Confidences pontificales... vous en reprendrez bien un peu ? (17/10/2023)

Sur Telam International, une nouvelle et ixième interview pontificale... 

François : "La guerre est le grand ennemi du dialogue universel".

Par Bernarda Llorente

16-10-2023

Ce sont des jours agités au Vatican, comme presque toutes les dix dernières années d'une papauté qui a réveillé des structures dormantes pour les mettre en mouvement au rythme que ces temps exigent. Ses réponses et ses initiatives abordent non seulement la complexité d'un monde en mouvement avec ou sans boussole, mais aussi les actions nécessaires pour surmonter une crise de civilisation qui nous permette d'améliorer le présent et de construire un autre avenir.

Dans le Synode qui se déroule ces jours-ci - un espace d'écoute et de réflexion au sein de l'Église - le Pape François fait appel "au regard de Jésus, qui bénit et accueille, pour ne pas tomber dans certaines tentations : être une Église rigide, qui se protège du monde et regarde vers le passé ; être une Église tiède, qui se soumet aux modes du monde ; être une Église fatiguée, refermée sur elle-même".

Cet après-midi de fin septembre, la vie m'a donné l'occasion d'interviewer une fois de plus le leader religieux, social et éthique le plus transcendant de la planète. Santa Marta est le cadre d'une conversation au cours de laquelle il analyse les avertissements, les solutions et les réflexions à partir de sa perspective universelle, accueillante et transformatrice.

À mi-parcours, François a souligné : "Je ne pense pas que le dialogue puisse être seulement nationaliste, il doit être universel, surtout aujourd'hui, avec toutes les facilités dont nous disposons pour communiquer. C'est pourquoi je parle de dialogue universel, d'harmonie universelle, de rencontre universelle. Et bien sûr, l'ennemi de tout cela, c'est la guerre. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu'à aujourd'hui, il y a eu des guerres partout. "C'est ce qui m'a amené à dire que nous vivons une guerre mondiale par morceaux.

Ses propos auraient dû interpeller encore plus fortement la conscience mondiale dans les heures qui ont suivi la matinée du samedi 7 octobre, lorsque la violence entre Israël et la Palestine a connu une escalade inhabituelle.

Le dimanche 8 octobre, à la fin de la prière de l'Angélus, il a exprimé sa douleur face à l'aggravation de la guerre qui ravage la Terre Sainte : "J'exprime ma proximité aux familles des victimes, je prie pour elles et pour tous ceux qui vivent des heures de terreur et d'angoisse. Que les attaques et les armes cessent, s'il vous plaît ! et que l'on comprenne que le terrorisme et la guerre ne mènent à aucune solution, mais seulement à la mort et à la souffrance de tant d'innocents".

A peine 72 heures plus tard, lors de l'audience hebdomadaire du 11, il a réitéré son appel à la paix. "Le terrorisme et l'extrémisme ne contribuent pas à trouver une solution au conflit entre Israéliens et Palestiniens, mais alimentent la haine, la violence et la vengeance, et font souffrir les deux peuples.

Et lors de l'Angélus du dimanche 15, le souverain pontife a réitéré son appel à la paix et imploré le respect du droit humanitaire "en particulier à Gaza, où il est urgent et nécessaire de garantir des cordons humanitaires et de venir en aide à l'ensemble de la population".

"Les guerres sont toujours une défaite", a insisté le pape pèlerin qui, en cette fin d'après-midi de septembre à Santa Marta, à l'âge de 86 ans, a illuminé son visage d'enthousiasme en racontant les destinations du monde inscrites à son agenda d'infatigable berger pour marcher, une fois de plus, ensemble vers un avenir d'espérance.

- Francisco, vous reste-t-il des voyages importants ?

Oui, l'Argentine (rires).

- Bien sûr.

J'aimerais aller...

