Quand le Saint Sépulcre livre ses derniers secrets (20/07/2023)
Lu sur le site du Point :
Le Saint-Sépulcre livre ses derniers secrets
EXCLUSIF. La directrice des fouilles archéologiques réalisées au Saint-Sépulcre revient sur les découvertes qu’elle a faites à Jérusalem en juin dernier.
Propos recueillis par Baudouin Eschapasse
17 juillet 2023
Professeure d'archéologie à l'université La Sapienza de Rome, Francesca Romana Stasolla multiplie les fouilles depuis 30 ans. La majorité de ses 150 articles a porté sur l'histoire médiévale de la chrétienté. Elle conduit depuis quatre ans un important travail sur la basilique du Saint-Sépulcre à Jérusalem et vient de mettre au jour des éléments qui nous permettent de mieux savoir à quoi ressemblait ce haut lieu spirituel à la fin de l'Antiquité. Entretien.
Le Point : Vous avez coordonné des travaux de recherche dans la basilique du Saint-Sépulcre jusqu'à la fin juin. À cette occasion, strate après strate, vous avez pu remonter le temps jusqu'à la fin du IVe siècle. Qu'est-ce qui vous a le plus surpris dans les découvertes que vous avez faites ?
Francesca Romana Stasolla : Certainement les éléments architecturaux qui témoignent de la construction sur place d'un monumental édicule [qui enserrait le lieu que la tradition chrétienne considère comme le tombeau où a été inhumé le Christ après sa crucifixion, NDLR]. En tant qu'archéologue, je suis toujours frappée par le contexte et la possibilité d'interpréter un artefact en fonction de son intégration à un environnement, corroboré par des éléments textuels et des données historiques. Ce n'est que grâce à cette méthode que des objets archéologiques peuvent acquérir un véritable sens.Quelles sources écrites corroborent justement la description de l'édifice dont vous avez retrouvé les fondations ?
Les sources écrites sont nombreuses, y compris à une époque très reculée, contemporaine de la fondation constantinienne du bâtiment [la tradition rapporte que c'est l'empereur Constantin qui en a ordonné la construction au IVe siècle, NDLR]. Le témoignage d'Eusèbe Pamphile, né vers 265 et mort le 30 mai 339, nous est précieux. Cet évêque de Césarée a en effet écrit un livre sur la vie de Constantin où il décrit les pèlerinages à Jérusalem. Dans ses textes, il dépeint aussi le complexe liturgique paléochrétien. Un autre écrit important est celui d'Egeria (Itinerarium Egeriae), un document de la fin du IVe siècle où son autrice raconte son propre voyage à Jérusalem pour voir le tombeau du Christ.
Quand avez-vous commencé vos recherches sur le Saint-Sépulcre ?
Le projet a commencé en 2019. Pendant la période du Covid, nous avons préparé la campagne de fouilles actuelles et rassemblé une grande base documentaire recensant toutes les données portant sur ce lieu et listant tous les objets qui y avaient été découverts. Les excavations ont, quant à elles, commencé en mai 2022.
Jusqu'à quelle profondeur avez-vous creusé et quelle superficie avez-vous explorée ?
La profondeur creusée a varié selon les zones. Elle a oscillé entre quelques centimètres pour les zones construites à flanc de rocher et près de six mètres pour les structures les plus basses. Nous avons travaillé très prudemment, avec l'aide d'ingénieurs-structure qui nous ont dit jusqu'où nous pouvions aller sans fragiliser le bâti. Mais nous n'avons, pour l'heure, exploré que 50 % de la superficie prévue [1 000 m2 ont été fouillés à ce jour, NDLR].
Vous avez donc identifié les traces de plusieurs constructions paléochrétiennes, y compris celles d'un maître-autel dans le tombeau où le Christ aurait été déposé. Ces découvertes laissent entendre que des offices religieux se sont tenus là dès le IVe siècle. S'agit-il du plus ancien lieu de pèlerinage chrétien de Jérusalem ?
Certainement. Le lieu a très tôt été révéré comme étant la tombe du Christ. C'est indéniablement l'un des plus anciens lieux de pèlerinage chrétien de Jérusalem. Ce que nous confirment d'ailleurs les sources écrites que j'évoquais tout à l'heure.
Des inscriptions en latin, arménien et grec ont été relevées par vos équipes. Avez-vous aussi identifié des mentions en hébreu, en araméen ou, pour une période plus récente, en arabe ?
Le matériel archéologique que nous avons remonté est immense. Et la recherche de graffitis ne fait que commencer. Cette quête sera longue. Nous allons procéder méticuleusement et avec une grande patience. L'étude de certains artefacts nous réserve sûrement des surprises.
Deux briques ont, en tout cas, été retrouvées avec l'inscription « Legio X Fretensis ». Comment interprétez-vous cette découverte ?
Les éléments faisant référence à cette légion [qui pourrait désigner la dixième légion de l'armée romaine qui occupait la région à l'époque du Christ, NDLR] ont été retrouvés dans des couches stratigraphiques qui ne correspondent pas à l'époque où ces troupes étaient présentes sur place. Il s'agit donc probablement d'un réemploi. Cependant, cette découverte est significative car elle s'ajoute à d'autres qui ont été déjà faites à Jérusalem.
