Brambilla recommande trois livres sortis récemment sur le sujet en France et en Italie, de Céline Hoyeau, de Pascal Ide et de Giorgio Ronzoni et, sur base de leur abondante documentation, il entend proposer « cinq critères » à appliquer pour évaluer de façon critique les communautés nouvelles et leurs leaders.
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Le premier de ces cinq critères est « le rapport entre charisme et institution », avec une attention particulière au rôle des responsables des mouvements.
Brambilla considère que cela a été une erreur de « mettre l’élément charismatique au seul crédit des mouvements et l’élément institutionnel à la seule charge des formes traditionnelles de communauté », ce qui a eu pour résultat d’encourager la rapide transformation des mouvements « en expériences totalisantes d’Église, avec des accents d’ ‘Église parallèle’ bien visibles ».
Mais il attire surtout l’attention sur ceux qui sont à la tête de chacun de ces mouvements, souvent des personnes ‘charismatiques’ qui courent le risque sérieux de devenir ‘séduisantes’ et même ‘séductrices’. Et il explique : « Le succès parfois retentissant du nombre de vocations, la croissance du nombre de sympathisants, accompagné de l’argument-massue des ‘bons fruits’, construisent autour du leader une aura sacrée qui les transforment inévitablement en leaders séducteurs ».
Dans bien des cas, le leader « a un égo hypertrophié », narcissique, « mais présente un ‘je’ très fragile ». Et cela constitue « le trou noir dans lequel le fondateur d’une communauté peut basculer par l’abus spirituel et l’abus d’autorité », avec des effets bien souvent « pervers ».
Pour limiter ce risque – note Brambilla – « on a proposé deux remèdes ces toutes dernières années : la durée déterminée du mandat des fondateurs et des responsables (pas plus de deux mandats de cinq ans d’affilée) ; et la rigoureuse distinction entre for interne et for externe ».
Mais à ceux deux remèdes, il faudrait en ajouter un troisième, dès le moment de la fondation d’un mouvement et pas seulement dans le passage à la seconde génération : « l’approbation ecclésiastique des statuts, en prêtant attention à la répartition des pouvoirs et des compétences » et à l’articulation des processus de décision.
C’est comme cela que cela se passait pour les anciens ordres religieux, mais quasiment jamais pour les mouvements actuels, qui se revendiquent « à la fois charismatiques spontanéistes », avec les effets désastreux que l’on sait.
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Le second critère à appliquer concerne les paroles et les gestes qui identifient l’appartenance à une communauté donnée.
Dans bien des cas, pour identifier les appartenances, il suffit d’observer comment quelqu’un parle, comme il s’habille, comment il chante et comment il agit. Mais les modalités des pratiques dévotionnelles et liturgiques sont encore plus importantes. « On en a vu de toutes les couleurs », écrit Brambilla. Prières charismatiques, rites ésotériques, pratiques de guérison, veillées dirigées par le gourou, postures corporelles bizarres… « Il est impossible de ne pas voir à quel point l’ambivalence flagrante des pratiques dévotionnelles et des rites sacramentels, toujours plus privatisés et manipulables, a brisé la belle et sobre grammaire de la prière liturgique catholique et ait pu se solder par l’action manipulatrice de leaders charismatiques et de communautés soi-disant créatives, prêtant le flanc à une véritable décomposition de la pratique chrétienne ».
La question-clé est celle de la messe dominicale. Brambilla se pose cette question : « Si systématiquement, la messe du dimanche est célébrée est vécue uniquement au sein de son propre groupe ou mouvement, comment peut-on se penser comme appartenant encore à l’Église catholique sur le long terme ? ». C’est le cas, par exemple, des communautés néo-catéchuménales, qui ont en outre introduit dans leurs messes des variantes qui les configurent comme un rite à part entière, bien plus éloigné du rite romain actuel que ne l’étaient les messes préconciliaires ».
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Le troisième critère de jugement, selon Brambilla, est celui du mécanisme de recrutement des membres.
Le plus souvent, les techniques consistent en une première approche du recruteur. Elles se poursuivent par une invitation à un événement spécial dans un lieu attractif. Là, l’adepte potentiel se voit attendu et aimé. Après quoi, on l’invite de nouveau et on tisse avec lui un lien durable.
Mais ce n’est pas tout. « La phénoménologie de la dérive sectaire, de la manipulation de la victime et de l’abus spirituel ne suffit pas, si on n’arrive pas à mettre le doigt sur sa racine la plus profonde qu’est le mécanisme d’élection et d’exclusion ».
Ceux qui s’opposent ou soulèvent des doutes, des questions ou font preuve d’esprit critique « sont d’abord soumis à la menace et ensuite à une suite ininterrompue de mots et de gestes de mise à l’écart et de réprobation ». Un peu comme si l’on refusait un parcours de vie communautaire auquel on serait inexorablement « prédestiné ». Avec la stigmatisation de la personne réprouvée qui s’en suit. Un mécanisme pervers dans lequel l’agir de la communauté vient s’ajouter à celui des responsables, et cela à différents niveaux.
C’est le même mécanisme qui régit la disqualification morale et la mise à l’écart de quiconque abandonne la communauté.
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Quatrième critère d’évaluation : la vision doctrinale de chaque mouvement.
C’est une vision qui n’est pas facile à saisir, fait remarquer Brambilla, parce que bien souvent, le leader « se cache derrière une soi-disant vérité plus haute et inaccessible, aux accents ésotériques ».
