Bénédiction des couples homosexuels : toutes les faussetés de Fiducia supplicans (03/01/2024)

De Riccardo Cascioli et Stefano Fontana sur la Nuova Bussola Quotidiana :

Bénédiction des couples homosexuels : toutes les faussetés de Fiducia supplicans

La doctrine changée tout en affirmant le contraire, falsification de la notion de couple, jeux de mots et formules ambiguës, rejet de la loi naturelle. La Bussola et l'Observatoire Van Thuan proposent une vision concise du document du Vatican qui divise l'Eglise.

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La Nuova Bussola Quotidiana et l'Observatoire du Cardinal Van Thuân proposent dans ces lignes une évaluation globale de la Déclaration Fiducia supplicans. Nous avons laissé passer un certain temps depuis sa publication afin de favoriser une réflexion précise et complète. En effet, la Déclaration soulève de nombreuses et graves questions qui doivent être abordées séparément, mais aussi et surtout dans un cadre unifié. Elle semble avoir franchi une étape fatale, un tournant dans la doctrine et la pratique de l'Église, une limite semble avoir été franchie de manière décisive. Certains commentateurs ont parlé de "catastrophe" et de "scandale". Cela appelle une analyse responsable et complète.

Quelques observations formelles

La déclaration a été publiée le 18 novembre 2023. Elle est signée par le préfet, le cardinal Victor Manuel Fernández et, avec la formule ex audientia, par le pape François. Elle n'a pas été examinée par l'assemblée du Dicastère pour la Doctrine de la Foi, mais seulement, comme l'indique le texte, par la Section doctrinale. La formule d'approbation papale est parmi les plus faibles : elle semble dire seulement que le pape a été informé, ce qui contraste avec la grande pertinence magistérielle d'une Déclaration. Une chose similaire s'était produite avec le Responsum de 2021, qui, comme nous le savons, disait le contraire et envers lequel François n'avait pas caché son impatience. Dans ce cas, au bas du texte, il était seulement dit que le pape avait été informé.

Deux autres aspects formels de la Déclaration sont à noter. Le premier est que la plupart des références magistérielles renvoient à des interventions de François. Il n'y a jamais eu de document aussi limité dans ses références au magistère précédent. Il est dit que la Déclaration est "basée sur la vision pastorale du Pape François", comme s'il s'agissait d'un unicum. Troisièmement, l'argumentation du texte est très faible et son niveau est défiguré par rapport à la structure argumentative, par exemple, de Dominus Jesus (2000), qui était également une Déclaration comme celle-ci, c'est-à-dire un document de haut rang magistériel.  

La thèse centrale de la Déclaration

Fiducia supplicans soutient que la doctrine catholique sur le mariage et la sexualité reste inchangée et que les nouvelles indications qu'elle contient sont uniquement pastorales et, en tant que telles, complètent, sans le nier, le Responsum de 2021, qui se serait limité au seul domaine doctrinal. La nouveauté pastorale consisterait en une révision du sens des bénédictions, prévoyant, outre les bénédictions déjà doctrinalement clarifiées qui ont lieu dans des contextes liturgiques, également des bénédictions dans des contextes non liturgiques que la Déclaration appelle "privés" ou "spontanés".

Ces arguments n'ont aucun fondement plausible. Si ce n'est pas un laïc qui bénit, comme un père bénissant ses enfants, mais un prêtre, cette bénédiction est déjà liturgique en elle-même, même si elle ne suit pas une formulation préparée par l'autorité compétente. Elle est liturgique en substance, parce qu'elle est donnée par un prêtre et qu'elle implique donc l'Église. Il ne s'agit pas seulement de constater qu'une telle bénédiction purement pastorale et non liturgique n'a jamais été envisagée par l'Église, mais aussi qu'elle n'existe pas et qu'elle n'a pas été envisagée et réglementée parce qu'elle ne peut pas exister. 

Il en découle un autre aspect de ce que soutient la Déclaration, à savoir que la bénédiction n'est pas une approbation de la situation de vie du couple béni, mais seulement une invocation à l'aide de Dieu pour qu'il donne au couple la force de développer les aspects positifs de leur relation, tels que l'attention à l'autre et l'aide mutuelle dans les difficultés de la vie. Cette perspective échoue pour deux raisons liées à ce qui a été vu plus haut : la première est que le contexte déjà liturgique, étant donné la présence du prêtre, ne permet pas la bénédiction d'une réalité publique en grave contraste avec la loi de Dieu ; la seconde est que ces éventuels aspects positifs se situent à l'intérieur d'une relation de couple d'exploitation mutuelle violente, même si elle est consentie, qui les défigure : si les deux se font violence, comment peuvent-ils s'aider mutuellement ?