En ce qui concerne les voyages plus lointains, il me reste la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Mais quelqu'un m'a dit que puisque j'allais en Argentine, je devrais faire une escale dans la ville de Río Gallegos, puis le pôle Sud, débarquer à Melbourne et visiter la Nouvelle-Zélande et l'Australie. Ce serait un peu long.

- Comment planifiez-vous vos voyages ? Comment choisissez-vous vos destinations ?

- Nous recevons beaucoup d'invitations, il y a toute une liste de voyages possibles et certains s'imposent d'eux-mêmes, par exemple celui en Mongolie. D'autres sont plus planifiés, au sein de l'Europe, comme le voyage en Hongrie. Cela dépend de chaque cas. Il y a toujours une invitation et puis il y a l'intuition du moment. Ce n'est pas automatique, chaque décision est originale et unique.

- Vos visites montrent généralement un objectif, des thèmes majeurs à mettre en avant et une grande proximité avec les gens, ce qui est cohérent avec votre idée que les transformations nécessitent l'engagement des plus puissants, mais aussi des individus. Quand on voit l'expansion des forces d'extrême droite, une certaine frustration ou déception à l'égard de la politique ou un vote qui les exprime, pensez-vous que ces crises sont passagères ou durables ? Que peut-on faire pour les inverser ?

- J'aime le mot crise parce qu'il a un mouvement interne. Mais on ne peut sortir d'une crise que par le haut, on ne peut pas en sortir en essuyant les plâtres. On peut en sortir par le haut, mais on ne peut pas en sortir seul. Celui qui veut en sortir seul transforme la sortie en un labyrinthe, qui tourne toujours en rond. Une crise est un labyrinthe. En outre, les crises sont génératrices de croissance : lorsqu'une personne, une famille, un pays ou une civilisation est en crise. Car s'ils l'ont bien résolue, il y a eu croissance.

Ce qui me préoccupe, c'est lorsque les problèmes sont enfermés à l'intérieur et qu'ils ne peuvent pas en sortir. L'une des choses que nous devons enseigner aux jeunes, c'est comment gérer les crises. Comment résoudre les crises. Parce que cela apporte de la maturité. Nous étions tous des jeunes sans expérience et parfois les garçons et les filles s'attachent au miracle, au Messie, à ce que les choses soient résolues d'une manière messianique. Le Messie était un et il nous a tous sauvés. Les autres sont tous des clowns messianiques. Personne ne peut promettre de résoudre les conflits autrement que par des crises ascendantes. Et ce n'est pas tout. Pensons à n'importe quelle crise politique, dans un pays qui ne sait pas quoi faire, en Europe il y en a plusieurs... que faire ? Cherchons-nous un messie qui vienne nous sauver de l'extérieur ? Non. Nous cherchons où se trouve le conflit, nous le saisissons et nous le résolvons. Gérer les conflits, c'est de la sagesse. Mais sans conflit, nous ne pouvons pas avancer.

- Que manque-t-il à l'humanité et que lui reste-t-il ?

- L'humanité manque de protagonistes de l'humanité, qui rendent visible leur protagonisme humain. Je constate parfois un manque de cette capacité à gérer les crises et à faire ressortir sa propre culture. N'ayons pas peur que les vraies valeurs d'un pays soient révélées. Les crises sont comme des voix qui nous disent où aller. Par contre, les problèmes qui restent parfois un peu couverts ou cachés sont comme le joueur de flûte de Hamelin, vous croyez que tout est flûte, vous y allez et le monde entier se noie. J'ai très peur des joueurs de flûte de Hamelin parce qu'ils sont si charmants. Si c'était des serpents, je les laisserais (rires), mais ce sont des gens charmants... et ils finissent par les noyer. Des gens qui croient pouvoir sortir de la crise en dansant au son de la flûte, avec des rachats effectués du jour au lendemain. Non. La crise doit être affrontée et surmontée, mais toujours vers le haut.

- Et l'individualisme est-il en train de s'épuiser ? De l'indifférence ?

