Fiducia Supplicans affirme-t-elle l'hérésie ? (17/02/2024)

Du cardinal Müller sur First Things :

Fiducia Supplicans affirme-t-elle l'hérésie ?

16 février 2024

Les conclusions sont : sans contenir une hérésie explicite ça engage des positions hérétiques. Les justifications données par Fernandez ou par le pape sont erronées ; on ne peut les approuver et un prêtre ne peut pratiquer ces bénédictions ; se n'est pas manquer à ses devoir envers le pape qu'être en désaccord, mais au contraire honorer sa charge.

"La récente déclaration du Vatican Fiducia Supplicans contient-elle des enseignements contraires à la foi divine et catholique ? … Le communiqué de presse de la DDF du 4 janvier défend l'orthodoxie de Fiducia Supplicans en la citant, arguant que la déclaration ne change pas l'enseignement de l'Église catholique sur le mariage et la sexualité et ne dit rien d'hérétique. Il soutient que Fiducia Supplicans ne concerne pas la doctrine, mais des questions pratiques, et qu'il doit simplement être adapté à différents contextes et sensibilités.

En réalité, la critique des évêques n'est pas que la déclaration nie explicitement l'enseignement de l'Église sur le mariage et la sexualité, c’est plutôt qu'en permettant la bénédiction des couples qui ont des relations sexuelles en dehors du mariage, en particulier les couples de même sexe, il nie l'enseignement catholique dans la pratique, sinon dans les mots. La critique est basée sur un principe traditionnel solide : lex orandi, lex credendi – le principe selon lequel la façon dont l'Église prie reflète ce que l'Église croit. Comme le dit le Catéchisme : « Quand l'Église célèbre les sacrements, elle confesse la foi reçue des apôtres ».

Il y a, en effet, des pratiques catholiques qui ne peuvent être modifiées sans rejeter la doctrine catholique. … Par exemple, si quelqu'un affirmait en paroles l'enseignement catholique sur le baptême, mais qu'il admettait ensuite à l'Eucharistie ceux qui ne sont pas baptisés, il rejetterait l'enseignement catholique. Saint Thomas a dit que de telles contradictions créaient « le mensonge dans les signes sacramentels ».

La question est donc de savoir si accepter les « bénédictions » « pastorales » et non liturgiques proposées par Fiducia Supplicans pour les couples en situation irrégulière, c'est nier la doctrine catholique – non pas dans une affirmation explicite, mais dans la pratique.

Tout d'abord, nous devons considérer la distinction entre les bénédictions liturgiques et les bénédictions purement pastorales, car c'est sur cette distinction que s'appuie Fiducia Supplicans. Or, cette distinction entre les bénédictions est une nouveauté introduite par Fiducia Supplicans, qui n'a pas le moindre fondement dans l'Écriture, les Saints Pères ou le Magistère. Fiducia Supplicans affirme que les « bénédictions pastorales » ne sont pas liturgiques, pourtant, elles ont une structure liturgique, selon l'exemple donné dans le communiqué de presse de la DDF (une prière accompagnée du signe de la croix). Et de toute façon, … le fait que ce soit un prêtre, représentant le Christ, qui donne cette « bénédiction pastorale » en fait un acte liturgique dans lequel l'autorité du Christ et de l'Église est en jeu.

De plus, toute bénédiction, quelle que soit sa solennité, implique l'approbation de ce qui est béni. En fait, le mot grec utilisé dans le Nouveau Testament pour « bénédiction » est eulogein, qui, comme le latin benedicere, signifie littéralement « dire que quelque chose est bon ». De plus, dans l'Écriture, bénir quelque chose, ce n'est pas seulement le déclarer bon, mais dire qu'il est bon parce qu'il vient du Créateur. Des bénédictions sont adressées à la création de Dieu, qu'il considérait comme très bonne, afin que Dieu lui-même l'amène à maturité et à plénitude. Pour cette raison, une bénédiction ne peut pas être invoquée sur des relations ou des situations qui contredisent ou rejettent l'ordre de la création, comme les unions basées sur la pratique homosexuelle, que saint Paul considère comme une conséquence de la négation du plan du Créateur (Rm 1, 21-27).