Sur le "couple

La bénédiction est un sacramentel et, en tant que tel, elle exige de la part du bénéficiaire une disposition appropriée par le repentir et la volonté de sortir d'un certain état de vie. Dans ces conditions, la bénédiction peut également être donnée à une personne individuelle en état de péché. Dans ce sens, oui, la bénédiction est une ouverture à la volonté de Dieu et une demande d'aide pour confirmer et renforcer le repentir et la décision de changer de vie. Mais ce n'est pas le cas lorsque la bénédiction est donnée à un couple irrégulier, qu'il soit hétérosexuel ou homosexuel. Dans ce cas, la situation de vie des personnes impliquées est reconnue, confirmée et justifiée. Si les deux sont bénis en tant que couple, on reconnaît qu'il s'agit d'un couple, même s'il ne l'est pas, car il s'agit de deux individus qui s'accordent l'un l'autre pour leurs intérêts particuliers.

Cela s'applique non seulement au couple homosexuel, mais aussi à la cohabitation de fait entre un homme et une femme. La complémentarité ici, contrairement au cas précédent, semble être là, mais ce n'est pas le cas parce que les deux ne répondent pas à une vocation, avec leurs devoirs respectifs indisponibles, mais seulement à leur alliance individuelle. Bénir un couple qui n'est pas un couple, c'est confirmer le faux. De plus, si les deux reçoivent la bénédiction en tant que couple, il est évident qu'ils n'ont pas l'intention de se séparer, puisqu'ils la demandent en tant que couple. Il n'y a pas de repentir ni de volonté de changer de vie et donc les conditions de la bénédiction sont absentes. On peut revenir à dire que ce ne sont pas les aspects violents et contre-nature de leur relation qui sont bénis mais seulement les aspects positifs à partir desquels on peut repartir, mais on a vu plus haut que ces aspects positifs restent déformés par la qualité négative de la relation du couple, ils peuvent être là dans les individus mais pas dans le couple.

Une pastorale qui change de doctrine

Comme nous l'avons vu, Fiducia supplicans confirme la doctrine habituelle sur les bénédictions des couples irréguliers, mais invente ensuite une nouvelle bénédiction qui n'est que pastorale. Cette sphère neutre - c'est-à-dire la bénédiction uniquement pastorale - n'existe pas car, comme nous l'avons vu, toute bénédiction est publique et liturgique par nature, puisqu'elle est donnée par un prêtre. En revanche, si l'on veut maintenir cette indépendance, une bénédiction qui ne tient pas compte des exigences doctrinales est considérée comme possible. La prétendue neutralité de la pastorale, qui ne devrait pas affecter la doctrine, se transforme donc en demande d'une nouvelle doctrine sur elle-même.

La pastorale n'a pas d'indépendance propre ou d'autonomie par rapport à la doctrine, comme le prétendent de nombreux courants théologiques contemporains, car lorsqu'elle affirme cette indépendance, elle le fait en énonçant une doctrine, précisément la doctrine de l'indépendance de la pastorale par rapport à la doctrine. La praxis ne se passe pas de la théorie, ni ne peut être créatrice de théorie : lorsqu'elle exprime cette affirmation, elle le fait théoriquement. La solution pastorale ne peut donc pas rester simplement pastorale, mais comme elle nie la doctrine (malgré les assurances contraires qui, à ce stade, se révèlent instrumentales), elle se comprend comme ne dépendant pas de la doctrine, c'est-à-dire comme capable de changer la doctrine elle-même. Il s'agit là d'un résultat inévitable : les nouvelles bénédictions considérées uniquement comme pastorales sont également doctrinales, à la fois parce qu'elles nient leur propre dimension doctrinale en exprimant une nouvelle doctrine, et parce qu'elles appellent implicitement à sa reformulation. Une nouvelle doctrine y est déjà implicitement contenue. Au contraire, ceux qui les proposent ont déjà en vue la nouvelle doctrine, qu'ils entendent cependant poursuivre par des moyens pastoraux, c'est-à-dire par des moyens indirectement doctrinaux plutôt que directement doctrinaux.  Ce n'est pas nouveau, puisqu'à partir d'Amoris laetitia, nous avons déjà eu d'importantes anticipations de la tendance à faire des exigences pastorales des occasions de transformer les circonstances en exceptions et de pousser ainsi à des processus de renouvellement doctrinal, tout en ne disant pas qu'on les veut, mais plutôt en prétendant que les doctrines précédentes restent confirmées.