- J'ai plus peur de l'indifférence, parce que c'est une sorte d'apathie culturelle. Laissons faire ceci, laissons faire cela, pendant que le joueur de flûte continue à jouer et que le peuple se noie. Les grandes dictatures sont nées d'une flûte, d'une illusion, d'un enchantement du moment. Et puis nous disons "quel dommage, nous avons tous fini par nous noyer". Encore une fois, j'aime bien cette image du joueur de flûte de Hamelin. Bien sûr, il y a toujours cette noyade des rats (rires).

- Quel est le risque de ces identités ou pensées uniques ?

- Qu'elle annule la richesse humaine. La pensée unique bannit la richesse humaine. Et la richesse humaine doit prendre en compte trois réalités, trois langages : celui de la tête, celui du cœur et celui des mains. De telle sorte que l'on pense à ce que l'on ressent et à ce que l'on fait, que l'on ressent ce que l'on pense et ce que l'on fait, et que l'on fait ce que l'on pense et ce que l'on ressent. C'est l'harmonie humaine. Si l'un de ces trois langages fait défaut, il y a un déséquilibre qui conduit à un seul sentiment, un seul pragmatisme ou une seule pensée. Ce sont des trahisons de l'humanité.

- L'austérité est une pratique habituelle dans votre vie. S'agit-il d'une conviction et d'un message ?

- L'austérité n'existe pas. Il y a des hommes et des femmes austères. Et qu'est-ce que c'est ? Quelqu'un qui vit de son travail, qui a une culture et qui sait l'exprimer, et qui sait aller de l'avant avec l'austérité. Dans une culture de la facilité, de la corruption et de l'évasion, il est très difficile de parler d'austérité. L'austérité s'apprend par le travail. L'austère ne vit pas sans travailler. Ce qui confère l'austérité à une personne, c'est son travail, son engagement, le fait qu'elle gagne son pain à la sueur de son front, qu'il s'agisse de sueur matérielle ou intellectuelle. Il est important de considérer le travail comme quelque chose d'inhérent à la personne humaine. La paresse est une maladie sociale. Il y a même des riches paresseux, ceux qui vivent aux dépens des autres sans penser au bien commun. La paresse et l'oisiveté sont très perfides parce qu'elles nourrissent ce désir de profiter de moi-même aux dépens des autres. C'est pourquoi celui qui travaille, où qu'il travaille, assume sa dignité.

Le problème est le manque de dignité lorsque la culture du gaspillage, du divertissement, de l'exploitation et du non-travail est imposée. On perd alors sa dignité. Une personne est digne si elle gagne sa vie et s'occupe des autres.

- Vous étendez la culture du travail à des frontières plus larges. Que serait le travail aujourd'hui dans un monde inégalitaire et sans possibilités pour beaucoup ?

- J'en reviens toujours à la même chose : ce qui rend digne, c'est le travail. Or, la plus grande trahison de ce chemin vers la dignité est l'exploitation. Non pas l'exploitation de la terre pour produire plus, mais l'exploitation du travailleur. Exploiter les gens est l'un des péchés les plus graves. Et les exploiter pour son propre compte. J'ai beaucoup d'informations sur l'exploitation du travail dans le monde. Et c'est très dur. Le travail donne de la dignité et, par conséquent, les travailleurs ont des droits concrets. Quiconque les embauche pour travailler doit leur fournir des services sociaux, qui font partie de leurs droits. Soit le travail est assorti de droits, soit c'est de l'esclavage.

- Certains pensent que la législation du travail est le principal obstacle à la création d'emplois et à l'augmentation de la productivité. Et il y a des dirigeants politiques dans différents pays qui fondent leurs promesses électorales sur la suppression des droits qu'ils ont obtenus.

- Lorsqu'un travailleur n'a pas de droits ou qu'il est embauché pour une courte durée afin de le remplacer et qu'il ne paie pas de cotisations, il devient un esclave et l'autre devient un bourreau.

