Pourquoi le progressisme réussit-il si mal aux religions ? (16/08/2023)

Lu sur Atlantico (avec Michel Maffesoli et Bertrand Vergely)  :

Ces Églises ou religions que l’ouverture à marche forcée à la modernité a… tuées

RÉFORME

Juste avant les Journées mondiales de la jeunesse, le pape a confirmé sa volonté d’inscrire l’Église dans une vision qui ne soit plus conservatrice, mais progressiste et au diapason des évolutions de la société moderne. Cette tentative de réforme est doublement dangereuse pour l’Eglise.

Atlantico : Juste avant les Journées mondiales de la jeunesse, le pape a confirmé sa volonté de réformer l’Église, notamment, dans sa vision qui ne doit plus être conservatrice mais progressiste et au diapason des évolutions de la société moderne ainsi que de transformations voulues comme « irréversibles ». Cet engagement progressiste est-il un progrès ou une dérive pour l’Église ?

Michel Maffesoli : Le pape François est un Jésuite, il a été formé dans cet ordre dont on sait que de tradition il considère que l’Église doit s’accorder au monde et non pas le monde à l’Eglise, ce qui était la conception traditionnelle de l’Eglise depuis les premiers siècles et qui l’a été tout au long des deux millénaires passés. 

Il n’est donc pas étonnant que ce pape cherche à réformer l’Église pour l’adapter à la société, pour qu’elle épouse les valeurs qu’il pense fondamentales de cette société. 

Ceci dit, cette conception n’est pas nouvelle dans l’Eglise. La querelle « du modernisme » a couru tout au long des 19e et 20e siècle. Cependant les réformes envisagées par le pape François et pour lesquelles il met en place une véritable stratégie de pouvoir, comme un politicien qui cherche à se faire réélire (ou faire élire un successeur du même bord que lui) vont plus loin qu’une acceptation du monde profane, comme cela a été le cas pour l’acceptation de la République, par Léon XIII, dans l’encyclique Rerum Novarum (1891) ; il cherche à faire évoluer l’Église pour que celle-ci se conforme aux valeurs modernes : démocratisation, banalisation du statut du clergé, indifférenciation des rôles masculin et féminin etc. 

Cette tentative de réforme est doublement dangereuse pour l’Eglise : d’une part elle parachève le mouvement de sécularisation, de désacralisation qui conduit à la fin de la religion catholique et d’autre part, paradoxalement, cette tentative d’adapter l’Eglise au monde est tout simplement anachronique : de fait le monde actuel ne correspond pas du tout à ce qu’imagine qu’il serait un vieil homme perdu encore dans le climat révolutionnaire et marxiste de sa jeunesse. Les catholiques, dans leur grande majorité cherchent dans l’Eglise une institution qui justement soit une alternative à un modernisme laïciste, politiste et rationaliste. 

Bertrand Vergely : Quand le pape François parle de réformer l’Église en permettant l’ordination des hommes mariés et le diaconat des femmes, il plaît à bon nombre de catholiques en Europe. Quand, dans son encyclique Fratelli Tutti ! Tous Frères ! il parle d’amour universel, de fraternité, d’ouverture à l’autre, de partage, d’action sociale et politique, il dit exactement ce que les medias occidentaux, globalement à gauche, ont envie d’entendreQuand, enfin, il appelle à ouvrir les frontières aux migrants, il dit exactement ce que la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon ainsi que toute une partie de la jeunesse adepte du No Borders, Plus de frontières, a envie d’entendre. Ainsi, dès qu’il parle modernisation, d’ouverture des frontières et d’amour universel, le pape réussit sa communication en étant reconnu comme bon pape parce que de gauche.

Les choses commencent à être plus problématiques quand il invite l’Église à être progressiste et non conservatrice en se mettant au diapason de la société et d’un certain nombre d’évolutions appelées à être irréversibles. Là, ce n’est plus le chrétien qui parle mais le politique, qui reprend mot pour mot le fatalisme progressiste cher à la gauche depuis que celle-ci s’est embourgeoisée sous François Hollande en devenant un vaste rassemblement social-démocrate et libéral. Être en phase avec la société et ses évolutions : ce langage très à la mode plaît bien évidemment. Simplement, on se demande comment l’Église va faire. Si être progressiste consiste à accepter les évolutions irréversibles de notre monde, cela va-t-il signifier pour elle de reconnaître l’avortement, le mariage gay et le suicide dont les partisans souhaitent et ardemment qu’ils deviennent des acquis irréversibles ? Si elle les accepte, l’Église sera progressiste mais pas catholique. Si elle les refuse, elle sera catholique mais pas progressiste.