C’est souvent une réticence que l’on avance « sous prétexte de préserver, par une sorte de discipline de l’arcane, un stade spirituel plus avancé », parfois pour justifier aussi bien des comportements sexuels anormaux que des styles de vie luxueux. Avec en plus « une séparation absente entre for interne et for externe » qui substitue au respect de la liberté « un style de commandement invasif et manipulateur ».
Quant au jugement exprimé par chaque mouvement sur le monde et sur l’Église, Brambilla reconnaît qu’il y a en effet une distinction d’une part entre des mouvements de caractère plus eschatologique et spiritualistes, qui interprètent le monde comme perdu, et dont il faut se séparer et d’autres part des mouvements fortement incarnationistes, qui voient le monde comme l’arène propice à une « reconquête » chrétienne.
Mais il pense, et craint, « que sous ces deux visions ne se cache une même tendance ‘apocalyptique’ qui positionne le rapport entre l’intérieur et l’extérieur du mouvement dans un jugement historique posé sur un monde (et parfois même sur l’Église) qui a besoin d’être sauvé de ses dérives culturelles et morales ».
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Cinquième et dernier critère de jugement : la proposition morale dont chaque mouvement se fait le porte-parole.
Ce critère est sans doute le « plus évanescent », écrit Brambilla, « il est toutefois inévitable d’observer que même les mouvements ont une proposition de morale personnelle et d’engagement social ».
Et ces propositions se calquent sur les orientations déjà définies au niveau de la doctrine. « Si l’arrière-plan en question est l’apocalyptique qui interprète le temps présent comme une crise de système, je crains que l’orientation morale puise tomber dans des formes idéalisatrices, aussi bien alternatives, eschatologiques, que combattives, incarnationistes, avec toutes les nuances de gris entre les deux, sans faire l’expérience de la réalité et de la limite que nous pouvons et devons partager avec les hommes d’aujourd’hui ». Ceci parce que « incarnation et transcendance sont deux pôles entre lesquels il ne faut pas choisir, mais avec lesquels on peut vivre une éthique du partage et du témoignage. Sans jamais les disjoindre ».
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Brambilla écrit pour conclure son essai : « Ce texte peut sembler amer et dramatique, mais ce n’est rien – il faut bien le reconnaître – face aux dérives déviantes et aux abus spirituels qui ont mis en danger ces dernières années notre foi et la confiance de beaucoup. Je n’ai pas seulement rédigé ces notes pour dénoncer la dérive sectaire de groupes et de mouvements. Cela vaut également pour toutes les autres formes de groupements, y compris les associations, les paroisses et les oratoires. La crainte de la dérive est suffisamment évidente et nous préoccupe tous, mais je l’ai fait pour la reconnaître et l’éviter. Si elle pouvait être comme le collyre pour mieux voir, le bistouri pour exciser un abcès et le baume pour la soigner et le prévenir, j’en serais content ».
Et immédiatement après, il cite la déclaration prophétique, toujours sur les risques de cette dérive, que l’archevêque de Milan de l’époque, le cardinal Carlo Maria Martini, a prononcée en séance du synode des évêques, en 1987 déjà. Et de conclure : « Après toutes ces années, nous sommes encore là avec l’espérance de ne pas renoncer à un discernement, nécessaire et salutaire pour toute l’Église que nous aimons ».
Sandro Magister est vaticaniste à L’Espresso.
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Commentaires
Je mettrais la nuance suivante à cet article : Avec les critères actuels, jamais les Franciscains ne seraient nés et saint François d'Assise auraient fini sa vie dans un cul de basse fosses "réduit à l'état laïc".
Le pauvre d'Assise insistait tellement sur la pauvreté, dans son excessive ferveur, que plusieurs jeunes frères moururent de pratiquer trop d'ascèse. Il accueillait aussi des âmes "simples" et un peu "idiotes" et lui pardonnerait-on de nos jours cette "amusante" action d'un de ses frères : il coupa, dit-on, la patte d'un cochon vivant pour la servir à ses frères (Voir les "Fioretti de saint François"). Le scandale à notre époque serait tel que les Franciscains seraient dissouts.
Fort heureusement, loin de détruire et de qualifier son oeuvre de "désastre", l'Eglise catholique délégua un sage, le Cardinal Hugolin, qui coupa ce qui devait être coupé et modéra ce qui devait être modéré.
On dit que saint François en mourut de tristesse (voir le roman "Sagesse d'un pauvre" d'Eloi Leclerc).
Actuellement, lorsqu'on voit certains parler de "désastre" pour qualifier les communautés nouvelles, on a l'impression qu'il y a manque de sagesse et que, dans une phase de retournement, on voudrait une Eglise plus blanche que blanche.
Or il ne faut pas, dit le Seigneur, arracher sans discernement l'ivraie car, en même temps, on arrache souvent le bon grain.
Écrit par : Arnaud Dumouch | 21/11/2023
autrement dit : "tout va très bien, madame la Marquise, tout va très bien, tout va très bien ..."
Écrit par : l'archidiacre | 21/11/2023
Cher Archidiacre, Tout n'ira bien qu'au Ciel. Pour le moment, en chacun de nous, il y a du bon grain et de l'ivraie.
Le défaut actuel de beaucoup de hiérarques est celui-ci : on trouve une verrue sur la main d'une communauté nouvelle. Au lieu de traiter la verrue, on abat la communauté.
Écrit par : Arnaud Dumouch | 21/11/2023
Je ne connais que les Communautés de l' Emmanuel, Sant' Egidio, Moeder van Vrede, De Kommel ... geographiquement proches et ces Communautés me paraissent tout à fait " clean " selon les critères çi dessus.
Écrit par : muriel lehembre | 21/11/2023