Les sophismes astucieux du magistère

Avec les observations que nous venons de voir, nous avons abordé les sophismes astucieux de la Déclaration Fiducia supplicans, qui prétend dire sans dire et qui est donc trompeuse. Le discours devrait cependant être étendu à l'ensemble du pontificat actuel, où les jeux de mots et l'utilisation d'un langage qui n'est pas théologique mais "bavardage social" se sont manifestés en de nombreuses occasions. À cet égard, l'exhortation Amoris laetitia est le texte le plus représentatif, même s'il n'est pas unique. Les questions sans réponse qui véhiculent un message non formulé, les périodes fixées à "oui ... mais" qui insinuent des exceptions à la norme, l'ambiguïté de nombreuses expressions (par exemple, "l'Eucharistie n'est pas un prix pour les parfaits, mais un remède généreux et une nourriture pour les faibles"), les phrases qui poussent leurs composantes à l'extrême, faisant violence à la réalité et proposant subrepticement une vision toute faite, les images colorées et hyperboliques (comme les "pierres mortes à jeter aux autres" en ce qui concerne la doctrine) et ainsi de suite.

Essayons de donner quelques exemples en ce qui concerne la Fiducia supplicans. Prenons cette phrase : "Une analyse morale exhaustive ne doit pas être posée comme condition préalable pour la conférer [la bénédiction, ndlr]. Aucune perfection morale préalable ne doit être exigée d'eux". Lorsqu'un prêtre donne une bénédiction, il ne demande aucune "perfection morale". La bénédiction est également donnée aux pécheurs. La rhétorique tendancieuse de la Fiducia voudrait faire croire que ne pas accorder de bénédiction aux couples irréguliers reviendrait à exiger une perfection morale, mais il s'agit là d'une distorsion idéologique évidente de la réalité.

Autre exemple : "dans des situations moralement inacceptables d'un point de vue objectif, la charité pastorale exige de ne pas traiter simplement comme des "pécheurs" d'autres personnes dont la culpabilité ou la responsabilité peut être atténuée par divers facteurs qui affectent l'imputabilité subjective". Ici, comme également dans d'autres contextes d'Amoris laetitia, les choses sont confuses : en interdisant la bénédiction des couples irréguliers, on ne se prononce pas sur la responsabilité subjective des personnes impliquées, mais sur l'opposition objective et publique de cette relation aux "desseins de Dieu inscrits dans la Création et pleinement révélés par le Christ Seigneur". La phrase est donc sophistique.

Il y a aussi une série d'affirmations centrées sur les attitudes de fermeture et de condamnation, nous invitant à ne pas "perdre la charité pastorale qui doit traverser toutes nos décisions et nos attitudes" et à ne pas "être des juges qui ne font que nier, rejeter, exclure" ; "Dieu ne repousse jamais celui qui s'approche de lui". Ici aussi, nous sommes en présence de forçages et d'extrêmes rhétoriques. Ne pas bénir les couples irréguliers ne signifie pas les rejeter, mais les accueillir en vérité, ce qui est la première forme de respect qui leur est due.

Un dernier exemple concerne l'utilisation dans un document ecclésial du mot "couple" appliqué à une situation pour laquelle le Magistère précédent n'a jamais utilisé ce mot parce que cette réalité, tant du point de vue naturel que du point de vue révélé, n'est pas un couple. Dans ce cas, la tromperie est certainement grave, car elle contient déjà une évaluation positive de la relation irrégulière qui, en utilisant ce terme, est perçue par le lecteur comme régulière.

Il convient de rappeler que bon nombre des phrases ci-dessus sont directement tirées des discours de François. La Fiducia supplicans était requise par le développement général de son enseignement qui est appliqué ici. Certains résultats perturbateurs de son "nouveau paradigme" y sont concentrés.

L'oubli délibéré du contexte réceptif

Mais la Fiducia supplicans révèle aussi des astuces d'un autre ordre, outre celles liées à l'usage de la langue. D'un point de vue argumentatif, la Déclaration prétend admettre les bénédictions en question tant qu'elles ne se prêtent pas à être assimilées au mariage. Ce raisonnement est trompeur car le fait qu'elles ne puissent pas être assimilées au mariage en raison de leur forme extérieure liturgique ou non liturgique ne résout pas la question de leur validité en soi. La validité intrinsèque d'une chose ne dépend pas d'autre chose, mais seulement de sa nature. Il faut noter que cette erreur d'approche est également commise par les clercs lorsqu'ils traitent de la reconnaissance juridique des unions civiles de facto et homosexuelles dans la sphère civile. François lui-même l'a souligné. Même dans ces cas, on affirme que ces unions peuvent être réglementées légalement tant qu'elles se distinguent du mariage, sans compter qu'elles sont injustes en elles-mêmes et par leur nature même, et qu'elles le restent même si la loi ne les assimile pas au mariage. Le critère "à condition qu'ils ne..." est un raisonnement trompeur car il évite de se prononcer sur la licéité ou non de la chose elle-même.

