Le document emploie à de nombreuses reprises le terme d'«Église synodale». Que recouvre cette expression?
Le synode est une vieille institution de l'Église qui remonte à la fin du IIe siècle. Dans sa longue histoire, le mot est d'ailleurs associé indistinctement avec celui de concile. Il nous dit la capacité de l'Église à discuter des questions de doctrine, de gouvernance, de liturgie, etc. Ce qui est naturellement une bonne chose. Il existe différents types de synodes: provinciaux, nationaux jusqu'au concile œcuménique qui possède une dimension universelle. La méthode globale qui a permis l'élaboration de l'«instrument de travail» pour le synode à l'automne prochain relève d'une démarche universelle. Pour cette raison, des commentateurs le considèrent comme une sorte de concile Vatican III qui ne dit pas son nom.
Chaque baptisé peut avoir son mot à dire. Ce schéma bouleverse la conception d'une Église pyramidale, déjà remise en cause partiellement au cours Concile Vatican II.
Christophe Dickès
Mais dans le cas présent, on ne parle pas de synode mais d'Église synodale: dans le fameux document de travail, l'expression Église catholique est utilisée onze fois tandis que celle d'Église synodale apparaît près de cent fois! Tout un paragraphe explique les traits caractéristiques de l'Église synodale qui repose sur une vision globale de l'Église, en tant que «peuple de Dieu». Dit plus simplement, chaque baptisé peut avoir son mot à dire. Ce schéma bouleverse la conception d'une Église pyramidale - celle de la réforme grégorienne du XIe siècle distinguant laïcs et clercs - déjà remise en cause partiellement au cours du concile Vatican II.
Comme le mot «aggiornamento» dans les années 1960, «Église synodale» apparaît comme une sorte de mot-valise. On comprend cependant que tout peut être discuté au tamis de cette Église synodale, même les structures de pouvoirs qui trouvent leurs racines dans le Nouveau Testament. Ce que le document appelle «La conversation dans l'Esprit». Le paradoxe de l'expression «Église synodale» est qu'elle est auto-référentielle. Dit plus trivialement, l'Église synodale annonce des réunions permanentes sur de multiples sujets dont on peine à trouver un semblant d'unité.
Comment peut-on concevoir une Église qui soit à la fois synodale, et hiérarchique? Une Église plus synodale ne fait-elle pas nécessairement disparaître sa hiérarchie?
C'est là où il y a une véritable rupture avec le concile Vatican II lui-même. Alors que les structures de pouvoir dans l'Église n'ont pas été remises en cause par le Concile, l'«Instrument de travail» donne la nette impression de vouloir le faire. Je pense entre autres à la question: «Comment pouvons-nous mieux comprendre et articuler la relation entre l'Église synodale et le ministère de l'évêque?». Je me demande ce que cela signifie. L'Église synodale sera-t-elle supérieure à l'évêque? L'évêque pourra-t-il être pris à partie dans le cadre d'une Église synodale?
Tout donne l'impression qu'au nom de l'Église synodale, tout sera permis. L'église synodale deviendrait une forme d'abstraction que chacun pourra évoquer pour faire valoir ses revendications.
Christophe Dickès
L'autre rupture avec le concile Vatican II est la fin du concile des évêques à proprement parler puisque désormais ils ne seront plus seuls à décider. Or, les évêques ont toujours été la cheville ouvrière des synodes et des conciles à travers l'histoire. Tout donne l'impression qu'au nom de l'Église synodale, tout sera permis. L'Église synodale deviendrait une forme d'abstraction que chacun pourra évoquer pour faire valoir ses revendications: une sorte de création continue. Le cardinal Hollerich a résumé la chose en parlant d'une Église «en marche», qui semble faire abstraction de ce en quoi l'Église croit et ne croit pas.
Ce document vise notamment à «lutter contre le cléricalisme», pour lutter notamment contre les abus sexuels dans l'Église. Pensez-vous qu'une place plus importante donnée aux fidèles peut être un moyen efficace de lutter contre ces abus?
