur demande de « ne pas considérer la participation de tous comme une menace pour leur ministère de gouvernement ». Il faut donc « repenser les processus de décision » par « une plus grande transparence » avec un « exercice moins exclusif du rôle des évêques ». Des évêques qui n’ont qu’à bien se tenir car le synode pourrait demander de définir des « critères » pour leur « évaluation et auto-évaluation ». Le synode voudrait aussi discuter jusqu’au « fondement » de l’autorité épiscopale quand l’évêque refuserait de suivre « l’avis réfléchi » des « organes consultatifs » qui devraient primer. Comment les évêques peuvent-ils, demande le document, « discerner séparément des autres membres du peuple de Dieu », à savoir les laïcs ? Ils doivent, au contraire, viser « l’optique de la transparence et de la redevabilité (capacité à rendre des comptes) ». Il faudrait aussi revoir « le processus de discernement pour identifier les candidats à l’épiscopat ».

Dernier axe de ce désir synodal de réforme, l’inscription de la réforme dans le droit de l’Église, le droit canonique, pour la rendre pérenne. Autour de ce postulat rédigé comme tel par le Vatican : « Une Église constitutivement synodale est appelée à articuler le droit de tous à participer à la vie et à la mission de l’Église en vertu de leur baptême avec le service de l’autorité et l’exercice de la responsabilité. » Les laïcs avaient des devoirs dans l’Église, ils ont maintenant des « droits ». François, jésuite, portait cette révolution du pouvoir dans l’Église bien avant d’avoir été élu pape. Ce serait sa grande réforme. Si elle aboutit.

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