Un autre aspect trompeur consiste à ignorer délibérément le contexte factuel dans lequel les nouvelles dispositions sont placées. Fiducia supplicans dit que les bénédictions irrégulières ne doivent pas être placées dans un contexte liturgique, alors qu'elles y ont été placées depuis longtemps avec l'acceptation de l'autorité ecclésiastique elle-même, qui dit maintenant le contraire sans tenir compte du fait qu'elle les a déjà acceptées. En mars 2023, donc deux ans après l'interdiction du Responsum, lors de leur visite ad limina, les évêques de Belgique ont informé le pape de la nouvelle liturgie qu'ils avaient préparée pour la bénédiction des couples homosexuels et François, après avoir vérifié qu'ils étaient tous d'accord (ndlr : depuis quand un simple accord d'opinion est-il un indice de vérité ?), leur a dit de continuer. En Allemagne, la bénédiction de couples de même sexe dans l'Église, et pas seulement sous une forme "privée" et "spontanée" comme l'envisage Fiducia supplicans, est désormais une pratique courante, et le Saint-Siège n'a jamais pris de dispositions canoniques à cet égard comme le demandaient certains cardinaux ; en effet, les évêques les plus exposés sur cette ligne ont été nommés pour jouer des rôles importants au Vatican, d'abord au sein du "Conseil des 9", puis à la tête du Synode sur la synodalité. En même temps, François a écrit des lettres d'encouragement à des associations promouvant les soi-disant droits des LBGT, a approuvé et soutenu le travail du Père James Martin et de Sœur Jeannine Gramick qui luttent pour ces mêmes objectifs. Cependant, Fiducia supplicans est publié comme si tout cela n'existait pas, c'est-à-dire comme s'il n'y avait pas de contexte prêt à l'accueillir et à l'appliquer aux fins qu'il vise (sans le dire).

Le rejet de la loi naturelle

Etant donné que nous nous concentrons sur la Doctrine sociale de l'Eglise, nous avons l'intention de mentionner les aspects négatifs de Fiducia supplicans dans ce domaine. La doctrine politique catholique, dans la continuité et le développement de la philosophie politique classique, a toujours soutenu que le mariage et la famille sont les fondements de la société civile. À l'origine, il n'y a pas des individus sans identité, ou avec une identité égale et sérielle, mais un homme et une femme. Leur appartenance au couple découle de cette unité complémentaire naturelle, indissoluble et ouverte à la vie. Le compagnonnage social ne résulte pas de conventions humaines mais du projet du Créateur. La référence à la loi naturelle est donc incontournable, car elle exprime un ordre naturel finaliste et soustrait la vie politique à l'arbitraire du plus fort. La légitimation de l'autorité politique est fondée sur le droit naturel. La bénédiction des couples irréguliers considère un couple comme étant ce qu'il n'est pas. Elle légitime donc implicitement une égalité substantielle entre le vrai couple décrit ci-dessus et le pseudo-couple irrégulier. Et ce, même en l'absence d'une déclaration explicite et formelle d'égalité, même en présence d'une affirmation contraire à cette égalité : le fait de considérer comme un couple deux individus qui ne le sont pas est plus fort que toute autre affirmation exonératoire. Il semble donc évident que Fiducia supplicans porte également un préjudice considérable à la Doctrine sociale de l'Église.

La division dans l'Église

Les effets immédiats, et plus encore à long terme si des faits radicalement nouveaux n'interviennent pas, de cette Déclaration divisent fortement l'Église, qui est divisée. Le soulèvement de conférences épiscopales entières le prouve sans conteste. La division ne concerne cependant pas seulement le sujet spécifique, mais bien plus, car elle implique également les deux visions théologiques incompatibles qui conduisent différemment vers le sujet en question. Cette division caractérisera chaque nation, chaque diocèse, chaque paroisse, chaque communauté catholique et même chaque famille. Elle passera des discussions savantes des théologiens à la vie de chaque catholique, avec des effets désastreux.

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