L'auteur n'est pas seulement celui qui tue une personne, mais aussi celui qui l'exploite. Nous devons en être conscients. Parfois, quand les gens m'entendent dire les choses que j'ai écrites dans les encycliques sociales, ils disent que le pape est un communiste. Ce n'est pas le cas. Le pape prend l'Évangile et dit ce que l'Évangile dit.  Déjà dans l'Ancien Testament, la loi hébraïque appelait à prendre soin de la veuve, de l'orphelin et de l'étranger. Si une société remplit ces trois conditions, elle se porte bien. Parce qu'elle assume la responsabilité des situations extrêmes de la société. Et si vous prenez en charge les situations extrêmes, vous ferez de même avec les autres.

Quand on commence à embaucher des travailleurs non déclarés pour éviter de payer des cotisations et négocier leur avenir avec l'esclavage, c'est là que le travail commence à être malade. Et au lieu de donner de la dignité, le travail confère de l'esclavage. Nous devons être très vigilants à ce sujet. Et je tiens à préciser que je ne suis pas communiste, comme certains le disent (rires). Le pape suit l'Évangile.

- Comment voyez-vous ce développement technologique accéléré, y compris l'intelligence artificielle, et comment pensez-vous qu'il puisse être géré d'un point de vue plus humain ?

- J'aime bien l'adjectif "accéléré". Quand quelque chose s'accélère, cela m'inquiète, car cela n'a pas le temps de se stabiliser. Si nous regardons en arrière, de la révolution industrielle aux années 1950, nous voyons un développement non accéléré où il y avait des mécanismes de contrôle et d'aide. Lorsque les changements se produisent à un rythme rapide, les mécanismes d'assimilation n'ont pas assez de temps et nous finissons par devenir des esclaves. Et il est tout aussi dangereux d'être esclave d'une personne ou d'un travail que d'une culture.

Ce qui détermine l'agenda du progrès culturel, y compris l'intelligence artificielle, c'est la capacité des hommes et des femmes à le gérer, à l'assimiler et à le contrôler. En d'autres termes, les hommes et les femmes sont les maîtres de la Création et nous ne devons pas y renoncer. La seigneurie de la personne sur tout. Les changements scientifiques sérieux sont des progrès. Nous devons être ouverts à cela.

- François, au milieu des guerres et des conflits, vous appelez à un nouveau concept : celui de la sécurité intégrale. En quoi consiste cette idée globale ?

On ne peut pas obtenir une sécurité partielle pour un pays s'il n'y a pas une sécurité globale pour tout le monde. On ne peut pas parler de sécurité sociale s'il n'y a pas de sécurité universelle ou de sécurité en voie de devenir universelle. Je crois que le dialogue ne peut pas être seulement nationaliste, il doit être universel, surtout aujourd'hui avec tous les moyens de communication dont nous disposons. C'est pourquoi je parle de dialogue universel, d'harmonie universelle, de rencontre universelle. Et bien sûr, l'ennemi de tout cela, c'est la guerre. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu'à aujourd'hui, il y a eu des guerres partout. C'est ce qui m'a amené à dire que nous vivons une guerre mondiale par morceaux. Aujourd'hui, nous comprenons pourquoi cette guerre mondiale a éclaté.

- Quelles sont les situations qui conduisent ou favorisent les guerres ?

L'exploitation est l'une des origines de la guerre. L'autre origine est le contrôle géopolitique et territorial. Il y a des guerres qui semblent interminables, qui sont nées pour des raisons culturelles, mais qui sont en réalité des guerres de domination territoriale. Le Myanmar, par exemple, est une guerre qui dure depuis des années et des années, où un peuple musulman, les Rohingyas, est persécuté depuis des années et des années pour une sorte de domination élitiste, comme par une humanité supérieure.

Je crois aussi que les guerres sont encouragées par les dictatures. Il y a des dictatures déclarées, il y en a beaucoup dans le monde, et d'autres qui ne sont pas déclarées, mais qui ont le pouvoir d'une dictature.