Quelles sont ces découvertes antérieures ? Dans les années 1960, Virgilio Corbo avait déjà fouillé les lieux. Qu'y avait-il trouvé ?
Le travail du Frère Virgilio Corbo a été fondamental. Il a été conduit à l'époque sous l'autorité de l'administration jordanienne [qui contrôlait la vieille ville avant 1967, NDLR]. Au cours de ses fouilles ont été mises au jour des séries de structures qui ont permis de dessiner le premier plan du bâtiment paléochrétien construit sur place au IVe siècle. C'est grâce à lui qu'a pu être reconstruit l'édicule constantinien que nous pouvons voir aujourd'hui. Ce travail de restitution a été fait sur la base des données qu'il avait collectées et synthétisées.
Un trésor monétaire a, par ailleurs, été découvert sur place. Pouvez-vous nous le décrire ?
Nous avons découvert 19 pièces de monnaie enterrées sous le sol de la rotonde. Ces monnaies sont en cours de restauration et d'analyse. Les plus récentes datent du règne de l'empereur Valens (né vers 328 et mort en 378), dont on sait qu'il a accédé au trône dans le dernier tiers du IVe siècle. Les dépôts monétaires étaient communs à cette époque à la fin d'un grand chantier. Ils répondent à un rituel très ancien qui vise à placer le bâtiment qui sort de terre sous les meilleurs auspices. Cette pratique se retrouve dans de nombreux complexes chrétiens.
Les éléments que vous avez découverts accréditent-ils l'idée que le Saint-Sépulcre a été édifié sur le mont Golgotha où la tradition chrétienne situe l'épisode de la crucifixion ?
Nos fouilles n'ont pas encore exploré l'emplacement précis qui correspond au Golgotha [l'édicule fouillé occupe la place du tombeau, NDLR]. Mais il est certain qu'une tradition forte localise le Golgotha à côté de l'emplacement où nous avons travaillé. Et ce depuis le IVe siècle.
Le Saint-Sépulcre a subi bien des outrages au fil des siècles. Le sanctuaire a été vandalisé, incendié et pillé à plusieurs reprises. Avez-vous retrouvé des traces de ces attaques ?
Bien sûr ! Nous avons identifié des traces de feu qui correspondent exactement à des épisodes rapportés par les sources écrites. Nous avons aussi retrouvé des traces de prélèvement de matériaux du sol ou d'éléments décoratifs qui pourraient coïncider avec certains de ces événements. Mais nous devons poursuivre nos analyses en laboratoire pour en avoir confirmation.
Vous êtes membre de l'Académie romaine pontificale d'archéologie, quels autres sites chrétiens avez-vous fouillés ?
Je ne compte plus les églises, les complexes épiscopaux, les martyriums et les monastères que j'ai explorés depuis la fin de mes études. La plupart de ces édifices religieux sont en Italie. C'est ainsi qu'en Ombrie, je me suis intéressée aux églises San Pietro et San Salvatore à Spolète. En Toscane, j'ai fouillé le sanctuaire de San Reparata à Lucca. En Campanie, le complexe funéraire de Cimitile. En Sardaigne, le siège épiscopal de Cornus et Porto Torres, mais aussi le monastère de Saccargia. En Émilie-Romagne : l'église de Saint-Jean l'Évangéliste à Ravenne. J'ajouterai, enfin, que pendant plusieurs années, j'ai dirigé les fouilles à Leopoli-Cencelle, une localité du Latium fondée par le pape Léon IX, au milieu du IXe siècle.
Qu'y avez-vous trouvé ?
Chaque lieu a des caractéristiques différentes. Mais quand on fouille une église, on travaille sur un lieu où l'histoire est tissée d'une multitude de témoignages et de manifestations de foi qui se sont stratifiées au fil des années. Ces éléments, là aussi, sont des données historiques intéressantes, par-delà les éléments d'origine qui ont conduit à l'édification de ces bâtiments…
Quels sont les lieux les plus anciens que vous ayez explorés en la matière ?
Sans doute un martyrium, antérieur au IVe siècle. Mais aussi quelques églises des premiers temps de la chrétienté. Ces sites sont encore une fois principalement en Italie où ont été préservés des témoignages extraordinaires des premiers temps de la chrétienté européenne. Je suis très heureuse de pouvoir désormais compléter mes recherches et connaissances au Moyen-Orient dans ce qui est le berceau de cette religion.
Quelles ont été les difficultés majeures que vous avez rencontrées lors des fouilles au Saint-Sépulcre ?
Elles tiennent au fait que c'est un lieu de culte toujours actif. Cette basilique accueille des foules de fidèles [un million par an en moyenne, NDLR] ! Lorsque nous fouillions, nous ne devons pas empêcher le passage des pèlerins, ne pas perturber la tenue de la liturgie. Parce que c'est un lieu vivant et qu'il l'est depuis longtemps, cela veut aussi dire qu'il y a eu des modifications continuelles dans sa structure architecturale même. Des changements qui n'ont pas toujours été documentés. C'est un défi pour la recherche scientifique et c'est aussi ce qui rend l'exercice passionnant !
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