La DDF reconnaît implicitement que ces bénédictions approuvent ce qui est béni. C'est pourquoi le communiqué s'efforce de faire la distinction entre la bénédiction du couple et la bénédiction de l'union. L'effort de la DDF pour clarifier que l'union n'est pas bénie trahit le fait que la DDF considère la « bénédiction pastorale » comme une approbation, et insiste donc sur le fait que c'est le couple et non l'union qui est béni. Par conséquent, étant donné l'impossibilité de faire la distinction entre les bénédictions liturgiques et pastorales, il faut conclure que Fiducia Supplicans est doctrinalement problématique, peu importe à quel point il affirme la doctrine catholique en paroles. Il s'agit d'une question qui touche à la fois à la loi naturelle et à l'affirmation évangélique de la sainteté du corps, qui ne sont pas différentes au Malawi qu'en Allemagne.

Mais la DDF a également utilisé deux autres distinctions pour éviter d'admettre que Fiducia Supplicans implique l'approbation des unions homosexuelles. La première distinction est entre la bénédiction de l'union et la bénédiction du couple. En effet, si l'on bénit le couple en tant que couple, c'est-à-dire en tant qu'uni par une relation sexuelle autre que le mariage, alors on approuve cette union, puisque c'est l'union qui les constitue en tant que tel couple.

Examinons maintenant une deuxième distinction : pourrait-on dire que ce qui est béni, ce n'est pas le couple uni par la relation sexuelle, mais le couple uni par d'autres aspects de sa vie, par exemple, par l'aide qu'il s'apporte l'un à l'autre pendant une maladie ? Cette distinction ne change rien au fait que le couple est béni en tant que couple uni par des relations sexuelles en dehors du mariage. Car ce qui continue à constituer le couple en tant que tel, c'est la relation sexuelle qui les unit. Les autres aspects de leur vie de couple ne sont pas ce qui les constitue en tant que couple, et tous ces aspects ne réussissent pas non plus à rendre bon le style de vie sexuel qui fait d'eux un couple, comme l' a déjà affirmé le Responsum 2021 de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi.

Récemment, nous avons remarqué un nouveau changement sémantique dans les explications officielles des Fiducia Supplicans. Ils ne parlent plus de donner la bénédiction à des « couples », mais à des « personnes », ajoutant qu'il s'agit de personnes qui sont « ensemble ».Or, bénir ensemble deux personnes qui sont ensemble précisément à cause de la relation homosexuelle qui les unit n'est pas différent de bénir l'union. Peu importe combien on répète que l'on ne bénit pas l'union, c'est exactement ce que l'on fait par l'objectivité même du rite accompli.

Après avoir établi que la question fondamentale est doctrinale, comment devrions-nous décrire l'erreur de Fiducia Supplicans ? Est-ce une hérésie ?

Considérons l'enseignement classique sur les divers objets de l'enseignement magistériel et sur l'adhésion du croyant à celui-ci. Cette doctrine est contenue dans le motu proprio Ad tuendam fidem de Jean-Paul II, qui présente trois « paragraphes » de la profession de foi faite lors de l'accession à diverses fonctions ecclésiastiques. Le premier paragraphe fait référence aux vérités contenues dans la révélation ; la négation de ces vérités constitue une hérésie. Le deuxième paragraphe fait référence à des vérités qui, bien que n'étant pas contenues dans la révélation, sont intimement liées à celle-ci et nécessaires à la préservation du dépôt révélé. Ce sont des vérités qui, en raison de leur lien historique ou logique avec les vérités révélées, doivent être acceptées et maintenues fermement et définitivement. Ceux qui nient de telles vérités s'opposent à l'enseignement de l'Église catholique, même si leurs affirmations ne peuvent pas être considérées comme hérétiques en elles-mêmes. Le troisième paragraphe de la profession de foi se réfère aux vérités enseignées par le Magistère ordinaire, auxquelles l'assentiment religieux de l'esprit et de la volonté doit être donné.