Depuis longtemps déjà, le catholicisme a décidé d’être une église politique afin de prendre en mains les destinées de l’humanité. Au 19ème siècle, quand la modernité politique avec son idéal révolutionnaire apparaît, un problème d’importance surgit. L’Église apparaissait comme le lieu par excellence du salut du genre humain. Avec la modernité, le socialisme entend devenir la nouvelle expression du salut. Face à la question de savoir comment réagir face à ce nouvel élément, deux réponses sont possibles. Se retrancher dans un traditionalisme résolument antimoderniste ou devenir progressiste en christianisant le progressisme. En choisissant cette deuxième solution, le pape a donné une crédibilité internationale à l’Église catholique, laquelle, ne l’oublions pas, est le plus petit État du monde par la taille et le plus grand par le nombre d’âmes. Mais, cette réussite a un revers. Quand elle se met à parler un langage progressiste, sur un plan politique, l’Église survit. Sur un plan religieux, c’est un désastre, celle-ci se mettant à parler un langage qui n’est plus le sien. Que l’on sache, le Christ est venu annoncer le royaume des cieux et non le socialisme.

Par le passé, d’autres Églises, ou religions, n’ont-elles pas été tentées par une ouverture à la modernité ? Cette ouverture ne s’est-elle pas traduite par leur effondrement notamment en nombre de fidèles ?

Bertrand Vergely : La modernité désigne une attitude esthétique, morale et politique. Esthétiquement, être moderne consiste à opposer la sensibilité à la raison et à son classicisme. Moralement, être moderne consiste à ramener le ciel à la terre en remplaçant Dieu par l’Homme. Enfin, politiquement, être moderne consiste à faire la guerre au conservatisme et à la tradition au nom du progrès. La question de la modernité ne s’est pas posée qu’au 19ème siècle avec l’apparition de ce que l’on a appelé la crise du modernisme dans l’Église. Dès l’humanisme, au 16ème siècle, les dés sont jetés avec cette question : quelle image de Dieu proposer ? Une image humaine ou une divine ? Quand Michel Ange représente la création d’Adam à travers Adam identifié à Apollon et Dieu à Jupiter, la question de la modernité est résolue. L’Église va pouvoir subsister dans un monde de plus en plus irréligieux en acceptant de se plier à ses règles esthétiques. On peut représenter le Christ, mais prière de le représenter sans auréole, comme un grand frère très humain.

Face à cela, la position de l’Église orthodoxe est singulière. Celle-ci a toujours été antimoderniste et elle le demeure. Seulement, étant antimoderniste pour des raisons mystiques et non politiques, quand la modernité explose, elle se retrouve occuper une position étonnamment d’avant-garde. Alors que la culture a perdu ses fondements transcendants et surtout sa pratique mystique en subissant douloureusement cette perte, l’orthodoxie se révèle être la seule religion capable d’apporter une véritable mystique à un monde qui la recherche. Certes, le catholicisme possède de remarquables traditions spirituelles à travers ses monastères. Il n’en reste pas moins que le monachisme qui était le centre de la vie chrétienne par le passé ne l’est plus alors que dans l’orthodoxie, cette position centrale demeure essentielle.

Michel Maffesoli : Le protestantisme a sans doute suivi une voie d’adaptation de l’Eglise au monde assez semblable à ce que tente le pape François. Les principales réformes envisagées, dont la gouvernance démocratique (synodale), l’ordination des femmes, la bénédiction du mariage homosexuel etc. existent déjà dans un grand nombre d’églises protestantes. On connaît la position de Luther par rapport à celle de St Paul, « rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » qui a conduit souvent l’Eglise protestante à suivre les tendances de la société contemporaine » sans ce recul nécessaire à la préservation de sa sacralité. On sait les dégâts que cela a fait durant l’Allemagne nazie, où le soutien des protestants à Hitler a été massif au contraire des catholiques que leur hiérarchie, notamment papale, mais également épiscopale a un peu préservés de ces errances « modernistes » !

De manière générale, on constate dans tous les régimes totalitaires qu’il n’y a qu’une position qui préserve les Eglises, c’est celle de la résistance à l’État, celle de l’Eglise confessante allemande pendant la guerre, qui refusa dès le départ toute ingérence du pouvoir (et donc du monde) dans son organisation et qui alla jusqu’à combattre les actes contraires à l’éthique chrétienne du pouvoir. 

