La nomination de Fernández réfute une fois pour toutes la fable de la continuité entre les pontificats (06/07/2023)
De Matteo Matzuzzi sur Il Foglio via Il Sismografo :
Vatican : Doctrine liquide, Ratzinger à nouveau enterré
5 juillet 2023
La nomination du nouveau préfet du Saint-Office, le créatif Fernández, clôt l'ère de la lutte contre le relativisme incarnée par Benoît XVI. Le mythe de la continuité entre les pontificats tombe. Enfin.
Rome. Samedi matin, à midi, le bulletin du Bureau de presse du Vatican a rendu compte de ce qui est, selon toute probabilité, la nomination la plus importante du pontificat bergoglien : le pape a choisi comme nouveau préfet du dicastère pour la doctrine de la foi l'archevêque argentin Víctor Manuel Fernández, connu sous le nom de "Tucho", titulaire du diocèse de La Plata.
Il y a quelques années, au début de son pontificat, Fernández était l'une des étoiles qui brillaient au firmament : il s'agissait de la première nomination épiscopale du pontife nouvellement élu, qui guérissait ce qu'il considérait des années auparavant comme un manque de respect personnel (envers lui et envers Fernández) : le Vatican avait en effet rejeté la nomination du théologien au poste de recteur de l'Université catholique d'Argentine, avant de céder en 2009 : c'est toujours le cardinal primat du grand pays d'Amérique du Sud qui l'a proposé. La raison ? Il n'avait pas les qualifications requises et, certes, les publications scrupuleusement énumérées dans le communiqué publié par le Bureau de presse du Vatican aident un peu à comprendre les raisons de ce refus. (...)
La théologie de Fernández n'est pas faible, ont commenté des théologiens renommés de l'époque avec un programme complet, elle n'est tout simplement pas là. De l'eau de rose, dirait-on sans ambages : peu de pensées bonnes à accompagner les fidèles étourdis à la recherche de quelque chose : le baiser, en fait, la tendresse, le bonheur. En réalité, Fernández n'a jamais été un naïf : à Aparecida, lors de la fameuse Conférence de l'épiscopat américain dont le cardinal Bergoglio était le protagoniste (il était le secrétaire de l'assemblée), en 2007, il a contribué de manière substantielle à la rédaction du texte final. Il a été l'un des protagonistes "cachés" du Synode sur la famille en 2014-15, ouvertement ouvert à aller même au-delà de la médiation finale sur la réunion des divorcés remariés, c'est sa main qui a rédigé Amoris laetitia, mais surtout c'est sa plume qui a couché sur le papier le grand programme du pontificat : Evangelii gaudium.
La presse le décrivait comme le conseiller théologique de référence du pape et l'on prédisait qu'il serait appelé au Saint-Office dès que le mandat de Gerhard Ludwig Müller prendrait fin (ou serait résilié). Il n'en a pas été ainsi, car en 2017 le choix s'est porté sur le jésuite Luis Francisco Ladaria, secrétaire sortant au profil modéré - mais, contrairement à son prédécesseur - moins médiatique et très économe en propos publics, interviews et publications, et Fernández a dû se consoler avec le deuxième diocèse le plus important d'Argentine, La Plata, où il est allé prendre la place de Mgr Héctor Rubén Aguer, grand adversaire de Bergoglio à l'époque où tous deux faisaient partie de la Conférence épiscopale du pays sud-américain.
En effet, Joseph Ratzinger vivait encore à Rome et la nomination d'une personnalité comme Fernández aurait peut-être été de trop pour le vieil émérite qui restait dans les jardins du Vatican. Après la mort de Benoît XVI, les scrupules et les délicatesses à l'égard de son sage grand-père sont tombés - légitimement, bien sûr - et la nomination du théologien argentin, qui entrera en fonction à la mi-septembre, peut maintenant être faite.
Il ne s'agit pas d'une nomination comme les autres, même si la nouvelle constitution apostolique Praedicate evangelium a rendu le rôle de l'ancien Suprême moins pertinent, ne serait-ce que formellement. Il s'agit d'une nomination qui marque la fin d'une très longue ère, marquée par la présence de Joseph Ratzinger. La grande revue catholique Tablet a raison de qualifier l'événement de "tremblement de terre". Depuis 1981, le Préfet était le détenteur incontesté de l'orthodoxie catholique en tant que préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, puis pape de 2005 à 2013. Et même après sa démission, François s'est d'abord assuré la collaboration de Müller, puis - lorsqu'il a décidé de ne pas renouveler le mandat du cardinal allemand en 2017 - du jésuite espagnol Ladaria, que Benoît XVI avait nommé secrétaire de la congrégation.