- Croyez-vous que l'union des consciences, au-delà des différences religieuses et politiques, soit un début de construction de la paix et du bien commun ?

- Oui, absolument oui, mais à une condition : être conscient de sa propre identité. On ne peut pas dialoguer avec l'autre si l'on n'est pas conscient de ce dont on parle. Lorsque deux identités conscientes se rencontrent, elles peuvent dialoguer et faire des pas vers l'accord, vers le progrès, vers la marche ensemble. Mais si nous ne sommes pas conscients de notre propre identité, nous assumons ce que nous pensons qu'elle est et nous trahissons la culture de notre peuple, de notre pays et de notre famille. La conscience de l'identité est très importante pour le dialogue. Si, en tant que catholique, je dois parler à quelqu'un d'une autre religion, je dois être vraiment conscient que je suis catholique et que l'autre personne a tout à fait le droit d'avoir sa religion. Mais si je ne suis pas conscient de ma propre identité, je ne dialoguerai pas et je rirai de tout, je vendrai tout, je déguiserai tout. Je n'aurais pas de vraie cohérence.

- Le Synode de 2023 se déroule dans un contexte où vous avez défini cette époque non pas par ses changements, mais fondamentalement comme un changement d'époque. Comment l'Église s'adapte-t-elle à cette réalité ? De quel type d'Église a-t-on besoin en ces temps ?

- Dès le début du Concile Vatican II, Jean XXIII a eu une prise de conscience très claire : l'Église devait changer. Paul VI était d'accord et a continué, tout comme les papes qui leur ont succédé. Il ne s'agit pas seulement d'un changement de mode, mais d'un changement de croissance et en faveur de la dignité des personnes. Et c'est là que se trouve la progression théologique, la théologie morale et toutes les sciences ecclésiastiques, y compris l'interprétation de l'Écriture, qui ont progressé en accord avec les sentiments de l'Église. Toujours en harmonie. Les ruptures ne sont pas bonnes. Soit nous progressons par le développement, soit nous finissons mal. Les ruptures vous laissent en dehors de la force vitale du développement. J'aime utiliser l'image de l'arbre et de ses racines. La racine reçoit toute l'humidité de la terre et la tire vers le haut à travers le tronc. Lorsque vous vous en séparez, vous vous retrouvez sec et sans tradition. Tradition dans le bon sens du terme. Nous avons tous une tradition, nous avons tous une famille, nous sommes tous nés avec la culture d'un pays, une culture politique. Nous avons tous une tradition dont nous devons prendre soin.

- Proposez-vous une complémentarité entre la tradition et le progrès ?

- Le progrès est nécessaire et l'Église doit prendre en compte ces nouveaux développements avec une réflexion très sérieuse d'un point de vue humain. "Rien de ce qui est humain ne m'est étranger", disait le penseur grec Publius Terencio Africano. L'Église prend l'humain en main. Dieu s'est fait homme, il n'est pas devenu une théorie philosophique. L'humanité est une chose consacrée par Dieu. En d'autres termes, tout ce qui est humain doit être assumé et le progrès doit être humain, en harmonie avec l'humanité.

Dans les années 1960, les Hollandais ont inventé le mot "rapidation", qui était bien plus qu'une accélération. Eh bien, dans cette accélération des connaissances scientifiques, l'Eglise doit être très attentive et en dialogue avec ses penseurs. Et j'insiste sur ce point : nous devons dialoguer avec tous les progrès scientifiques. L'Église doit dialoguer avec tout le monde, mais sur la base de sa propre identité, pas sur la base d'une identité empruntée.

- Comment résoudre la tension entre le changement et le fait de ne pas perdre une partie de son essence ?