L’Eglise n’a pas à plaire au monde, elle n’a pas à présenter un programme qui plaise à des électeurs, elle a à transmettre, de siècle en siècle un message sacré. 

Toute sécularisation, toute politisation et toute adaptation de l’Eglise au monde lui fait perdre son caractère sacré. Le sacré, ne l’oublions pas, est séparé du profane, c’est même ce qui le définit, c’est un monde interdit à l’ingérence profane, qui inspire crainte et tremblement. 

L’Eglise doit parler des forces invisibles, de la manifestation visible de l’invisible et non pas courir après le monde simplement visible.  On a parfois l’impression que le pape François comme la majorité des hommes politiques agit en fonction de ce que lui disent des entreprises de communication, qui sondages et enquêtes à l’appui façonnent un produit chrétien vendable. Or l’Eglise n’est pas un marchand et quand elle fait trop commerce, ainsi des indulgences, elle entre en décadence. 

Pourquoi le progressisme réussit-il si mal aux religions ?

Michel Maffesoli : Le progressisme est une idéologie, l’idéologie du progrès. C’est-à-dire que selon cette idéologie, le monde s’améliore, la condition humaine aussi, l’homme devient plus intelligent, meilleur etc. Le progrès devient ainsi la valeur suprême, qui régit les pensées et les actions. Le progressisme a été l’idéologie dominante de la modernité : il s’agissait de mener le monde vers un mieux-être matériel, technologique, scientifique ; il s’agissait d’expliquer le monde et d’asservir la nature.

Les grands totalitarismes du XXe siècle, Communisme et Nazisme ont été les paradigmes de ce progressisme : construire la société parfaite en exterminant tous ceux qui n’étaient pas des prolétaires ou produire une race d’hommes parfaits en éliminant tous ceux qu’on considérait comme impurs, Juifs, homosexuels, tziganes, handicapés, malades mentaux etc. Cette démiurgie du pouvoir ne pouvait bien sûr pas tolérer un contre-pouvoir d’une quelconque Eglise. 

Mais il faut aussi constater que quand l’Eglise au lieu de parler du monde divin, de l’Au-delà, entend participer à l’érection du paradis sur Terre, elle abandonne rapidement tout lien au sacré, elle se sécularise totalement. Cela a été le lot de nombre de prêtres et religieux progressistes qui ont rapidement « défroqué », comme de beaucoup de prêtres et religieux qui en Amérique latine ont épousé la cause révolutionnaire et qui ont bien vite abouti à la théologie de la mort de Dieu puis à une totale sécularisation. 

Bertrand Vergely : En 1960, l’Église catholique sent qu’il est important de réformer l’Église. Nous sommes à l’époque de la guerre froide. La pression des communistes est forte. Tous les intellectuels ou presque ont quitté le catholicisme pour embrasser l’espérance révolutionnaire.  L’Église qui est menacée sur sa gauche considère qu’elle l’est encore davantage par le traditionalisme. En étant progressiste, elle n’est pas sûre de gagner, mais en devenant conservatrice, elle est sûre de perdre. Pour sortir de cette difficulté, elle pense pouvoir s’en tirer en proposant un retour non pas au traditionalisme mais à la tradition des Pères Grecs et de leur enseignement mystique. La puissance des théologies de la libération venues d’Amérique latine est toutefois telle, que ce n’est pas le retour à la patristique qui triomphe, mais l’ouverture au monde.  Ce qui est une hérésie, le but de la vie mystique étant de s’ouvrir à Dieu et non au monde. On connait la suite. Vatican 2 réforme l’Église en supprimant la messe en latin. Ses partisans se replient sous la houlette de Monseigneur Lefebvre, prêtre intégriste. Le traditionalisme est vaincu, mais le prix de cette victoire est élevé. Avec des chants mièvres, des homélies purement sociales et le défilé à l’autel des enfants et des femmes comme sur une scène de théâtre afin que tout le monde participe, la messe est vidée de sa substance. Infantilisante, elle n’attire plus. On va à l’Église pour participer à une liturgie pas à une animation. Un pasteur protestant pense bien faire en faisant tout son sermon à partir de la bande à Jésus. Un autre triomphe parce qu’il a débaptisé son temple pour l’appeler salle polyvalente. Tandis que le protestantisme se socialise, une frange du catholicisme se protestantise. Dans le même temps, la confusion règne.   On voit apparaître des catholiques qui se disent athées. Une partie de l’Église ne voulant entendre parler que de l’Homme et du monde, Dieu est devenu de trop.