Maintenant, le tournant est clair et décisif, comme l'indique la lettre que François a écrite au nouveau préfet, publiée par le Bureau de presse du Vatican : "Sachez que l'Église "a besoin de grandir dans l'interprétation de la Parole révélée et dans la compréhension de la vérité", sans que cela implique l'imposition d'une seule façon de l'exprimer. En effet, "les différentes lignes de pensée philosophique, théologique et pastorale, si elles se laissent harmoniser par l'Esprit dans le respect et l'amour, peuvent aussi faire grandir l'Église". Cette croissance harmonieuse préservera la doctrine chrétienne plus efficacement que n'importe quel mécanisme de contrôle". Voilà pour la condamnation du relativisme.
"Combien de vents de doctrine avons-nous connus au cours de ces dernières décennies, combien de courants idéologiques, combien de modes de pensée... La petite barque de la pensée de nombreux chrétiens n'a pas manqué d'être agitée par ces vagues - ballottée d'un extrême à l'autre", déclarait Ratzinger en 2005, prêchant aux cardinaux qui s'apprêtaient à entrer en conclave. Aujourd'hui, dix-huit ans plus tard, le pape affirme le contraire : bienvenue à toutes les "différentes lignes de pensée" qui respirent dans l'orbe catholique, car "elles peuvent faire grandir l'Église". Finis les censures, les condamnations et les blâmes : "Le dicastère que vous présidez est allé jusqu'à utiliser des méthodes immorales en d'autres temps. Il s'agissait d'époques où, au lieu de promouvoir la connaissance théologique, on poursuivait d'éventuelles erreurs doctrinales". "Ce que j'attends de vous est sans aucun doute quelque chose de très différent", écrit François, faisant ainsi un pied de nez à tous les titulaires du Saint-Office qui ont précédé Mgr Fernández.
Cela risque de provoquer un certain embarras non seulement au sein de la curie, mais aussi dans les rangs des grands universitaires catholiques contemporains, qui ont grandi avec Ratzinger et se sont abreuvés à son contact. Qu'en pensera le cardinal Christoph Schönborn, défini il y a quelques années par le souverain pontife comme le meilleur théologien du marché, mais qui a été le plus proche collaborateur de celui qui allait devenir Benoît XVI dans les années où le nouveau catéchisme était en cours d'élaboration, pour n'en citer qu'un ?
Les idées du nouveau préfet sont claires depuis un certain temps. Il y a quelques mois encore, dans une homélie prononcée dans sa cathédrale, il déclarait que "pendant de nombreux siècles, l'Église a développé, sans le vouloir, toute une philosophie et une morale pleines de classifications, pour classer les gens... Celui-ci peut recevoir la communion, celui-là peut recevoir l'eau, celui-ci peut recevoir la communion, celui-là ne le peut pas.... Celui-ci peut être pardonné, celui-là ne le peut pas. C'est terrible que cela se soit produit."
Dans le communiqué annonçant son appel à la curie - qui pour lui pourrait être supprimée, puisqu'il a dit il y a des années que les dicastères pourraient être répartis sur les différents continents - il a dit qu'il devrait maintenant s'occuper de "favoriser la réflexion sur la foi, l'approfondissement de la théologie, promouvoir une pensée qui sache dialoguer avec ce que vivent les gens, favoriser une pensée chrétienne libre, créative et profonde". Théologie pure et liquide, triomphe du relativisme.
Qu'on le veuille ou non, c'est ainsi. Certes, et enfin, la nomination de Fernández avec le paquet de dispositions que le pape lui a donné, réfute une fois pour toutes la fable de la continuité entre les pontificats ; une fable érigée en dogme pour éviter - a-t-on dit et pensé - les scissions, les luttes intestines et la désorientation dans le Peuple de Dieu. On a dit que François n'était pas Benoît, bien sûr, mais que la ligne était la même et que ce n'était qu'une question de caractère et de tempérament différents. La réalité, qui était évidente une minute après l'apparition de Jorge Mario Bergoglio à la loggia centrale de la basilique vaticane, devient maintenant évidente. Il ne s'agit pas d'un drame ou d'un crime de lèse-majesté, cela s'est déjà produit d'innombrables fois dans l'histoire de l'Église, sans cataclysmes ultérieurs. Mais l'évidence est là et doit être soulignée.
