Une brève histoire de la messe dans le rite romain (16/11/2023)

Du site "Esprit de la liturgie" :

Recension : « Une brève histoire de la messe dans le rite romain », par Uwe Michael LangL

DANS STUDIA

Desclée de Brouwer vient de publier la traduction française du dernier livre du père Uwe Michael Lang C.O., ami d’Esprit de la Liturgie, dont nous avons traduit plusieurs articles sur ce blog. Voici quelques notes de lecture.

Une synthèse accessible

À travers vingt courts chapitres, chacun divisés en sections qui facilitent l’intelligence du propos, l’auteur retrace méthodiquement autant de siècles d’évolution de la messe dans le rite romain. Les trois premiers quarts de l’ouvrage, jusqu’au concile de Trente, sont une synthèse de la considérable monographie du même auteur, The Roman Mass: From Early Christian Origins to Tridentine Reform, véritable somme à l’érudition considérable, ouvrage académique rassemblant deux décennies des travaux de l’auteur, qui trouve dans ce petit livre (180 pages) sa traduction à destination du grand public. Le titre est factuel : l’auteur de ne parle pas d’autre chose que de la messe, et ne parle que du rite romain, quoi qu’il lui soit nécessaire, pour expliquer son histoire, de donner de loin en loin une brève description des liturgies orientales, wisigothique, ou ambrosienne.

Cet ouvrage s’annonce utile surtout par le large public qu’il permet de toucher. Les prérequis sont minimaux: il est utile que le lecteur connaisse les grandes parties de la messe ; l’existence de l’empire carolingien, du Saint-Empire, des royaumes de France et d’Angleterre, de la papauté ; sache ce qu’est un évêque, un prêtre, un diacre. Autrement dit, ce livre pourra trouver sa place parmi les cadeaux de Noël de tout catholique intéressé par le sujet, que l’auteur sait rendre passionnant. Un glossaire en fin d’ouvrage permet de combler utilement d’éventuels trous de mémoire.

L’abbé Jean-Pierre Herman a mené à bien la tâche délicate de la traduction d’un ouvrage nécessairement rempli de termes techniques du domaine liturgique, domaine qu’il connaît parfaitement.

Pour le lecteur pressé déjà convaincu par cette brève description, donnons d’emblée les liens vers le livre sur le site de l’éditeur et Amazon.

Légende et réalité

Les mythes ont la vie dure. Les réformes liturgiques du vingtième siècle se sont plus ou moins toutes fondées sur une espèce de roman ecclésial, une simplification de l’histoire allant jusqu’à la fiction, qu’on pourrait résumer de cette manière: « la liturgie des premiers siècles a été chargée d’une pompe mondaine par la réforme carolingienne, puis s’est transformée en exercice de dévotion cléricale au long du Moyen-Âge, pour aboutir à une fossilisation rigide au concile de Trente, qui a abouti à sa totale décrépitude à la veille du mouvement liturgique qui a débouché sur la constitution Sacrosanctum Concilium du concile Vatican II ». Si la recherche en histoire de la liturgie a fait se fissurer cette belle légende dès le milieu du 20e siècle, il se trouve encore des séminaires où on l’enseigne comme telle, puisque de nombreux prêtres, même jeunes, la professent sans hésitation.

Sans prendre le contrepied systématique de cette légende (qui reste basée sur des faits réels, même déformés), l’auteur apporte avec méthode, en citant à parts égales une grande abondance de sources primaires et de travaux de recherche récents, la nuance nécessaire à une approche plus sereine, plus rigoureuse, et simplement plus vraie, de l’histoire de la liturgie de la messe. Antiquité de l’orientation, célébrations domestiques, usage d’une langue hiératique, rôle et limites de l’improvisation, unicité du canon romain, nombre des lectures, rôle des fidèles : autant de sujets sur lesquels l’auteur bouscule les idées reçues, sans pour autant prendre un parti idéologique.

Court, trop court ?

Le format de l’ouvrage a contraint l’auteur à de nombreux raccourcis. Cela peut expliquer certaines simplifications, mais le lecteur féru d’histoire liturgique reste parfois sur sa faim. À son crédit, l’auteur n’est pas avare de références pour qui veut creuser tel ou tel sujet, encore que certaines de ces références pointent vers des ouvrages datés, voire teintés idéologiquement (en particulier ceux de Josef Andreas Jungmann), contenant des erreurs que justement l’auteur s’emploie à rectifier.

L’auteur considère les rites introductifs, l’offertoire et les rites de conclusion comme des « faiblesses » du rite romain, à cause de leur relative variabilité dans le temps et l’espace, mais ne démontre pas en quoi leur forme stabilisée au 14e siècle est en soi problématique. Le lecteur soupçonneux pourrait y voir une tentative d’asseoir la profonde transformation de ces rites dans la réforme liturgique de 1970.

Les rites locaux sont abordés sous l’angle de la romanité, c’est à dire de la différence ou de la dépendance au rite du diocèse de Rome. C’est la méthode de l’ouvrage, inattaquable en soi, mais qui en constitue une limite. On lit par exemple qu’Humbert de Romans a adopté le rite romain pour l’Ordre des Prêcheurs, ce qui est un raccourci à la limite de la vérité.

Avant et après Trente

Le dernier quart de l’ouvrage offre un certain contraste vis-à-vis des trois premiers. De Trente à Vatican II, ce sont moins les recherches et l’érudition personnelles de l’auteur qui transparaissent dans l’ouvrage, et plus une synthèse du consensus présent des liturgistes, tout simplement car les recherches de l’auteur n’ont pas ou peu porté sur cette période. On en vient à lire des lieux communs sur la décadence de la liturgie, que justement l’auteur combat dans les trois premiers quarts de l’ouvrage. Peut-être l’auteur nous gratifiera-t-il d’une mise à jour de cet ouvrage quand il aura conduit, sur cette période, le même travail de recherche qu’il a réalisé sur l’avant-Trente ? Il se pourrait bien que l’auteur découvre que le divorce partout décrié entre dévotions des fidèles et liturgie des clercs, qui fait la légende noire des 18e et 19e siècles, n’est pas aussi général et aussi complet qu’on le prétend.

Ceci n’affaiblit en rien la thèse principale de l’ouvrage, thèse que tout amoureux de la liturgie devrait savoir expliquer et défendre : que la restauration de la liturgie n’est ni une fuite en avant dans l’innovation, ni la reconstitution d’un Âge d’Or fantasmé (que celui-ci soit paléochrétien, médiéval ou tridentin), mais la transmission de ce que l’ensemble de l’histoire de l’Église latine a de meilleur.

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