- Grâce au dialogue et à la prise en compte de nouveaux défis, l'Église a changé à bien des égards. Même dans le domaine culturel. Un théologien du IVe siècle a dit que les changements dans l'Église devaient remplir trois conditions pour être vrais : être consolidés, croître et être sublimés au fil des ans. C'est une définition très inspirante de Vincent de Lerins. L'Église doit changer, nous pensons à la façon dont elle a changé depuis le Concile jusqu'à aujourd'hui et à la façon dont elle doit continuer à changer dans la modalité, dans la façon de proposer une vérité qui ne change pas. En d'autres termes, la révélation de Jésus-Christ ne change pas, le dogme de l'Église ne change pas, mais croît, se développe et se sublime comme la sève d'un arbre. Ceux qui ne sont pas sur ce chemin sont ceux qui font un pas en arrière et se referment sur eux-mêmes. Les changements dans l'Église se produisent dans ce flux de l'identité de l'Église. Et elle doit changer au fur et à mesure que les défis se présentent. C'est pourquoi le cœur de son changement doit être essentiellement pastoral, sans renier l'essentiel de l'Église.

- Est-il difficile d'être le représentant de Dieu sur cette terre et à cette époque ?

Je vais faire une hérésie. Nous sommes tous des représentants de Dieu. Tous les croyants doivent témoigner de ce en quoi ils croient et, en ce sens, nous sommes tous des représentants de Dieu. Il est vrai que le pape est un représentant privilégié de Dieu (rires), et je dois témoigner d'une cohérence intérieure, de la vérité de l'Église, et de la nature pastorale de l'Église, c'est-à-dire l'Église qui sort toujours avec ses portes ouvertes aux autres.

- Francisco, comment se passe ta relation avec Dieu ?

- Demande-lui (il lève les yeux et sourit). Je pense que c'est une image, mais il y a beaucoup de vérité là-dedans : j'ai gardé beaucoup de ma piété d'enfant. Ma grand-mère m'a appris à prier et j'ai gardé beaucoup de cette piété simple, de la prière, de la demande et, comme on dit en Argentine, de la piété du charbon de bois. Quand je prie, je ne suis pas compliquée. Certains pourraient même dire que j'ai une spiritualité à l'ancienne. C'est peut-être vrai. En ce sens, il y a un fil conducteur qui m'a traversé depuis l'enfance jusqu'à aujourd'hui. Ma conscience religieuse a beaucoup grandi, c'est autre chose, elle a mûri, mais la manière dont je m'exprime avec Dieu est toujours simple. Je ne peux pas être compliqué. Parfois, je dis (en levant les yeux au ciel) : "Débrouille-toi, parce que je n'y arrive pas". Et je demande à la Vierge, aux saints, de m'aider. Et quand il faut prendre une décision, c'est toujours la demande qui vient en premier... la lumière qui vient d'en haut, n'est-ce pas ?

Mais le Seigneur est un bon ami, il me traite bien. Il prend grand soin de moi, comme il prend soin de nous tous. Nous devons découvrir comment il prend soin de nous, il prend soin de chacun d'entre nous à sa manière. C'est très beau.

- Et nous arrive-t-il de nous mettre en colère contre Dieu ?

Non, je me fâche avec les autres. Parfois, je me plains de lui, mais je sais qu'il m'attend toujours. Quand je fais quelque chose de mal ou quand je suis injustement en colère contre quelqu'un. Mais il ne me réprimande jamais. Dans le dialogue que j'ai avec le Seigneur, la réprimande est toujours une caresse. Aujourd'hui, je lisais le chapitre 11 du prophète Osée où il parle de cette caresse, de cet amour de Dieu pour chacun de nous comme si nous étions cette image des petites brebis qu'il porte sur ses épaules. Les trois qualités les plus fortes de Dieu sont la proximité, la miséricorde et la tendresse. Dieu est proche de nous. Dieu est miséricordieux, il nous pardonne tout et il est incroyablement patient avec nous. Et il est doux, cette délicatesse de Dieu, même dans les épreuves difficiles. C'est ainsi que je le ressens.

- Vous souriez, vous riez, vous avez un grand sens de l'humour. Qu'est-ce qui vous amuse ?