La très longue saison qui a vu Ratzinger façonner la théologie de l'Église catholique s'achève, un parcours commencé en 1981 et poursuivi bien après sa démission en 2013. Universités, documents, forma mentis. Même ceux qui n'aimaient pas le théologien bavarois et son approche ont été obligés de s'y faire. Ce ne sera plus le cas, du moins dans ce court laps de temps. Le tournant "révolutionnaire" que tant d'observateurs avaient prophétisé il y a dix ans, François a décidé de l'amorcer maintenant qu'il est âgé et physiquement affaibli. Il a choisi de marquer un tournant dans l'acte final - court ou long - de son pontificat. Il est certain qu'un autre processus a été enclenché, que le bateau a été mis à l'eau et qu'il navigue vers le large. Il faudra du temps pour en comprendre le parcours et la destination.
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Commentaires
La nomination de Mgr Fernandez est une catastrophe : il va conduire depuis le Vatican la pastorale qui aboutit à faire fuir les fidèles hors des églises dès lors qu'ils souhaitent se référer à la foi catholique. Seule consolation : Mgr Fernandez est expert dans l'art du baiser (si l'on en croit le titre d'un de ses livres : "Saname con tu boca. El arte del besar” (Guéris-moi avec ta bouche : l'art du baiser). On n'a pas fini de se bisouiller partout et en tout temps dans la nouvelle Eglise qui se met en place !
Écrit par : Denis CROUAN | 06/07/2023
Ne pas s'inquiéter. S'il voulait toucher à la doctrine de la foi... couic, il partirait AUSSITÔT pour l'autre monde.
Il faut vraiment rester paisible à cause de cela : "Matthieu 16, 18 Eh bien ! moi je te dis : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les Portes de l'Hadès ne tiendront pas contre elle."
Écrit par : Arnaud Dumouch | 06/07/2023
Cette parole est consolante, c'est vrai.
Mais il faut en dire de même d'abord du Christ.
Or, le Christ n'a pas vaincu l'hades sans passer par la passion et la mort.
Et, selon le catéchisme, l'Eglise doit le suivre en celles-ci avant d'entrer elle aussi dans la gloire.
Nous y entrons résolument semble-t-il.
Écrit par : Manu | 07/07/2023
Je suis bien d'accordérance ! Dans l'histoire, malgré les écarts catastrophiques de quelques papes et prédécesseurs, l'Eglise catholique a survécu à tous les régimes et les hérésies protestantes et autres, comme l'"arianisme" triomphant jusqu'au sein du Vatican.
Soyons optimistes et joyeux: le relativisme mondain n'aura qu'un temps et malheur à ceux qui l'aurons propagé par manque de discerneavec la réponse de Manu au commentaire de Monsieur Arnaud DUMOUCH. Ne perdons pas l'espérance. C'est une vertu théologale à vivre en ces jours pénibles où l'on voit le Corps mystique de Jésus - qui est l'Eglise - affronter une agonie bel et bien annoncée sous les coups qui lui viennent de toutes parts. Cette nomination de Mgr. Fernandez semble bien un véritable coup de poing dans la figure de la défunte
Congrégation pour la Défense de la Foi , devenue un dicastère parmi d'autres... La Foi tout comme la morale traditionnelles vont en prendre un coup, c'est certain. Mais cette agonie , même si elle devait aboutir à une mort semblable à celle de Jésus ,sera suivie d'une Résurrection glorieuse . Du temps de Jésus, même les Apôtres apeurés n'y croyaient pas. Ainsi, Jésus se servit d'une pécheresse publique et convertie, Marie de Magdala , pour leur annoncer cette fantastique victoire sur la mort. Il en fit "l'apôtre des apôtres "...Ainsi, quand tout semblera perdu, Jésus lui rendra vie, honneur et une gloire plus grande que jamais !
Gardons l'espment ou par souci d'adapter l'EGLISE aux normes très instables du "monde" . St Jean nous a avertis que les disciples de Jésus ne pourront jamais "pactiser" avec l'esprit du monde ! Ayons grande confiance: CHRISTUS REGNAT ! Il a formellement déclaré qu'Il n'abandonnera jamais Son Eglise.
ALLELUIA ! CHRISTUS REGNAT ! CHRISTUS IMPERAT !
Qui vivra verra !
Écrit par : Guy ELIAT-ELIAT | 26/08/2023