Il y a cinquante ans, la France n’était plus spirituellement chrétienne, mais elle n’était pas athée. En cinquante ans, elle est devenue athée en perdant totalement ses racines chrétiennes. Vatican 2 explique ce recul. Pas uniquement. Il y a aussi une erreur dans la transmission qui a été commise.

Il faut savoir pratiquer ce pourquoi on est fait en respectant son domaine de compétence. Quand une religion se met à parler progressisme, c’est ce qu’elle ne fait pas. Dans la vie sociale et politique, il existe des partis, comme le parti communiste et le parti socialiste qui sont spécialisés dans le progressisme. On veut entendre parler de progrès ? Ces partis s’étant totalement effondrés, qu’on aille au parti communiste et au parti socialiste. On y sera bien reçu. Ils manquent de militants.

Il faut être cohérent. Quand on se tourne vers le Parti communiste et le Parti socialiste, ce n’est pas pour aller y chercher des leçons de théologie. Quand il est question de religion, il serait bon de se tourner vers elle pour y entendre parler de religion et non de progressisme. Malheureusement, ce n’est pas le cas, le critère de la vraie religion n’étant plus la religion mais le progressisme.

A quel point le besoin de religion, à l’heure actuelle, est-il plus mu par une forme de traditionalisme que par des envies de modernité ?

Bertrand Vergely : Quand on est mû par une soif religieuse, on n’est pas mû par un désir de modernité, mais par une soif religieuse. Personne ne se tourne vers la religion pour aller y trouver de la modernité. En revanche, quand le retour à la religion s’opère, la question devenant de savoir vers quelle religion se tourner, il n’est pas rare de voir nombre de convertis se tourner vers une religion traditionaliste. Là au moins, se disent-ils, on croit en Dieu, on prie et on chante bien. Toutefois, le traditionalisme se révélant rigide voire trop rigide, il n’est pas rare que ceux qui l’avaient embrassé se tournent vers une église moins raide comme l’Église catholique actuelle. Cela se comprend. L’Église a    fait de considérables progrès en s’appuyant sur un sens du dialogue et un travail d’encadrement paroissial remarquable de la part de prêtres responsables. Nullement arrogante, modeste au contraire cette église qui n’est ni moderniste ni traditionaliste est sans doute en train de frayer la voie à une religion intelligente. Toutefois, il n’en demeure pas moins vrai que le traditionalisme attire beaucoup de jeunes en leur donnant le sentiment d’une église qui se tient dans un monde où parfois plus rien ne se tient. Un phénomène semblable est perceptible dans le monde musulman. L’islamisme au niveau politico-religieux non seulement attire, mais fascine. Le port du voile pour les femmes, de la barbe et de la djellaba pour les hommes aussi.

Michel Maffesoli : Vous avez tout à fait raison. Actuellement, la situation est très différente de celle de l’après 68. À cette époque, les jeunes catholiques et les jeunes protestants d’ailleurs ont épousé la cause progressiste dans l’Eglise. Témoignage chrétien en était un exemple, plus préoccupé de causes politiques que religieuses. Cette génération de boomers avait d’ailleurs omis de voir que les principaux résistants contre Hitler ou Staline n’étaient pas des chrétiens progressistes, mais au contraire des chrétiens traditionnalistes. Car c’est la tradition, l’ancrage dans ce message transmis de siècle en siècle et qui oppose la puissance du sacré aux pouvoirs profanes, c’est cette tradition qui inscrit l’humanité dans un destin collectif qui dépasse les calculs politiciens des marchands d’indulgences ou de certificats de bonne conduite. 

De fait, les jeunes sont saturés de modernité, de progressisme, de technologie, de scientisme, de rationalisme. Ils aspirent à vivre, expérimenter la sacralité, c’est-à-dire la manifestation du tout autre qu’est le numineux (Rudolf Otto ou Mircea Eliade). 

Dans quelle mesure est-ce la tradition et le respect du dogme qui maintiennent aujourd’hui certaines Eglises attractives (dans un contexte d’hémorragie des croyants) ? A quel point est-ce vrai pour le catholicisme ? 