Le rapport de la CIASE a révélé que plus d'un tiers des agressions sexuelles dans l'Église était le fait de laïcs. J'ajoute qu'il suffit de regarder le rôle de certains laïcs - femmes comprises - au sein des paroisses pour se rendre compte qu'un cléricalisme peut en chasser un autre. La fiction du regretté Jean Mercier, Mon curé fait sa crise, montre cela très bien. Croire que les logiques de pouvoir au sein des structures de l'Église vont disparaître par le simple fait qu'on nommera des laïcs est d'une naïveté qui ferait sourire Pascal.
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Permettez-moi cette remarque: dans les faits, l'Église - et les évêques en particulier - a davantage besoin de compétences, ceci dans une logique de service et non de pouvoir. Elles existent d'ailleurs déjà dans bien des cas. L'Église a aussi besoin de saints. Benoît XVI a très bien dit que les réformes structurelles ne changeront rien à l'Église sans un appel à la sainteté. Or, on ne fait pas des saints sur des réformes structurelles mais en prônant un idéal. Cela ne signifie pas que des réformes ne doivent pas être entreprises. Les évêques doivent assumer leur responsabilité, chose qu'ils n'ont pas faite pendant des décennies en oubliant qu'il n'y a pas de charité sans justice.
Les abus sont-ils la seule raison qui pousse aujourd'hui une partie des catholiques à se positionner en faveur d'une Église plus «horizontale»? Comment expliquer cette volonté?
Il me semble que cette horizontalité est défendue par une minorité progressiste avec un agenda idéologique qui veut aller bien au-delà du concile Vatican II. Cette minorité estime que le concile Vatican II est une rupture avec le passé, alors que les pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI ont clairement établi le contraire. Je parle de minorité parce qu'il existe un monde entre ces gens et le catholicisme africain, asiatique ou des composantes de l'Église américaine. L'Europe, quant à elle, est plus hétérogène. Quoi qu'il en soit, une minorité remet sur la table des sujets auxquels pourtant le pape François a apporté une réponse: que l'on songe à l'ordination d'hommes mariés, au diaconat féminin qui - contrairement à l'idée reçue - n'est pas attesté clairement dans l'histoire de l'Église, ou encore à la question de l'homosexualité.
En quoi le synode est révélateur du pontificat du pape François?
Nous verrons bien ce qu'il donnera. L'«Instrument de travail» est, comme son nom l'indique, un… instrument. Il n'est pas dit que tout sera pris en compte. Néanmoins, dans le cas de l'Église allemande, Jean-Marie Guénois a bien montré que le pape François a été comme «dépassé par la créature qu'il avait créée lui-même» en le laissant travailler pour finalement en critiquer ses options protestantes. Je crains que le synode d'octobre emprunte le même chemin: en d'autres termes, la montagne va-t-elle accoucher d'une souris? Va-t-elle au contraire susciter des confusions voire plus? Les inquiétudes sont réelles et ne doivent pas être sous-estimées. Dans ce dernier cas, il sera du devoir du pape de garantir l'unité de l'Église en évitant les séparations.
Commentaires
"Les pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI ont clairement établi que le Concile n'est pas une rupture avec le passé" ? C'est complètement faux, non seulement dans le domaine du dialogue interconfessionnel oecuméniste, mais aussi et surtout dans celui du dialogue interreligieux inclusiviste. C'est même faux au point d'être "hénaurme".
Par ailleurs,
- la question de la rupture avec le passé est une chose, car on pourrait aussi bien dire que le Concile n'est pas en rupture avec les philosophies et les théologies qui sont antérieures à lui et inspiratrices de ses documents les plus novateurs,
et
- la question de la rupture avec la conception scolastico-tridentine du christianisme catholique est une autre chose, et là le moins que l'on puisse dire est que le Concile Vatican II a légitimé et réalisé une rupture absolument fondamentale, notamment et surtout ad extra.
Écrit par : Benoît YZERN | 05/07/2023