- Le sens de l'humour est un gage de bonne santé (rires)

Depuis plus de quarante ans, je fais chaque jour la prière de la bonne humeur à saint Thomas More, un grand homme. J'ai mis cette prière dans la note 101 de " Gaudete et exsultate " (note R : exhortation " Sur l'appel à la sainteté dans le monde d'aujourd'hui ", mars 2018), au cas où quelqu'un voudrait la voir. Nous y demandons au Seigneur la capacité de rire, de voir le côté ridicule des choses, de voir que la vie a toujours un sourire. La phrase commence joliment ainsi : "Donne-moi, Seigneur, une bonne digestion et quelque chose à digérer" (rires) Elle commence déjà par un sens de l'humour. Et j'aime cela parce que le sens de l'humour humanise. Les gens qui n'ont pas le sens de l'humour ne sont pas drôles.

- Ils n'ont pas d'humour.

- Ils sont même fâchés avec eux-mêmes. Dans mon travail de prêtre, je conseille parfois à quelqu'un de se regarder dans le miroir et de rire de lui-même. Et c'est difficile parce que cette capacité d'humour est absente. Ce ne sont pas des choses très dogmatiques, disons. C'est un peu de sagesse de vie que j'ai apprise et j'essaie d'aider les autres avec cela.

- Les peurs sont inhérentes à la condition humaine. Cependant, en tant que Souverain Pontife, vous avez tendance à transmettre une paix accueillante. Ressentez-vous de temps en temps de la peur ?

- Oui, parce que je sais que si je fais une erreur, mon exemple blessera beaucoup de gens. C'est pourquoi il y a des décisions que je mets en couveuse pour que le temps les fasse mûrir. Il y en a d'autres que je soumets à un synode pour que toute l'Église puisse s'exprimer.

- Avez-vous jamais pensé que nous aurions un pape argentin ?

- À l'époque, on parlait beaucoup de Pironio (NDLR : Eduardo Francisco, cardinal-évêque de l'Église catholique). Je me souviens qu'une branche de l'épiscopat argentin, fermée et traditionaliste, le rendait antipathique, disant que sa nomination pourrait nuire à l'Église. C'est lui qui a inventé les Journées de la Jeunesse... il a fait tant de bien à l'Église. Et on parlait de lui comme d'un possible pape. En d'autres termes, nous avions l'idée d'un pape argentin avec Pironio. Mais cela n'a pas eu lieu à cause de la situation, il est mort d'un cancer... Et maintenant, l'étude sur son miracle est sur le point de sortir et, si Dieu le veut, à la fin de l'année, il pourrait être déclaré bienheureux.

- En tant que prophète de l'espérance, que pouvez-vous nous dire pour la nourrir ?

- L'espérance est la vertu la plus humble, la plus quotidienne, à laquelle nous accordons moins d'importance. Nous parlons toujours de foi, de charité et d'amour. Et l'espérance est la vertu de cuisine, mais justement parce qu'elle est la vertu de cuisine, elle est la vertu de tous les jours. Non seulement nous ne devons pas perdre l'espérance, mais nous devons la cultiver. Nous devons nous faire un cœur plein d'espoir, un cœur plein d'espérance. L'espérance est si féconde ! Un poète l'a appelée l'humble vertu. Nous ne pouvons pas vivre sans espérance. Si nous supprimions les petits espoirs de chaque jour, nous perdrions notre identité. Nous ne nous rendons pas compte que nous vivons d'espérance. Et l'espérance théologique est très humble, mais c'est elle qui parfume notre vie de tous les jours. Penser que demain sera peut-être meilleur, ce n'est pas fuir. C'est autre chose.

- J'ai beaucoup aimé une critique de lui qui a circulé en Argentine ces jours-ci : "Le pape François, le prophète de la dignité humaine". Merci, comme toujours.

- S'il vous plaît, priez pour moi. Mais priez en ma faveur, pas contre (rires).

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