Bertrand Vergely : Le traditionalisme est une chose, la tradition en est une autre. Alors que le traditionalisme est une mode, la tradition est une expérience initiatique de haute niveau. Dès que l’on embrasse sérieusement une foi religieuse, on rentre dans un monde dans lequel le religieux a été pensé, médité, éclairé par des maîtres dont on a intérêt à suivre les enseignements si on veut pouvoir progresser dans l’expérience de la vie divine. En art, tout artiste, quand il s’ouvre à la création, épouse la tradition de son art. C’est ainsi que, nourri par celle-ci, il progresse. Dans la vie spirituelle et religieuse, il en va de même. Lorsque cet enracinement se produit, le traditionalisme est dissout. La tradition a eu raison de lui. D’où l’erreur de croire que l’on se délivre du conservatisme en supprimant toute idée de conservation et du traditionalisme en supprimant toute idée de tradition. Que tradition et conservation viennent à disparaître ? Le pire des progressismes prenant le pouvoir, on se retrouve, comme lors de la révolution culturelle sous Mao, avec, non plus le progrès, mais sa violence.

La tradition quand elle apparaît crée une vraie attraction. Malheureusement, ce phénomène est rare. Essayez de dire aujourd’hui que la tradition est le stade le plus élevé de la connaissance. Vous allez très vite susciter la colère. Certains de nos philosophes très à la mode et très médiatisés sont applaudis quand ils clament que rien n’est sacré et ne doit l’être. Ce qui vaut pour le sacré est encore plus vrai pour la tradition.

Michel Maffesoli : Le nombre de prêtres ordonnés dans l’Eglise catholique française n’a fait que diminuer depuis les dernières décennies : 120 il y a deux ans, 100 l’an dernier, 88 cette année. En même temps les séminaires des mouvements plus traditionnels, qu’il s’agisse de fraternités schismatiques comme la Fraternité St Pie X ou traditionnalistes non schismatiques comme celle du Christ roi ou celle du Bon Pasteur sont pleins, comme leurs églises lors des messes ou leurs pélerinages et autres cérémonies. Cela paraît de bon sens d’ailleurs, car pourquoi devenir prêtre dans une Église qui ne considère plus que le prêtre appartient à un ordre à part des laïcs ? pourquoi épouser cette vocation si être prêtre n’est guère différent d’être homme politique ou cadre d’entreprise ? et pourquoi aller assister à une messe durant laquelle on vous tiendra le même discours que dans un meeting politique ou dans une conférence de travailleurs sociaux ? 

Quant aux églises protestantes, elles ont toujours été parcourues par deux courants, celui du libéralisme et celui du « piétisme », plus ou moins fondamentaliste. On doit remarquer que c’est la branche libérale qui est entrée sans beaucoup de réticences dans l’Eglise dite des « Deutsche Christe », les chrétiens allemands (ou allemands chrétiens) qui a accepté toutes les réformes y compris celles s’appliquant à l’Église de Hitler alors que l’Eglise confessante  était composée plutôt de traditionnalistes et de piétistes. (Niemöller et Bonhoeffer en sont de bons exemples). De même l’évêque (devenu cardinal en 1946) Von Galen, grande figure de la résistance à Hitler n’était pas un progressiste. Pour s’opposer au totalitarisme d’État, il est nécessaire de s’ancrer sur la tradition de l’Eglise, celle de ses martyrs et de ses saints. 

N’oublions pas ce qu’était la vieille tradition, dans la perspective de Joseph de Maistre, selon laquelle c’est la tradition qui assurait la mémoire immémoriale de l’humanité. Ce que nous devons aux ancêtres, « anciens et êtres ». C’est ce que le catholicisme traditionnel a appelé depuis St Ambroise (4e siècle) « la communion des saints » ou encore, ce qui est important dans la tradition de l’Église, le corps mystique de l’Église. Ce qui n’a rien à voir avec un ajustement à ce monde-ci, mais qui pense toujours en fonction de l’être-là (le dasein) propre à l’intemporalité, ce que j’ai appelé « la transcendance immanente », autre manière de dire le mystère de l’incarnation. 

Les grands dogmes des églises chrétiennes sont ceux qui définissent leur sacralité. C’est-à-dire qui font bien la différence entre les deux mondes, le monde sacré et le monde profane. Il y a au fondement du sacré la transcendance. Dieu n’est pas un homme comme les autres, pour les chrétiens, Jésus n’est pas un homme comme les autres, il n’est ni Che Guevara, ni Fidel Castro, il est Dieu, incarné, né d’une femme Marie, mais d’une immaculée conception. 

Et dès lors les règles qui s’appliquent au culte, au service de Dieu, les règles ecclésiales doivent respecter ces dogmes, cette transcendance, cette séparation du sacré et du profane. Au risque sinon de sombrer dans un sécularisme politiste, une banalisation moderniste qui n’attirera plus grand monde, en tout cas inintéressant pour les jeunes générations. Dont la nostalgie du sacré  est patente. 

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