Comment cela s'applique-t-il à notre cas ? L'affirmation que les actes homosexuels sont contraires à la loi de Dieu est une vérité révélée ; le nier violerait le premier paragraphe de la Profession de Foi et serait hérétique. Cette négation ne se retrouve pas dans Fiducia Supplicans. Ainsi, Fiducia Supplicans ne semble pas violer le premier paragraphe. Alors, comment classer son affirmation selon laquelle les unions sexuelles hors mariage peuvent être bénies par une bénédiction non nuptiale ? Même si l'on devait soutenir que cette affirmation n'est pas explicitement rejetée dans la révélation, cette affirmation viole, au moins, le deuxième paragraphe de la Profession de Foi, car, comme nous l'avons vu, bénir ces personnes en tant que couples de même sexe, c'est approuver leurs unions, même si elles ne sont pas assimilées au mariage. Il s'agit donc d'une doctrine contraire à l'enseignement de l'Église catholique, puisque son acceptation, même si elle n'est pas directement hérétique, conduit logiquement à l'hérésie.

Pour toutes ces raisons, Fiducia Supplicans doit être considéré comme problématique sur le plan doctrinal, car il contient une négation de la doctrine catholique. Pour cette raison, elle est également problématique d'un point de vue pastoral. En effet, un bon pasteur aborde toute personne en difficulté comme un enseignant des commandements de Dieu, la recommande à la prière de Dieu et, dans le cas d'un péché grave, la conduit à la repentance, à la confession et au renouvellement de la vie par le pardon dans l'absolution sacramentelle. Ce qu'il ne fera jamais dans la pastorale des catholiques dans des relations sexuelles irrégulières, c'est d'établir des analogies entre la bénédiction de Dieu pour le mariage d'un homme et d'une femme et une bénédiction dite non liturgique pour les personnes dans des relations pécheresses. Pourquoi ces personnes voudraient-elles être bénies ensemble, si ce n'est parce qu'elles veulent l'approbation de Dieu pour leur union ? Les bénir ensemble, c'est donc les confirmer dans leur péché et les aliéner ainsi de Dieu.

En conclusion, tant que la DDF ne corrige pas Fiducia Supplicans en précisant que les bénédictions ne peuvent pas être données au couple, mais seulement à chaque personne individuellement, la DDF approuve des déclarations qui sont contraires au moins au deuxième paragraphe de la Profession de Foi, c'est-à-dire qu'elle approuve des déclarations qui sont contraires à l'enseignement de l'Église catholique. qui, sans être hérétiques en eux-mêmes, conduisent à l'hérésie. Cela signifie que ces bénédictions pastorales pour les unions irrégulières ne peuvent pas être acceptées par les fidèles catholiques, et en particulier par ceux qui, en assumant une charge ecclésiastique, ont fait la profession de foi et prêté le serment de fidélité, qui demande avant tout la conservation du dépôt de la foi dans son intégralité.

Ce refus d'accueillir Fiducia Supplicans, qui peut s'exprimer publiquement dans la mesure où il s'agit du bien commun de l'Église, n'implique aucun manque de respect pour le Saint-Père, qui a signé le texte de Fiducia Supplicans, bien au contraire. Car le service au Saint-Père lui est dû précisément dans la mesure où il est le garant de la continuité de la doctrine catholique, et ce service est honoré avant tout par la mise à nu des graves défauts de Fiducia Supplicans.

En bref, l'exercice du Magistère ne peut se limiter à donner des informations dogmatiquement correctes sur la « vérité de l'Évangile » (Ga 2, 14). Paul s'est opposé ouvertement et sans hésitation à l'exercice ambigu de la primauté par Pierre, son frère dans l'apostolat, parce que celui-ci, par sa conduite erronée, mettait en danger la vraie foi et le salut des fidèles, non pas précisément en ce qui concerne la profession dogmatique de la foi chrétienne, mais en ce qui concerne la pratique de la vie chrétienne.

Le cardinal Gerhard Müller est l'ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi

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